LVMH, fleuron ou diable français?
Bernard Arnault le sait: en France, être milliardaire est un calvaire

Quatorze milliards d'euros de profits pour son géant du luxe LVMH en 2022! Bernard Arnault attise de nouveau, en France, la polémique sur les profits faramineux des multinationales et la nécessité de les taxer davantage.
Publié: 27.01.2023 à 22:13 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il est le milliardaire le plus détesté de France. Normal! Bernard Arnault, 73 ans, est aussi, de très loin, l’homme le plus riche du pays. Et cela vient encore de s’aggraver ce vendredi 27 janvier, avec la publication des résultats 2022 de son groupe, le géant du luxe LVMH.

Près de 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires et des profits de quatorze milliards, soit une marge opérationnelle de 26,6%. Pour celui que le magazine américain «Forbes» classe au premier rang des fortunes mondiales, avec un patrimoine estimé à 150 milliards d’euros, 2023 démarre sur un champ de bataille: celui de la communication et de l’image, à la veille d’une seconde journée de mobilisation sociale et de grève générale contre le projet de réforme des retraites, mardi 31 janvier.

Un duel médiatique autour des résultats de LVMH

Mais d’où vient cette détestation qui transforme l’annonce des résultats de LVMH en duel médiatique entre tous ceux qui vouent aux gémonies le capitalisme «façon Arnault», et ceux qui tentent encore de le défendre?

À la tête des principales filiales de son groupe, Bernard Arnault, 73 ans, peut compter sur ses fils Antoine (PDG de Christian Dior), Frédéric, patron de Tag Heuer et Alexandre, vice-président du joaillier Tiffany. Sa fille Delphine, épouse du milliardaire Xavier Niel, est aux commandes de Christian Dior Couture depuis le 11 janvier.
Photo: DUKAS

Les chiffres, pourtant, devraient faire du bien à la France: numéro un mondial du luxe, 1,5 milliard d’euros d’impôts acquittés en France en 2022 (soit la moitié de ses impôts alors que 90% de ses ventes ont lieu hors de l’hexagone), 175’000 employés à travers le monde, une Fondation Louis Vuitton en tête du mécénat artistique international…

Seulement voilà: Bernard Arnault n’est pas Bernard Tapie. Le second, décédé le 3 octobre 2021, était loin d’être milliardaire. Il avait plusieurs fois gravement enfreint la loi, au point d’être condamné par la justice et incarcéré. Mais Tapie le flamboyant, chanteur amateur aux origines populaires, incarnait avec panache l’ambition et la réussite comme les Français l’adorent: mi-voyou, mi-homme d’affaires, avec le goût des gens en bandoulière.

Tapie claquait son fric et ne s’en cachait pas. Il aimait les yachts et la belle vie. Il prétendait avoir eu toujours le cœur à gauche et il parlait avec tout le monde. L’opinion lui pardonnait ses mensonges, ses escroqueries, ses démêlés avec le fisc et même l’incroyable histoire de son arbitrage favorable obtenu aux dépens de l’État français sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Le symbole de l’argent froid

Bernard Arnault est l’exact inverse. Le symbole de l’argent froid, en partie hérité, puis transformé en or par une incroyable habileté capitaliste déployée dans les coulisses des pouvoirs publics. On le sait peu, mais c’est la faillite d’une icône française qui fut la roue de la fortune pour cet ingénieur polytechnicien né dans une famille industrielle du nord de la France: celle du groupe textile Boussac en 1984, que le premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, cherche à solder.

Revenu des États-Unis, Bernard Arnault emporte la mise et met la main sur la pépite qu’il transformera en gisement de profits: Christian Dior. Son habileté à utiliser les aides publiques est légendaire. Cet homme de droite assumé, pianiste de talent, préfère alors l’ombre à la lumière. Son groupe de luxe peut naître, dopé par l’acquisition de Louis Vuitton en 1987.

Les Français ne digèrent pas ce succès

C’est cette ascension et ce style qu’une partie des Français n’ont jamais digérés. L’un des alter ego de Bernard Arnault, l’industriel breton François Pinault, propriétaire du groupe de luxe Kering, n’a jamais subi ces assauts médiatiques. Pinault était l’ami de Jacques Chirac. Bernard Arnault, propriétaire des journaux «Les Échos» et «Le Parisien», ne semble être l’ami de personne, même si son numéro deux Nicolas Bazire, fut le collaborateur le plus proche de l’ancien Premier ministre de droite Édouard Balladur.

Son gendre, le milliardaire des télécoms Xavier Niel (actionnaire du «Monde»), est souvent pointé du doigt, mais pas détesté. Arnault, lui, est une cible. En 2012, «Libération» le pilonne en une lors de l’annonce de son possible exil fiscal en Belgique: «Casse-toi, riche con!». En 2016, le député France insoumise (gauche radicale) François Ruffin le dynamite dans le documentaire «Merci Patron». Qu’importe l’appui financier de taille apporté par le groupe LVMH à l’artisanat d’art en France. Qu’importent ses investissements qui permettent de ressusciter certaines filières, comme la fabrication de gants dans l’Aveyron. Arnault est «le» riche par excellence. Celui dont la fortune alimente toujours les débats sur une taxation des «super profits».

Une France paniquée par la réforme des retraites

Le fait que les résultats 2022 de son groupe choquent autant est aussi à remettre dans le contexte actuel. Une partie de la France est paniquée par le projet en cours de réforme des retraites. Entre 50 et 60% des Français disent vivre des fins de mois difficiles selon les sondages. L’inflation menace. Le pouvoir d’achat chancelle.

Or LVMH explose coté bénéfices, tout comme Total Énergies ou le groupe maritime CMA-CGM. Plus évident encore: la collision des images. Total choque dans une France qui n’a jamais eu de pétrole (mais qui a des idées). LVMH irrite dans le pays de la mode qui devrait le révérer, car le groupe symbolise la réussite mondialisée, loin des frontières, avec quantité de filiales Offshore. Et tant pis si, lors de la pandémie, le groupe fit fabriquer massivement du gel hydroalcoolique.

Brigitte Macron aime Vuitton

Bernard Arnault est une cible parfaite. Brigitte Macron aime s’habiller en Vuitton. Son mari Emmanuel, «président des riches» pour une partie du pays, est présenté comme l’allié des multinationales. Le patron de LVMH, au physique raide comme son corpus mental, tient bon dans la tourmente. Il ne flirte pas avec les courants réactionnaires, comme le magnat Vincent Bolloré. Il contrôle son image au cordeau. Chacune de ses apparitions est millimétrée. Bernard Arnault incarne les contradictions françaises depuis le début de sa carrière. Un pied dans le système. Un pied dehors. Il le sait.

LVMH, entre bagagerie de luxe, champagne, joaillerie et haute couture, est la France rêvée que beaucoup ne supportent plus. Parce qu’elle vit des devises étrangères, qu’elle se joue des frontières et des lois, et qu’elle est le reflet d’une prospérité aux antipodes de l’autre passion nationale: celle de l’égalité.

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