Défilé à Romans-sur-Isère
En France, les héritiers des «chemises brunes» ne se cachent plus

Cagoulés, en chemises sombres et armés de barres de fer... les militants identitaires qui ont défilé ces jours-ci à Romans-sur-Isère, dans la Drôme, confirment la logique d'affrontement qui s'installe dans une partie du pays.
Publié: 27.11.2023 à 18:33 heures
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Dernière mise à jour: 29.11.2023 à 07:27 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Romans-sur-Isère. 33'000 habitants, à 200 kilomètres de Genève. Une ville sinistrée parmi beaucoup d’autres, depuis la délocalisation massive de l’industrie maroquinière qui fit d’elle la capitale de la chaussure «Made in France». C’est de là, selon la police, que sont partis les jeunes responsables de l’attaque au couteau du bal de Crépol, dans le même département de la Drôme, samedi 18 novembre. Leur quartier? Celui de la Monnaie, présenté par plusieurs médias français comme mal famé, entre trafic de stupéfiants et immigration incontrôlée. Neuf individus, ont été interpellés par la police, mis en examen et incarcérés.

C’est à Romans-sur-Isère, aussi, que l’autre visage du pire a réapparu ce week-end. À l’appel de groupes identitaires, bien connus des forces de l’ordre, une centaine d’activistes de l’extrême-droite la plus dure ont quadrillé les rues, visages cagoulés et barres de fer en main, criant «Islam hors d’Europe», «La rue, la France, nous appartient»… Les forces de l’ordre, déployées sur place, sont parvenues à éviter une «ratonnade», et une inévitable bataille rangée entre la jeunesse de ce quartier et ce groupe venu les défier en exigeant justice. 

«Bandes de racailles»

Leur argument? L’attaque au couteau du 18 novembre qui a coûté la vie à Thomas, seize ans, inhumé le 23 novembre devant deux mille personnes, est le fait de «bandes de racailles dont il est grand temps de se débarrasser». L’un de leur slogan, au pied des immeubles des cités, a consisté à crier les prénoms à consonance maghrébine des agresseurs, dont plusieurs ont ensuite fait circuler des vidéos sur les réseaux sociaux pour se mettre en scène et justifier les violences de Crépol. L’enquête, pour l’heure, n’a pas encore élucidé l’engrenage qui a conduit à la rixe meurtrière, à coups de lames, dans une salle des fêtes de village.

80 personnes, membres de l’ultradroite ont défilé vendredi vers 18h dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère (Drôme).
Photo: Richard Werly
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Inquiétant? Oui. Étonnant? Non. Interrogé par France Info, le politologue Jean-Yves Camus a bien analysé ce retour, de facto, des «chemises brunes» de sinistre mémoire, celles qui firent, dans l’entre-deux-guerres, le lit du fascisme puis du nazisme. «Deux extrêmes s’opposent dans les rues françaises, explique ce spécialiste du Front national, devenu Rassemblement national. L’extrême-gauche et l’extrême-droite prennent le risque du chaos. En espérant le provoquer». À Romans-sur-Isère ce vendredi, 24 personnes ont été interpellées puis placées en garde à vue. Six individus, âgés de 18 à 25 ans, ont été condamnés lundi à des peines de prison ferme en comparution immédiate.

Waffen Assas

En mars dernier, un affrontement d’une autre nature était (presque) passé inaperçu. À Paris, un groupuscule dénommé le «Waffen Assas» s’en était pris aux étudiants de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, en marge d’une manifestation contre le projet de réforme des retraites. Danger? Oui, mais des deux côtés. Pour se défendre, les normaliens agressés, résolument hostiles à l’actuel gouvernement, ont aussitôt dénoncé cette «milice armée de la bourgeoisie néolibérale qui cherche par la terreur à imposer un projet de société toujours plus raciste et violent, un projet néonazi».

Chemises rouges contre chemises brunes

Bientôt des chemises «rouges» face aux chemises «brunes» en France et dans le reste de l’Europe? Le ministre français de l'Intérieur a annoncé vouloir dissoudre de nouveaux groupuscules identitaires dont la «Division Martel», en référence au roi charles Martel qui arréta l'invasion arabe à Poitiers en 732. Et au delà de la France ? Après la nette victoire électorale de l’extrémiste anti-Islam Geert Wilders aux Pays-Bas, mercredi 22 novembre, la question ne peut plus être écartée. Il faut se souvenir qu’à Rome, plusieurs milliers de nostalgiques s’étaient rassemblés, le 20 octobre 2022, pour commémorer la marche sur la capitale italienne du «Duce» Mussolini, cent ans plus tôt. En Grèce, les militants du mouvement Aube Dorée aujourd’hui démantelé et interdit, défilaient sans complexe en chemises noires. En Bulgarie, en février 2023, une marche néonazie a dû être annulée et interdite par la municipalité de Sofia. En Allemagne, des défilés néonazis sont régulièrement organisés dans les Länder de l’Est par des groupuscules tel le mouvement de «La troisième voie», soutenus par l’AFD, le grand parti d’extrême-droite.

Emmanuel Macron a souvent dit qu’il redoutait, en France, un retour en force des fantômes des années trente. Sa façon de présider y est peut-être pour quelque chose. Mais ce qui s’est passé vendredi à Romans sur Isère accrédite malheureusement cette thèse.

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