Macron rejette le RN et LFI
14 millions d'électeurs français ont-ils voté pour rien le 7 juillet?

Dans sa nouvelle lettre aux Français publiée le 10 juillet, Emmanuel Macron lance un appel à prolonger le «Front républicain» contre le Rassemblement national, et il écarte aussi un gouvernement avec La France Insoumise. Leurs électeurs se retrouvent donc rejetés.
Publié: 11.07.2024 à 10:11 heures
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Dernière mise à jour: 11.07.2024 à 17:22 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Leurs deux partis ont, chacun, de très bonnes raisons de crier victoire après les élections législatives françaises des 30 juin et 7 juillet. Les onze millions d’électeurs du Rassemblement national (RN), arrivé en tête avec près de dix millions de voix et 142 députés (contre 88 dans l’assemblée sortante) devraient, en théorie, voir leurs élus à la porte d’un futur gouvernement.

A l’opposé, les trois millions d’électeurs de La France Insoumise (LFI, gauche radicale), colonne vertébrale du Nouveau Front Populaire (NFP), l’alliance de gauche qui a totalisé 7,2 millions de voix et obtient – toutes formations confondues – 187 députés, espèrent logiquement voir leurs élus proposer un candidat premier ministre.

Bref, dans un autre pays que la France, ces treize millions d’électeurs seraient les premiers vers lequel le chef de l’État se tournerait, via leurs représentants à l’Assemblée nationale, pour constituer un nouvel exécutif. Mais voilà, la Ve République et son président Emmanuel Macron ne fonctionnent pas comme ça. La preuve: dans une nouvelle lettre adressée aux Français, via le réseau de radios locales France Bleu et la presse régionale, le chef de l’État a fait son choix.

Le Rassemblement national, parti de Marine Le Pen, a obtenu entre 10 et 11 millions de voix le 7 juillet.
Photo: keystone-sda.ch
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«Personne ne l’a emporté»

Sur le papier, Emmanuel Macron écarte seulement le RN: «Si l’extrême-droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, écrit-il, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement.» Mais dans les faits, son rejet inclut aussi LFI qu’il a clairement accusé, durant la campagne «d’immigrationnisme» et d’incitation à la «guerre civile». «Je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide», écrit le président.

La formation de Jean-Luc Mélenchon n’est pas nommée. Difficile, en revanche, de penser que le locataire de l’Élysée acceptera de voir ce parti représenté dans un gouvernement orienté à gauche, dont il conteste la légitimité puisque selon lui, «personne ne l’a emporté». «Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires», précise-t-il.

Comment une telle situation est-elle possible en France? La réponse tient en trois points que les 14 millions d’électeurs (sur 49 millions) rejetés dans l’opposition pourront méditer dans les prochaines semaines, puisque Emmanuel Macron prévient que tout cela «prendra du temps».

Le choix présidentiel

C’est le président français, «garant de l’unité de la nation» qui choisit le premier ministre. Lequel est ensuite responsable devant l’Assemblée nationale qui peut le renverser avec le vote d’une motion de censure, à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron, réélu pour cinq ans au suffrage universel en avril 2022, peut donc en théorie exclure tel ou tel candidat. Le problème, dans le cas de figure de ce scrutin provoqué par sa dissolution de l’assemblée, est qu’il refuse de se tourner vers la force politique arrivée en tête, à savoir la coalition de gauche, tout en excluant le RN.

En résumé: Macron veut trier entre les électeurs et les partis pour ressusciter son bloc central, alors que sa coalition sortante a perdu une centaine de députés.

Emmanuel Macron a publié une nouvelle lettre aux Français mercredi 10 juillet.
Photo: AFP

Les dessous du «Front Républicain» anti-RN

Marine Le Pen et Jordan Bardella accusent leurs opposants de s’être ligués contre eux dans un pacte antidémocratique pour faire battre les candidats RN, alors que tout les oppose. Cette accusation est à la fois juste et fausse. Oui, les électeurs décidés à faire barrage au Rassemblement national ont accepté de voter pour des candidats très éloignés de leurs opinions (la droite pour la gauche, et vice versa). Mais non, ce n’est pas du tout antidémocratique. Le scrutin majoritaire à deux tours, en France, permet cela. C’est connu.

Les 11 millions d’électeurs RN, faute d’alliés, se sont retrouvés impuissants face à la mobilisation contre l’extrême-droite. La question posée est maintenant de savoir si le groupe RN, qui pourrait être le plus important de l’assemblée lors de l’ouverture de la législature le 18 juillet, doit être tenu à l’écart de toute combinaison gouvernementale. La France Insoumise exige même de lui refuser des postes de vice-présidents ou de questeurs de l’assemblée.

En résumé: Les 11 millions d’électeurs du RN sont, de facto, traités comme anti-républicains.

La diabolisation de LFI

Ce scénario – là concerne les trois millions d’électeurs (sur 7,2 millions pour le Nouveau Front Populaire de gauche dans son ensemble) qui ont voté pour les candidats La France Insoumise aux deux tours. En sachant que parmi les 72 élus de ce parti, un certain nombre l’a emporté grâce au fameux «Front républicain» anti-RN. A ces électeurs de gauche, Emmanuel Macron adresse un «non» pas aussi clair, mais que tout le monde a compris. Les incantations de Jean-Luc Mélenchon, la politique pro-palestinienne de LFI, les accusations d’antisémitisme, la «bordellisation» parlementaire reprochée à ce parti jouent à plein contre lui. L’objectif-là, n’est pas de l’écarter en bloc, mais de faire exploser à la fois LFI et le NFP. Emmanuel Macron souhaite «trier» entre bons et mauvais électeurs de gauche.

Le Nouveau Front Populaire tient pour le moment. Il promet de proposer un candidat au poste de premier ministre. Mais qui? Et avec quelle participation de LFI et quel soutien de la part de Jean-Luc Mélenchon qui avait réalisé 21,9% des voix à la présidentielle de 2022, soit plus de 8 millions de voix et un écart de 440'000 suffrages avec Marine Le Pen, arrivée en seconde position.

En résumé: LFI fait peur, même dans une coalition. Prière à ses électeurs de voter autrement.

La France Insoumise (ici leur groupe de députés), le parti de gauche radical, a obtenu environ trois millions de voix.
Photo: imago/PanoramiC
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