Commentaire de Richard Werly
Macron ne gagne rien à parler seul au nom des Européens

Partisan depuis toujours d'une souveraineté européenne accrue, le président français a choisi de passer à la vitesse supérieure à son retour de Pékin. Son discours à la Haye, ce mardi 11 avril, risque malheureusement d'accroître la polémique.
Publié: 11.04.2023 à 18:02 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La force d'un discours ou d'une prise de position présidentielle ne vient jamais seulement de son contenu. Elle dépend aussi du calendrier, du moment choisi, et de la capacité du dirigeant concerné à emporter l'adhésion de ses partenaires, proches ou lointains. Elle provient aussi du contexte dans lequel les propos sont formulés.

Or, au vu de ces critères, Emmanuel Macron n'aurait pas dû parler de Taïwan dans les termes employés devant le micro de Politico, l'influent quotidien en ligne américain. Pour paraphraser une formule qui coûta sans doute sa réélection à son prédécesseur François Hollande: «Un président ne devrait pas dire ça…»

La faute au retour de Pékin

Emmanuel Macron n'aurait pas dû se distancier de Taïwan à son retour immédiat de sa visite officielle Pékin, dans l'avion qui le ramenait en France. Dire à Politico que «la pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise» n'était ni nécessaire, ni politiquement habile pour faire avancer l'idée de souveraineté européenne.

À Pékin, puis à Canton, le président français a reçu du 5 au 8 avril tous les honneurs protocolaires. Sa relation avec Xi Jinping est, néanmoins, tout sauf proche.
Photo: DUKAS
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Employer ces mots au moment où des navires chinois manœuvraient au large de l'île revient à instiller le doute à Washington et au sein des pays de l'UE les plus alignés sur les États-Unis. Un doute qui, aujourd'hui, ne profite qu'à Pékin.

Il n'a pas consulté ses partenaires

Emmanuel Macron n'aurait pas dû associer dans ce même entretien la question de la souveraineté européenne à la question de Taïwan. Le faire, en plus, sans avoir consulté ses partenaires de l'UE, dans le but supposé de les bousculer, contribue à décrédibiliser la parole de la France comme porte-parole d'une aspiration vraiment continentale.

À La Haye (PB) ce mardi 11 avril, le président français a eu raison de préciser, dans un discours par ailleurs chahuté et interrompu par des manifestants, son concept de souveraineté européenne, en détaillant la politique industrielle et la sécurité économique qui va avec. L'anticiper dans les médias, au risque de la caricature et du buzz, était une évidente erreur.

Retrouvez le discours d'Emmanuel Macron à La Haye:

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Emmanuel Macron n'aurait pas dû, enfin, mêler la question de la souveraineté économique, industrielle et énergétique de l'Europe aux présentes tensions dans le détroit de Taïwan. D'abord, parce que cela contredit la volonté française d'être présent à l'avenir, aux côtés des puissances démocratiques de la région, en Indopacifique, où elle dispose de territoires et du deuxième espace maritime régional.

Ensuite parce qu'une telle réflexion contredit l'approche qui fut celle de Paris jusqu'à la conclusion de l'alliance AUKUS (Australie, États-Unis, Royaume-Uni) et la dénonciation en septembre 2021, par Canberra, de la commande de douze sous-marins français à propulsion classique. En signant ce «contrat du siècle» d'une valeur de 30 milliards d'euros, la France participait de facto à la course aux armements dirigée contre la Chine. Détourner le regard maintenant, en renvoyant presque Pékin et Washington dos à dos, est absolument cynique.

Le président du verbe

Emmanuel Macron n'aurait pas dû, surtout, alimenter l'impression de plus en plus tenace qu'il est aujourd'hui le président du verbe. Insister sur la nécessité pour l'Union européenne de garder ses distances vis-à-vis de son allié américain exige d'être capable de proposer une alternative. Or quelle est-elle en 2023, alors que la guerre en Ukraine prouve tous les jours les limites militaires européennes?

Le général De Gaulle avait, en 1966 à Phnom Penh, lors de son fameux discours sur la guerre américaine au Vietnam, une alternative à proposer: la décolonisation qu'il venait de mener à bien dans la douleur en Algérie. Il avait pour lui une crédibilité qui manque aujourd'hui au président français.

Emmanuel Macron n'aurait pas dû... Mais cela ne lui correspond pas. Le locataire de l'Élysée croit toujours, malgré ses difficultés intérieures, à la rupture et au «en même temps». Ce qui, jusque-là, ne lui a pourtant guère réussi.

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