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Cette Suissesse osa défier Napoléon (et elle l'emporta)

Il faut lire Germaine de Staël dans le texte. Cette grande intellectuelle décédée en 1817 sut, mieux que quiconque, déceler le dictateur derrière l'Empereur Napoléon 1er. Son «Abécédaire» est un régal d'intelligence.
Publié: 10.03.2024 à 10:27 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Bien plus qu’une femme. Bien plus qu’une aristocrate, dont le château de Coppet, à la lisière de Genève, fut l’un des salons intellectuels les plus brillants de son époque. Germaine de Staël (1766-1817) fut d’abord une résistante. Rares sont les Suissesses (elle était alors citoyenne de la république de Genève, qui n’intégra la Confédération qu’en 1815) à avoir eu autant d’influence sur la France et sur l’Europe. 

Mais il est vrai que Madame de Staël, comme l’on continue de la nommer, sut se choisir l’ennemi qui fera son désespoir et sa gloire: Napoléon 1er, l’ogre Corse, sacré Empereur des Français par le pape lui-même, le 2 décembre 1804 dans la cathédrale Notre-Dame-de-Paris.

Les Éditions de l’Observatoire ont déjà publié plusieurs «Abécédaires», dont ceux du philosophe Raymond Aron et de l’écrivain Albert Camus. Celui qu’elles viennent de consacrer à Germaine de Staël est un régal, tellement cette femme sut comprendre avant tout le monde la dictature en germe derrière les triomphes militaires de Bonaparte. 

Germaine de Staël fut l'une des plus brillantes intellectuelles de son siècle, et Napoléon 1er la redoutait.
Photo: Richard Werly
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Citons-la in extenso, car ce qu’elle écrivait se révéla juste, à l’heure où l’Europe entière se couchait devant les armes du général issu de la révolution: «Le plus grand crime de Napoléon, celui pour lequel tous les penseurs, tous les écrivains dispensateurs de la gloire dans la postérité, ne cesseront de l’accuser auprès de l’espèce humaine, c’est l’établissement et l’organisation du despotisme», écrivait-elle.

Avant d’exécuter l’Empereur sous la guillotine de sa plume: «Napoléon a fondé son despotisme sur l’immoralité: car les lumières qui existaient en France étaient telles que le pouvoir absolu ne pouvait s’y maintenir que par la dépravation, tandis qu’ailleurs, il subsiste par l’ignorance.»

Esprit dominateur

Il faut lire, sur la relation entre Germaine de Staël et Bonaparte, les indications données par la fondation Napoléon, dédiée à la mémoire de ce bâtisseur d’Empire assoiffé de victoires et indifférent aux pertes humaines que cela entraîna pour son pays. «Dès leur premier face-à-face, le 3 janvier 1798, le ton est donné pour la suite, peut-on lire. L’un craignant l’esprit dominateur de la dame et l’autre détestant les mesures répressives, les violences et les vengeances politiques, ils ne cesseront de s’opposer.

Finalement frappée d’exil de 1803 à 1812, Madame de Staël découvrira la censure, mais également les limites du pouvoir impérial. Cette Suissesse fut en effet l’une des seules, à l’orée du XIXe siècle naissant, à dire «non» à celui qu’une nouvelle noblesse issue de 1789 vénérait côté pile en attendant sa chute côté face. Dans son «Abécédaire», sa citation sur la fatigue du pouvoir est lumineuse: «Les places éminentes se perdent aussi par le changement qu’elles produisent sur ceux qui les possèdent. L’orgueil ou la paresse, la défiance ou l’aveuglement naissent de la possession continue de la puissance.»

Amoureuse de la vie et des hommes

Le plus fort, chez Germaine de Staël, amoureuse de la vie, de la politique, de la liberté et des hommes, est qu’elle remporta son duel face à l’Empereur. D’abord parce qu’elle survécut à ses années de tyrannie. Ensuite parce qu’elle ne lui céda jamais, préférant son exil à Coppet, le château de sa famille et de son père, Jacques Necker, banquier, ambassadeur de Genève à Paris puis directeur du Trésor royal et ministre des Finances de Louis XVI (1776-1788) avant que la révolution n’emporte tout sur son passage. 

Bonaparte est exilé à Sainte-Hélène après la défaite de Waterloo. Tous ses ennemis dansent sur sa dépouille politique. Madame de Staël décédera avant l’ex-Empereur (mort le 5 mai 1821), mais elle aura eu raison avant tout le monde. En témoigne ce portrait, signé en 1818: «Jamais la difficulté de respirer que j’éprouvais en sa présence ne peut se dissiper. J’examinais avec attention sa figure, mais chaque fois qu’il découvrait en moi des regards observateurs, il avait l’air d’ôter à ses yeux toute expression, comme s’ils fussent devenus de marbre […] pour dérouter quiconque voulait observer les signes extérieurs de sa pensée.»

Courage et bravoure

Il est habituel, aujourd’hui, de louer le courage et la bravoure au féminin. Ce n’était pas le cas lorsque Germaine de Staël transformait les bords de son cher lac Léman en agora démocratique, espérant un jour changer la France voisine. Cette France qu’elle admirait autant qu’elle la redoutait, car elle en connaissait le goût des pulsions et des aventures politiques les plus folles: «Oh France, terre de gloire et d’amour […] à quoi vous serviraient votre beau ciel, vos esprits si brillants, votre nature si féconde? Une intelligence active, une impétuosité savante vous rendraient les maîtres du monde. Mais vous n’y laisseriez que la trace de torrents de sable, terribles comme les flots, arides comme le désert!»

A lire: «L’Abécédaire de Germaine de Staël» (Ed. Observatoire)

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