Quelques pistes de réflexion
Les femmes gagnent souvent moins que les hommes, voici pourquoi

La gent féminine est généralement moins bien rémunérée que le sexe opposé. Pour décortiquer cette thématique et expliquer un tel déséquilibre, deux experts avancent plusieurs raisons.
Publié: 24.10.2023 à 08:34 heures
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Dernière mise à jour: 24.10.2023 à 08:37 heures
Tiffany Terreaux

Le déséquilibre salarial lié au genre a toujours fait débat et reste un sujet au cœur de l'actualité. Preuve en est, pas plus tard que le 9 octobre dernier, Claudia Goldin, professeure à l'Université de Harvard, a reçu le prix Nobel d'économie pour ses travaux en histoire et économie du travail sur la question des inégalités salariales.

Pas encore le bout du tunnel

Ces différences salariales entre hommes et femmes font régulièrement l'objet d'analyses approfondies, sur mandat par exemple du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes. D'après les résultats de leur dernière étude, 60% des différences de salaire entre femmes et hommes résultent de facteurs objectifs. Les 40% restants ne s'expliquent pas par les facteurs objectifs étudiés. Cet écart se réduit progressivement, mais reste encore relativement élevé.

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Pour y voir plus clair, deux experts nous ont fourni des pistes de réflexion qui peuvent aider à appréhender ce déséquilibre: Émilie Flamand, directrice du bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences de Genève (BPEV), ainsi que Stéphane Bruneau, cofondateur de Yodea Recrutement.

La Suisse est, après la Suède, le pays européen affichant le taux de participation des femmes au marché du travail le plus élevé.
Photo: Shutterstock
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L'aspect culturel

La parentalité vient bouleverser la vie professionnelle d'un employé. «Même si c'est en constante évolution, on se trouve encore dans une société où il semble logique que la femme s'occupe principalement des enfants tandis que l'homme continue de travailler», relève Émilie Flamand.

Un constat partagé par Stéphane Bruneau, qui différencie notre pays de ses voisins. «L'approche culturelle a un impact non négligeable. En Suisse romande, on est plus proche de la culture latine où les différences salariales sont souvent plus grandes», affirme-t-il. L'Allemagne, l'Autriche ou encore les pays scandinaves ont une approche moins «misogyne» que les latins selon lui, avec des chefs d'entreprise moins «old school».

Résultat, ce sont généralement les femmes qui descendent leur taux d'occupation lorsque la famille s'agrandit. Ce temps partiel se traduit souvent par du job sharing (deux personnes occupent le même poste, chacune à un taux réduit). «Ça peut être perçu comme une décision prise de manière totalement libre, mais c’est rarement le cas. Il y a de nombreux facteurs externes qui influencent ce choix comme, entre autres, le manque de places d’accueil dans la petite enfance», affirme Émilie Flamand.

D'après une enquête suisse sur la population active réalisée par l’Office fédéral de la statistique, la Suisse est, après la Suède, le pays européen affichant le taux de participation des femmes au marché du travail le plus élevé. Qui plus est, la part des mères participant au marché du travail en Suisse est supérieure à la moyenne européenne. En 2021, elles étaient plus de quatre sur cinq (82%) à être professionnellement actives.

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Les blancs dans le CV

Selon Stéphane Bruneau, la raison principale d'un tel écart concerne le congé maternité. «Les femmes ont des périodes d’arrêt plus grandes dans leur carrière.» Grossesse, congé maternité, break lorsque les enfants sont en bas âge...

En 2021, 18% des mères n’exerçaient pas d’activité professionnelle. Une situation qui semble volontaire puisque la quasi-totalité d’entre elles n'étaient pas en recherche d’emploi. Lorsque l’enfant grandit, les mères ayant quitté totalement le marché du travail le réintègrent progressivement, généralement après une pause d’un peu plus de cinq ans.

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La logique économique

La logique financière veut que le partenaire qui gagne le moins soit celui qui diminue son taux de travail pour prendre les enfants à charge. «Comme les femmes sont souvent moins bien rémunérées, l'homme continue de travailler et ainsi le ménage est moins impacté», soulève la directrice du Bureau des égalités. Un véritable cercle vicieux: la femme gagne moins, elle diminue son temps de travail et gagne donc encore moins...

Toujours selon l'enquête menée par l'OFS, après la naissance du premier enfant, on assiste généralement à une réduction du temps de travail équivalant à un peu plus d’un jour par semaine. En 2021, 78,1% des mères actives exerçaient leur activité professionnelle avec un taux d’occupation réduit.

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Le tuyau percé

Le phénomène du «plafond de verre» joue aussi un rôle important. La gent féminine progresse jusqu'à un certain point dans la hiérarchie. Mais dès qu'on parle de fonctions dirigeantes, ça se complique généralement.

C'est un constat particulièrement flagrant dans le domaine de la santé. En faculté de médecine, on comptabilise une majorité de femmes. Mais plus on s'éloigne des études et on avance en termes hiérarchiques: hôpital, médecine interne, médecin-chef, ... moins elles sont nombreuses. D'où la notion de tuyau percé: les talents féminins s’échappent au fur et à mesure.

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La valorisation des professions

D’après la directrice du BPEV à Genève, certains métiers majoritairement occupés par des femmes sont moins bien valorisés. Exemple à l’appui. «Pour un diplôme en HES de niveau Bachelor, les infirmiers et infirmières (domaine majoritairement féminin) et les ingénieurs et ingénieures (majoritairement masculin) ne sont financièrement pas égaux alors qu’ils réalisent le même nombre d’années d’études», argue-t-elle.

De manière générale, les salariés à compétence ou diplôme égal dans les domaines de la santé ou du social sont moins rémunérés que ceux exerçant dans la technique ou l’informatique.

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Les questions discriminantes

«C’est un constat empirique et non scientifique mais je remarque que les femmes inscrivent fréquemment sur leur CV qu'elles sont mariées avec X enfants, en indiquant parfois même entre parenthèses le système de garde. Ce sont des informations qu'on ne retrouve pas dans les candidatures masculines», affirme Émilie Flamand.

Lorsque ces renseignements ne sont pas fournis, les employeurs sont-ils en droit de les demander lors d'un entretien d'embauche? Du type: Souhaitez-vous vous marier? Fonder une famille? Si demain vos enfants sont malades, qui pourra s'en occuper?

Cendrine Rouvinez, avocate spécialiste FSA en droit du travail chez Kellerhals Carrard, précise: «Certaines questions posées lors d'un entretien d'embauche peuvent se révéler illicites car contraires au principe selon lequel l'employeur ne peut obtenir que des informations qui ont un lien direct avec l'aptitude du candidat à exécuter ses tâches. En effet, l'employé est tenu de répondre conformément à la vérité aux questions qui ont un rapport direct avec le travail à effectuer, si les informations demandées présentent un intérêt objectif direct pour la relation de travail spécifique.»

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En revanche, si les questions posées lors de l'entretien sont contraires à la LEg (Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes), un droit de mentir est admis. «Imaginons qu'un recruteur demande à une candidate sans enfant si elle a le projet de créer une famille lors de l'entretien. Cette dernière peut soit refuser de répondre à la question, soit répondre de manière inexacte, affirme l'avocate. Refuser simplement de répondre pourrait compromettre les chances de la candidate alors que l'employeur n'aurait pas le droit de se baser sur ce seul motif pour refuser son embauche.»

Le droit de ne pas répondre de manière exacte aux questions illicites est reconnu par la doctrine majoritaire et permet de lutter contre les discriminations. Admettons que la candidate de l'exemple ci-dessus réponde de manière inexacte à cette question et tombe enceinte une année plus tard: «son licenciement fondé sur ce seul motif serait considéré comme abusif. Le licenciement resterait valable mais l'employée aurait droit à une indemnité pouvant aller jusqu'à six mois de salaire» détaille Cendrine Rouvinez.

Ce type de discrimination peut aussi se faire en amont. Une connaissance de Madame Rouvinez ayant travaillé dans diverses agences de placement a parfois reçu la demande de certains employeurs d'écarter les profils de femmes âgées d'une trentaine d'années, mariées et sans enfants. Ainsi, la possibilité d'une future maternité, comme le fait d'être déjà mère peut être un frein à l'embauche.

Solutions à court et moyen terme

Bien que la prise de conscience progresse vis-à-vis de ces inégalités salariales, les deux experts estiment qu'il est nécessaire de mettre en place certaines mesures pour accélérer le processus.

Parmi les projets au goût du jour, la LEg impose désormais des contrôles de structure salariale aux entreprises de plus de 100 employés. Elle les contraint également à communiquer les résultats à l'interne. «À l’heure actuelle, la LEg ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect. Il faut renforcer les contrôles au niveau cantonal, notamment via les procédures d’attribution des marchés publics, et demander aux entreprises des preuves de leurs données», affirme Émilie Flamand.

Autre point crucial selon la directrice: l’introduction d’un vrai congé parental. «Si on met en place un congé identique pour chaque partenaire, tout le monde est sur un pied d’égalité vis-à-vis du marché du travail.» Cela a déjà fait ses preuves dans les pays scandinaves. «En Suède, le congé s’étend sur 480 jours par enfant pour les deux parents, donc 240 jours chacun. Ainsi, un employeur suédois prend le même «risque» de voir son employé absent, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, ce qui prévient les discriminations», résume-t-elle.

Elle poursuit en mentionnant plusieurs événements annuels, notamment la journée Futur en tous genres, organisée pour les élèves de 9e afin qu'ils puissent découvrir différentes facettes du monde professionnel sans préjugés. Enfin, «développer davantage l'offre de places d'accueil en crèche est primordial.»

Toujours à la page

De son côté, Stéphane Bruneau tient à rendre attentif sur l'exagération souvent accordée aux avancées technologiques. «Beaucoup de professions ne requièrent pas une mise à niveau continue. Il n'y a donc aucune raison de considérer la période de maternité comme une lacune professionnelle et de pénaliser la femme financièrement», affirme-t-il.

Prenons l'exemple des métiers de la vente. Selon l'expert, une employée qui aurait stoppé sa carrière pendant un an pour la naissance d'un enfant ne devrait pas être pénalisée. «D'un point de vue technologique, il n’y a pas de changements suffisamment conséquents sur un laps de temps si court, elle ne se sentirait pas dépassée. Même topo pour les métiers graphiques ou ceux de la construction», conclut-il.

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