Le «New York Times» stupéfié
Aya Nakamura, une star planétaire qui est aussi une blessure française

Le quotidien libéral américain brocarde régulièrement la France pour ses crispations identitaires et la difficile intégration des minorités. Pour le «New York Times», Aya Nakamura est la preuve de ce malaise.
Publié: 03.04.2024 à 19:00 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La France a mal à son identité et à ses minorités. Cette France a aussi du mal à reconnaître un talent planétaire, incontournable au-delà de ses frontières. Tel est le jugement que porte le «New York Times» sur l’affaire Aya Nakamura qui, depuis de semaines, agite la politique hexagonale.

La chanteuse franco-malienne chantera-t-elle l’hymne à l’amour d’Edith Piaf le 26 juillet, lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris? Ou devra-t-elle rester murée dans le silence? «La musique d’Aya Nakamura est l’une des principales exportations culturelles de la France. Mais les informations selon lesquelles elle pourrait se produire aux Jeux de Paris ont suscité de vifs débats sur l’identité et la langue», affirme le quotidien libéral américain, sous la plume de son correspondant à Paris, Roger Cohen. Et d’enfoncer le clou: «Dans quatre mois, la France accueillera les Jeux olympiques de Paris, mais quelle France sera présente? Tiraillé entre tradition et modernité, le pays est en pleine crise d’identité.»

Un rendez-vous très politique

L’accusation est facile, vu des États-Unis où la question raciale est au cœur du débat politique depuis des décennies, et où la discrimination positive envers les Noirs (afro-américains) reste la règle, même si de plus en plus d’Américains (blancs) la contestent, surtout dans le camp républicain de Donald Trump. Logique. La France s’enorgueillit d’être le pays des droits de l’homme. 

Les Jeux Olympiques d’été seront un rendez-vous très politique, 100 ans après ceux de 1924 à Paris. Emmanuel Macron, le président français, parle sans cesse de sa psychose de voir les méthodes de l’entre-deux-guerres revenir à la surface, avec un tsunami identitaire et raciste. Le Rassemblement national de Marine Le Pen est, de loin, le premier parti du pays et les sondages lui donnent une large avance aux prochaines élections européennes du 9 juin.

Pour le «New York Times», Aya Nakamura est prise dans l'engrenage de «la tourmente olympique».
Photo: Richard Werly
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Signal d’alarme

Alors? Le «New York Times» tire le signal d’alarme: «Les critiques de droite en France estiment que la musique de Mme Nakamura ne représente pas le pays, et la perspective qu’elle se produise a donné lieu à un déluge d’insultes racistes en ligne à son encontre. Le parquet de Paris a même ouvert une enquête. Cette levée de boucliers est venue s’ajouter à la bataille autour de l’affiche officielle dévoilée ce mois-ci: une représentation au pastel des monuments de la ville grouillant de monde dans un style chargé rappelant les livres pour enfants.»

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On y est. Le malaise pointé par le «New York Times» est bien celui de l’identité. Le problème de l’affiche désormais officielle des JO est que l’artiste Ugo Gattoni a gommé la croix sur le dôme des Invalides. Une croix chrétienne. Une croix qu’il faudrait donc cacher pour cet événement multiculturel? 

La tête de liste du parti Reconquête! d’Eric Zemmour aux Européens, Marion Maréchal-Le Pen a aussitôt sonné la charge: «Sur l’affiche officielle des Jeux olympiques de Paris, la croix en haut du dôme des Invalides a été effacée et aucun drapeau français n’apparaît. L’invisibilisation de notre identité est une faute inacceptable. Le wokisme doit être combattu partout sans relâche! Quel intérêt d’organiser les Jeux olympiques en France si c’est pour cacher ce que nous sommes?»

Pas de réponse d’Aya Nakamura

Ce qu’est la France, justement, voilà qui interroge le «New York Times»: «Mme Nakamura, qui a décliné une demande d’interview, n’a pas répondu publiquement à la furie au-delà de quelques messages sur les médias sociaux. Sur X, elle a répondu aux attaques en disant 'On peut être raciste, mais pas sourd'. Naturalisée en 2021, la chanteuse a la double nationalité française et malienne. Mais dans un pays souvent mal à l’aise avec l’évolution de sa population – plus diverse, moins blanche, remettant davantage en cause le modèle français d’assimilation identitaire dans une citoyenneté prétendument indifférenciée – elle se trouve sur une ligne de fracture.» 

En oubliant au passage trois éléments de taille dans ce débat qui déchire l’hexagone: le fait que la chanteuse, star planétaire, est peu présente en France et qu’elle a été naturalisée depuis moins de trois ans. Le fait que l’idée de la voir chanter Edith Piaf lors de la cérémonie d’ouverture des JO n’a pas été confirmée, et le fait que le Mali, où la France a engagé ses troupes pour défendre la capitale Bamako en 2013, est aujourd’hui en lutte ouverte avec Paris.

La voix de Rokhaya Diallo

Le «New York Times» donne la parole à une autre voix française métissée, souvent citée dans la presse américaine: l’éditorialiste et activiste Rokhaya Diallo, issue d’une famille originaire du Sénégal et de Gambie. «Il y a une panique identitaire, estime-t-elle. Je pense que la France ne veut pas se voir telle qu’elle est réellement. La créativité linguistique d’Aya Nakamura sera perçue comme une incompétence plutôt que comme un talent artistique. Objet de cette remarque: les paroles de la chanteuse, tirées de l’argot et parfois osées, ouvertement sexualisées. Un comble de lui faire ce reproche lorsque l’on sait qu'Édith Piaf, à son époque, chantait pour le bonheur des Français et des Françaises: «Son cou portait «pas vu, pas pris»/Sur son cœur on lisait «personne»/Sur son bras droit un mot «raisonne»/J’sais pas son nom, je n’sais rien d’lui/Il m’a aimée toute la nuit/Mon légionnaire...»

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