Le RN, cible de l'Élysée
Macron-Le Pen: la guerre est déclarée (et le président est mal parti)

Emmanuel Macron jure que la nouvelle loi sur l'immigration est la meilleure arme pour lutter contre l'extrême-droite en France. Problème: ce texte signe la victoire politique de Marine Le Pen
Publié: 21.12.2023 à 18:06 heures
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Emmanuel Macron est comme Napoléon: il pense que la chance est l’arme fatale des vainqueurs. Le président français croit donc, d’abord, en sa bonne étoile politique après l’adoption controversée du projet de loi sur l’immigration qui vient de déchirer, mardi 19 décembre, sa majorité relative à l’Assemblée nationale.

Pour lui, l’essentiel est d’avancer. Il l’a promis pendant deux heures sur le plateau de l’émission «C à vous», réalisée en direct de l’Élysée moins de 24 heures après le vote du texte. Oui, il va continuer de se battre pendant les trois ans et demi de mandat qui lui restent (jusqu’en mai 2027). Et oui, sa cible est désignée: il s’agit de Marine Le Pen, 53 ans, la cheffe de l’extrême-droite qu’il a déjà battue deux fois dans les urnes, en 2017 et 2022.


Cette guerre, Emmanuel Macron, qui fête ses 46 ans ce jeudi aux côtés des militaires français stationnés en Jordanie, jure la conduire au nom des «valeurs de la République». Pour lui, le Rassemblement national «joue sur les peurs» et la nouvelle loi sur l’immigration est «le bouclier qui manquait» à la France. Son refrain: il est, en tant que locataire de l’Élysée, le mieux placé pour empêcher une victoire de Le Pen et de son parti à la prochaine présidentielle, alors que ce scénario est de plus en plus souvent accrédité par les sondages.

Emmanuel Macron a riposté médiatiquement après l'adoption controversée du projet de loi sur l'immigration. Sur le plateau de France Télévisions, il a présenté ce texte comme une arme anti Le Pen
Photo: DUKAS
1/5

Le «disrupteur» des années 2017-2020, ce président féru de nouvelles technologies et convaincu des vertus du «en même temps» se réinvente en chevalier anti-extrême droite. Sauf que la bataille est déjà engagée, et qu’il n’a pas cessé de perdre du terrain depuis sa réélection par 58,5% des voix contre 41,5% pour Marine Le Pen.

À l’issue des législatives de juin 2022, le président n’a obtenu qu’une majorité relative qui l’oblige à trouver des alliés pour faire voter les lois. Au gouvernement, un ministre (celui de la Santé) a claqué la porte après l’adoption du projet de loi immigration et 59 députés de la majorité ont voté contre. Alors: Macron, combien de divisions?

Basculement à droite

Le président manque en plus cruellement de généraux, de soldats et de matériel pour mener l’offensive victorieuse contre Marine Le Pen. La nouvelle loi sur l’immigration a scellé l’alliance de son camp avec la droite, de plus en plus proche de l’extrême-droite. «Le Macronisme est de droite, il n’est plus au centre. La fiction est terminée» explique à Blick le fameux journaliste politique Alain Duhamel, auteur du «Prince Balafré, Emmanuel Macron et les gaulois (très) réfractaires» (Ed. Observatoire).

Ce chroniqueur réputé estime même que l’actuel président replonge le pays «dans les affres de la fin de la IVe République», cette période d’instabilité chronique qui s’acheva avec le retour aux affaires du Général de Gaulle en 1958. «Tout y est, explique Alain Duhamel, les batailles de partis, les groupes de députés qui font la pluie et le beau temps, le désordre à l’Assemblée.» Macron-Napoléon donne, en plus, l’impression de ne pas avoir de plan de bataille. «Il donne l’impression d’avoir perdu sa boussole. Son 'en même temps' ne signifie plus rien» juge le politologue Pascal Perrineau.

Pas besoin de se retrancher

À l’inverse, Marine Le Pen n’a même pas besoin de se retrancher. Chaque nouveau combat politique lui permet d’apparaître comme une politicienne «normalisée», dont les valeurs d’ordre et d’autorité sont aujourd’hui partagées par une majorité de citoyens. Encore mieux: le désordre de la gauche et les attaques de la gauche radicale contre Macron lui ouvrent un espace social qu’elle a su occuper lors de la dernière présidentielle. Marine Le Pen, en plus, a des lieutenants.

Son commandant en chef est Jordan Bardella, président du RN. Elle a encouragé des députés à mener le combat sur le projet de loi immigration, que son parti a finalement voté dans une version plus répressive présentée le 19 décembre. Elle délègue quand Macron centralise tout. Elle se tait quand le président ne cesse de parler. Elle attend quand il se précipite. Elle sourit quand il affirme que cette nouvelle loi est une «défaite» pour le RN. «Le président Macron et le gouvernement n’ont pas pris les voix du Front national. Ils ont pris ses idées» a taclé dans les colonnes du «Monde» l’ancien président François Hollande.

Et maintenant?

Et maintenant? Emmanuel Macron n’a pas le temps. Il doit à tout prix redresser la barre avant les élections européennes du 9 juin 2024. Il doit panser les plaies de sa majorité. Alors que Marine Le Pen, elle, place ses pions. Elle refuse l’affrontement. Elle esquive. Elle pousse le jeune président à la faute. Et elle pense, peut-être, à l’histoire de Napoléon: lorsque la chance l’abandonna, l’Empereur fut finalement défait, et il dut abdiquer.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la