Conseil d'État contre CNews
Censure en France: doit-on croire Praud, Hanouna et Zemmour?

Le Conseil d'État français a réclamé mardi 13 février une surveillance accrue de la chaine CNews en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information. Censure? Examinons les faits.
Publié: 14.02.2024 à 10:26 heures
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Dernière mise à jour: 14.02.2024 à 13:28 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Pascal Praud, Cyril Hanouna, Robert Ménard et Christine Kelly ont raison: l’avis rendu par le Conseil d’État français mardi 13 février pose un problème de liberté d’expression. Que la plus haute juridiction administrative française, saisie par Reporters sans frontières, recommande à l’ARCOM (L’autorité indépendante chargée de réguler l’audiovisuel) «de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information», revient à instaurer une surveillance problématique.

Où commence et où s’arrête le pluralisme, sur une chaîne dont les programmes et les choix attestent de son net positionnement à droite? Comment parler d’indépendance de l’information alors que l’instance désignée, l’ARCOM, est elle-même très critiquée pour demeurer, plus ou moins, dans l’orbite de l’exécutif, et donc de l’actuelle majorité présidentielle? Vu de Suisse où vient de paraître le livre coordonné par Myret Zaki: «Sans diversité de vues, pas de journalisme» (Ed. Favre), ce débat franco-français mérite d’être creusé.

La nature du problème

Attardons-nous sur le constat de Hanouna, Praud et consorts… Oui, une telle décision peut poser problème, en ce moment, dans un pays où la bataille frontale est lancée entre Emmanuel Macron, son «poulain» premier ministre Gabriel Attal et le tandem Le Pen-Bardella, bien décidé à faire triompher le Rassemblement national lors des élections européennes du 9 juin. Autre problème: le rôle joué par Reporters sans frontières, organisation sans autre légitimité que son activisme (très utile pour la libération des journalistes otages et la défense des droits des journalistes dans de nombreux pays autoritaires), et pourtant choisie par le gouvernement pour animer, à travers la personne de son secrétaire général Christophe Deloire, les «États généraux de l’information» supposés accoucher de recommandations publiques pour une nouvelle donne médiatique.

Pascal Praud est l'une des têtes d'affiche de CNews et d'Europe 1. Il a aussitôt moqué l'avis du Conseil d'État, affirmant que son plateau est ouvert à tous.
Photo: DUKAS
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Sur ces points, les stars de CNews ont raison de dire que leur chaîne, possédée par le milliardaire Vincent Bolloré, est prise pour cible alors que d’autres médias français, notamment ceux du service public, ont tendance à fermer leurs portes aux voix de la droite dure, qui représentent pourtant une bonne partie de l’opinion publique.

Merci Pascal Praud?

Merci donc à Praud, Hanouna ou Ménard, renforcés par le soutien d’Eric Zemmour, l’ancienne star de CNews aujourd’hui chef du parti Reconquête, de crier à la censure? Non. Pas de merci. Car leurs déclarations sont fausses et leurs états d’âme plus que discutables.

Pour qui regarde CNews, chaîne supposée d’information généraliste, la réalité est tout autre. CNews est une chaîne d’opinion. Un canal inspiré de l’exemple américain de Fox News, dont les plateaux d’invités tournent la plupart du temps autour de trois thèmes: l’insécurité, l’immigration et les plaies de la France abîmées par le «wokisme». L’avis du Conseil d’État est en réalité déplacé. Demander plus de pluralisme à CNews et envisager de décompter le temps de ses journalistes en prise de parole «politique» n’a aucun sens. Un pays comme la France peut, logiquement, avoir un canal télévisé privé qui incarne le courant réactionnaire présent dans la société. Le pluralisme ne se juge pas sur une chaîne, mais sur l’ensemble des médias. Les juges administratifs auraient mieux fait de rappeler à l’Arcom l’obligation d’une diversité d’opinion sur l’ensemble de l’audiovisuel. C’est, après, au téléspectateur de faire son choix.

Une certaine France

La réalité est que CNews ressemble à une certaine France. Cette chaîne joue, qu’on le veuille ou non, un rôle démocratique. Ce qui doit être dénoncé n’est pas l’absence de pluralisme, mais ses mensonges, ses exagérations, ses accusations fausses, ses informations déformées. Idem pour le programme phare de C8, «Touche pas à mon poste» de Cyril Hanouna. Ce dernier, fidèle à son image de caïd audiovisuel, a tout de suite dénoncé comme une censure insupportable l’avis du Conseil d’État.

C’est bien sûr faux, là aussi. Les juristes ont émis un avis. Point. Hanouna, quant à lui, distille régulièrement à l’antenne des relents de colère, de haine, de peur à tous les étages. Lesquels, s’ils réjouissent ses fans, minent le climat social français. Mais gare: Hanouna et sa tribu de chroniqueurs ne disent pas que des choses fausses. Leur force est, comme pour Pascal Praud en version info, de parler des sujets qui fâchent les gens. Ils mettent leurs caméras et leurs paroles dans les plaies du pays. C’est parfois détestable. C’est surjoué. Mais ce n’est pas en exigeant du pluralisme que l’on va convaincre ceux qui pensent comme eux.

Broyer le consensus

On connaît les dégâts démocratiques causés, aux États-Unis, par la surenchère de Fox News et, pire encore, par les excès de Tucker Carlson, le commentateur ultra-réactionnaire qui vient de s’illustrer par son interview complice et sans contradiction de Vladimir Poutine. On peut s’en inquiéter. Mais n’est-ce pas aux autres forces de la société de réagir, de se battre, de confronter les points de vue de Fox News comme ceux de CNews?

Cyril Hanouna, Eric Zemmour et Pascal Praud sont des machines à broyer le soi-disant consensus qu’ils estiment dominés par la gauche bien pensante. Christine Kelly, présentatrice vedette de la chaîne, connait mieux que quiconque les défauts de l’Arcom, puisqu’elle fut membre de son prédécesseur, le CSA. Ils ne sont pas censurés. Mais espérer les faire taire, ou changer d’avis par ce type de recommandations juridiques n’est pas une bonne nouvelle dans une société où l’on devrait au contraire se féliciter du débat. Pas du silence.

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