Macron le propose (presque)
Si les Français votaient sur l’immigration, ça donnerait quoi?

Peut-on imaginer un référendum sur l’immigration en France? Emmanuel Macron, en tout cas, continue de l’évoquer. Il propose aux formations politiques d’en discuter dès son retour de Suisse, le 17 novembre.
Publié: 08.11.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 08.11.2023 à 12:43 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Faire voter les Français sur l’immigration en France: c’est l’idée qu’Emmanuel Macron vient de relancer, dans sa convocation adressée aux forces politiques pour le 17 novembre.

Pile à son retour de sa visite d’État en Suisse, le président français entend remettre sur la table la question d’une révision de la constitution pour élargir le champ du référendum. Et ce, au moment où le Sénat Français vient d’entamer le débat du nouveau projet de loi sur l’asile présenté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Mais voter sur quoi? Voici six questions qui pourraient être posées aux Français. Toutes sont polémiques. Toutes fractureront l’opinion. Attention, sans révision de la constitution, tout cela est théorique, voire impossible. Mais…

Des manifestants et des migrants participent à une manifestation contre la nouvelle loi sur l'immigration, devant le Sénat à Paris, France, le 6 novembre 2023.
Photo: keystone-sda.ch
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Pour ou contre le maintien dans l’espace Schengen

Cela serait un coup de tonnerre. Une déflagration politique colossale. N’empêche: pourquoi ne pas demander aux Français s’ils veulent, ou non, demeurer dans l’espace Schengen de libre circulation? La Suisse, rappelons-le, l’a intégré à la suite d'un référendum favorable (54,6% de voix favorables) en juin 2005, confirmé par une nouvelle votation en juin 2022.

La France aujourd’hui peut réintroduire pendant trente jours maximum le contrôle aux frontières en cas de «menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure». Si les Français décidaient majoritairement de sortir de Schengen par référendum, alors l’édifice européen serait gravement fissuré, avec toutes les conséquences économiques et politiques que cela suppose.

La thématique de campagne serait évidemment simple: reprendre le contrôle entier des frontières nationales. C’est ce que demande l’extrême-droite de longue date. Un vote favorable au maintien dans l’espace Schengen aurait en revanche un énorme avantage: clarifier pour de bon ce débat empoisonné.

Pour ou contre la législation européenne

Le pacte «Asile et migration» présenté par la Commission européenne en 2020 est toujours en négociation entre le Conseil (les 27 pays membres) et le Parlement européen. Une fois qu’il sera adopté, ses règles, par exemple sur la réparation des migrants pour soulager les pays de première arrivée, s’imposeront à tous.

Des pénalités financières seront acquittées pour ceux qui refusent. La Pologne et la Hongrie n’en veulent pas. Un référendum pourrait demander une exemption, comme l’a fait le Danemark, souvent cité en modèle.

Un autre sujet délicat est le respect par la France des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, émanation du Conseil de l’Europe, dont la Suisse est membre), qui permet aux migrants déboutés un ultime recours. Quitter la CEDH est juridiquement possible en activant son article 58. Le débat porterait, immanquablement, sur le recul du pays en matière de libertés publiques.

Pour ou contre la régularisation des travailleurs clandestins

Ce sujet est celui de l’article 3 de l’actuel projet de loi présenté par Gérald Darmanin au Sénat. L’idée est simple: un étranger sans papiers qui travaille, avec contrat à l’appui et (relative) stabilité financière, est utile au pays, surtout dans des métiers en tension (hôtellerie, services…) à la recherche d’employés.

L’avantage de cette question est qu’elle est positive. Elle ne fait pas rimer immigration avec rejet. Elle pose une condition à l’intégration. Avec, toujours, cette nuance: comment mettre en œuvre cette décision? Comment se protéger contre les risques de faux certificats de travail ou de fausses déclarations? Et à l’inverse, quel statut accorder à des étrangers qui travaillent de longue date, mais ne sont pas déclarés par leurs employeurs, par exemple les employés domestiques?

Pour ou contre la suppression de l’Aide médicale d’État

C’est l’un des sujets qui agite le plus les conversations. En France, l’Aide médicale d’État ou AME est, depuis le 1er janvier 2000, le mode de couverture des soins des personnes en situation irrégulière. En 2018, 320'000 personnes environ en bénéficiaient, et ce chiffre dépasse désormais les 400'000.

Mais des études estiment que le nombre réel est encore plus élevé, car les personnes éligibles n’en font pas systématiquement la demande. Ce dispositif permet aux clandestins un accès aux soins hospitaliers gratuit. Il est très contesté par la droite, et le Rassemblement national demande sa suppression de longue date.

Attention, jugent les auteurs d’un récent rapport: selon eux, l’AME n’est pas un «facteur d’attractivité» pour les étrangers et le suivi médicalisé des migrants est un outil sanitaire précieux.

Pour ou contre le regroupement familial

C’est l’autre sujet qui alimente la polémique. La preuve: lors de la première journée d’examen du projet de loi immigration, le Sénat a adopté plusieurs articles qui limitent le regroupement familial. Celui-ci visait à l’origine à permettre aux conjoints des travailleurs immigrés de les rejoindre, pour la stabilité de leur foyer.

Mais avec l’explosion des mariages mixtes dans les dernières décennies, le regroupement familial a ouvert la porte à d’autres arrivées en France. Il est ainsi possible aujourd’hui, écrit l’ancien préfet Patrick Stefanini dans son livre «Immigration, ces réalités qu’on nous cache» (Ed. Robert Laffont) d’invoquer à l’appui de sa demande de regroupement «les liens personnels ou familiaux» autres que le mariage ou la filiation.

Pour ou contre les aides aux pays qui refusent leurs ressortissants

Cet argument revient sans cesse. Lors de la campagne présidentielle 2017, le candidat François Fillon avait promis qu’une fois élu, il supprimerait toute aide publique aux pays qui refusent de recevoir leurs ressortissants expulsés par la France. D’autres proposent de lier l’octroi de visas à l’acceptation des rapatriés de force.

Ces propositions sont faciles à défendre face à une opinion chauffée à blanc. Une autre approche, sans doute plus constructive, serait de mettre en place une vraie politique d’incitation financière au retour, pour les personnes visées par une «Obligation de quitter le territoire français» (OQTF), dès qu’ils sont déboutés. A l’exemple de ce qui se passe en Suisse ou en Allemagne.

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