Créateurs ou prédateurs?
#Metoo, la guillotine de l'impunité culturelle française

Ils étaient jusque-là des acteurs, cinéastes ou personnalités intellectuelles qui pouvaient (presque) tout se permettre. C'est fini. L'ouragan #Metoo est-il la guillotine de l'impunité culturelle française?
Publié: 11.02.2024 à 20:25 heures
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Dernière mise à jour: 12.02.2024 à 06:48 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Et si l’ouragan #Metoo qui continue de secouer la planète culturelle française était aussi une révolte contre l’impunité? La réponse, venant de jeunes femmes harcelées, violentées, violées, est évidente. C’est en raison de la loi du silence qui a longtemps prévalu dans le milieu du septième art en France, donnant un quasi-droit de cuissage à de nombreux réalisateurs, acteurs ou personnalités masculines des médias, que tant d’actrices débutantes se sont retrouvés pris dans les fils tissés par ces prédateurs. Le livre «Le consentement» de Vanessa Springora, et le film qui en a été tiré sur l’écrivain Gabriel Matzneff, montre parfaitement cette mécanique implacable dans laquelle la mère de la jeune fille joue un rôle majeur. Tel est le scénario de la vraie vie, dans lequel de très jeunes femmes comme Judith Godrèche, se retrouvèrent prisonnières de celui qui avait jeté son dévolu sur elle. C’est du moins ce qui ressort des propos de cette dernière à France Inter. Un ouragan #Metoo? Non, une guillotine!

Une guillotine parce que rien, désormais, ne sera plus comme avant. Impossible d’imaginer les journalistes culturels aussi complaisants qu’ils le furent souvent, en France comme ailleurs. Impossible d’imaginer que des réalisateurs se laissent aller à leurs pulsions sexuelles en les parant des atours de la création, sans s’attirer les foudres des équipes de tournage et des producteurs. Impossible, surtout, de penser que des parents obsédés par la réussite de leurs filles et résolus à les voir crever l’écran, les présentent sans souci à des hommes connus pour leurs penchants pédophiles…

Des hommes accusés

On connaît les noms des hommes aujourd’hui accusés, et qui bénéficient bien sûr de la présomption d’innocence. Les acteurs Gérard Depardieu et Philippe Caubère. Les réalisateurs Benoit Jacquot et Jacques Doillon. Le psychanalyste Gérard Miller, personnalité publique de la télévision. L’animateur Sébastien Cauet. Le journaliste Patrick Poivre d'Arvor. La tornade a commencé à souffler avec la mise à nu – c’est le cas de le dire – des pratiques de l’écrivain Gabriel Matzneff au début 2020. Ce dernier dévorait, littéralement, des adolescentes éprises de son personnage. Leurs mères, parfois, étaient les premières séduites. Mais quid des éditeurs, du public, des critiques, des producteurs d’émissions de télévision qui déroulaient, à chacun de ses ouvrages, le tapis rouge à celui qui adorait se présenter comme un rebelle à l’ordre établi? Fait typiquement français, la révolution #Metoo a donc commencé par une révolte isolée. Puis le feu de la rébellion s’est propagé. Maintenant, qui pourra l’éteindre?

Toute révolution conduit à des excès: la déprogrammation de certains films de Bertrand Blier mérite à l'évidence un débat.
Photo: imago images/Prod.DB
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Surtout à Paris

La culture, en France, et surtout à Paris, est un milieu clos, où l’importance de l’argent public impose des allégeances, des silences, des compromissions, des fourberies parfois pour obtenir les indispensables subventions. C’est le prix, diront ses défenseurs acharnés, de l’exception culturelle française. Depardieu était une locomotive cinématographique. Il tirait derrière lui tout un monde bien moins connu de professions culturelles qui, bon gré mal gré, turent ses excès et ses dérives. Tout ceci est maintenant dans les mains de la justice. Les enquêteurs devront aussi dire si les faits reprochés à Benoît Jacquot ou Jacques Doillon sont prescrits, et si leurs actes relevaient, comme l’affirme ce dernier, de la création artistique et de la liberté de l’auteur-réalisateur. Restent les faits: cette révolution est assurée maintenant de charrier son flot d’accusations incontrôlées. Les circonstances propres à chaque époque et les complicités d’hier seront oubliées, gommées, effacées. La tentation sera de faire de toutes les jeunes actrices autrefois harcelées des victimes absolues. La France n’est pas révolutionnaire pour rien. Elle se soulève. Elle condamne. Et puis elle exécute sans pitié et en masse.

Crimes et révolution

La vraie question, au-delà des crimes commis sur lesquels la justice devra statuer, demeurera celle de l’impunité dans un milieu où chacun n’a pas d’autre choix que de plaire au pourvoyeur de fond, au producteur bien connecté, au cinéaste en cours auprès des médias. Cette impunité-là va-t-elle disparaître? Ou simplement muer dans un pays où la scène parisienne est assurée de continuer à règner en maître?

La guillotine peut décapiter l’impunité. Il n’est pas certain, toutefois, que celle-ci ne ressuscitera pas sous une autre forme. Dans le monde clos de la culture «Made in France», la révolution #Metoo qui déferle sur l'hexagone n’est pas encore assurée de déboucher sur une nouvelle ère.

La conclusion? Laissons là à la journaliste franco-suisse Catherine Schwaab, partenaire de notre podcast Helvétix Café que je vous suggère fortement d'écouter: «Benoît Jacquot, Gérard Miller, Jacques Doillon... Au-dessus de tout soupçon, croyais-je. Pas des obsédés comme l’ogre Gérard Depardieu ou le gros dégueulasse Harvey Weinstein. Ce sont des types fins et cultivés qui jettent un éclairage terrible sur… les pulsions masculines. Le cynisme. Où l’on en déduit que, quel que soit leur âge, leur sophistication intellectuelle, leur capacité d’abstraction, eh bien, ces hommes brillants, sensibles et raffinés restent des… animaux.»

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