Selon un politologue français
«Dissoudre l'Assemblée n'était ni une bonne idée, ni une solution»

Pour le politologue français Pierre Matthiot, la campagne puis le premier tour des législatives ont démontré qu'Emmanuel Macron n'a pas pris la bonne décision en renvoyant les députés devant les électeurs.
Publié: 07.07.2024 à 11:44 heures
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Dernière mise à jour: 07.07.2024 à 14:47 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Jour J pour le second tour des élections législatives françaises. Emmanuel Macron saura, ce dimanche soir, s’il a obtenu la clarification souhaitée du paysage politique français. Pour le politologue français Pierre Mathiot, rien n’est moins sûr.

Pierre Mathiot, ces législatives sont bonnes pour la démocratie?
Si l’on regarde le taux de participation, oui, c’est incontestable. On pourrait atteindre 68% de votants ce dimanche. Cela nous ramène aux années 70. L’autre bonne nouvelle est que cette ruée vers les urnes ne s’est pas faite au détriment d’un camp. Tous les électeurs se sont mobilisés. Il faut s’en féliciter.

Alors, pourquoi tant de critiques sur cette dissolution de l’Assemblée?
Parce qu’il est très peu probable que ce scrutin remplisse l’objectif assigné par Emmanuel Macron. Le président souhaitait clarifier le paysage politique. Il entendait par ces mots récupérer une majorité pour son camp. Le résultat est une poussée des extrêmes, à l’issue d’une campagne ridiculement courte. Cet échec laisse à penser que la décision de dissoudre était non préparée, ou mal préparée. Macron a minoré les risques à court et moyen terme.

Emmanuel Macron risque de se retrouver encore plus seul après le second tour des législatives.
Photo: keystone-sda.ch
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«C’est un événement historique: pour la première fois en France, un parti d’extrême-droite peut accéder au pouvoir par les urnes, de façon démocratique»
Pierre Mathiot, politologue
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Le RN sortira à nouveau grand vainqueur ce dimanche?
Le Rassemblement national a réalisé au premier tour un score exceptionnel, même s’il est en pourcentage plus bas qu’aux élections européennes du 9 juin. Il se retrouve dans une position inédite, avec 39 députés élus au premier tour au scrutin majoritaire, alors que le Front national en avait obtenu 35 en 1986, à la proportionnelle! Douze de ces députés sont élus dans ma région du Nord-Pas-de-Calais. Le RN est en tête dans 230 circonscriptions ce dimanche. C’est un événement historique: pour la première fois en France, un parti d’extrême-droite peut accéder au pouvoir par les urnes, de façon démocratique. Ceci, alors que le type de scrutin majoritaire semblait justement un obstacle infranchissable. Quels que soient les résultats ce soir, c’est une révolution politique.

Une victoire personnelle pour Marine Le Pen et Jordan Bardella?
C’est incontestable. Les deux ont très bien joué cette partie. Marine Le Pen est parfaite dans sa partition de candidate à la présidentielle qui sait s’effacer, mais conserve toute son autorité. La force du Rassemblement national est surtout qu’il peut désormais compter sur un fort vote d’adhésion. Le niveau de détestation des élites sortantes est tel que tout ce qu’ils racontent est accepté. Les candidats parachutés se retrouvent en tête au premier tour, alors qu’ils sont incapables de citer les communes de leur circonscription! Jordan Bardella peut évacuer les questions lors des débats télévisés: ceux qui veulent voter pour lui ne changeront pas d’avis. Ils sont la menace fantôme. Leur poussée est une forme de négation de la politique.

Et Macron, il sort battu?
Il faut se souvenir que le camp présidentiel disposait d’une majorité relative de 250 députés avant la dissolution. Au sortir du premier tour, son score en voix est plutôt correct, avec 21%. Mais ce soir, les députés pro-Macron devraient être entre 70 et 150. Le président sort donc affaibli, et sa coalition est divisée. Les formations qui le soutiennent ont perdu beaucoup de plumes à cause du président. Et tous savent que celui-ci ne peut pas se représenter en 2027 pour un troisième mandat. Il y a un vrai risque d’implosion de ce bloc central. Emmanuel Macron a réussi à abimer la Ve République et sa logique majoritaire. On va se retrouver avec une Assemblée nationale à dix ou douze groupes parlementaires. Avec un RN plus fort que jamais, y compris sur le plan financier grâce aux subsides publics liés à son nombre de députés. Le chiffre de 150 millions d’euros par an est crédible. Il va pouvoir utiliser cet argent pour rémunérer des salariés, former des jeunes, préparer des candidats. Voilà le résultat.

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«Le problème pour la gauche, en revanche, est que son Nouveau Front Populaire est une alliance défensive»
Pierre Mathiot, politologue
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La gauche se félicite d’être de retour. Juste?
Là aussi, Emmanuel Macron a raté son coup. Il avait misé sur l’incapacité de la gauche à s’entendre. Il comptait récupérer les socialistes et les Verts, et isoler les radicaux de La France Insoumise (LFI). C’est l’inverse qui s’est passé. Le problème pour la gauche, en revanche, est que son Nouveau Front Populaire (NFP) est une alliance défensive. Ils n’auront sans doute pas la majorité, même relative. Par contre, la leçon est claire: la gauche peut être au second tour de l’élection présidentielle, en 2027, si elle présente d’emblée une candidature unique. Ça doit être une base de réflexion. Avec une nuance: La France Insoumise, contrairement au PS et aux Verts, à aujourd’hui une base très fidèle. LFI capte les protestataires. Jean-Luc Mélenchon a joué la stratégie du noyau. Il garde donc les coudées franches, même s’il suscite beaucoup de rejet.

Au final, quelles leçons tirer pour la France?
Le pays vit électoralement à l’heure du ressenti et du ressentiment revanchard. Les petits contre les gros. Nous contre les élites. La volonté de se payer Emmanuel Macron et les siens. La grande erreur du président est psychologique. Il pense qu’il est encore aimé et respecté. Or, il se trompe.

Pour finir, quels scénarios pour ce dimanche soir?
Le scénario d’un Rassemblement national qui obtiendrait une majorité absolue de sièges s’est éloigné cette semaine selon les sondages. Il va donc falloir bricoler une majorité. Le RN pourrait être le mieux placé pour y parvenir, en misant sur des débauchages individuels. Je n’exclus pas non plus qu’en cas de statu quo, avec trois blocs de force presque égale, Emmanuel Macron garde Gabriel Attal à son poste pour expédier les affaires courantes et gagner du temps pendant les Jeux Olympiques. En France, le premier ministre n’a pas besoin de solliciter un vote de confiance de l’Assemblée. L’idée d’un gouvernement «technique» me semble plus compliquée, car s’il veut vraiment agir et gouverner, ce cabinet se trouvera très vite au risque d’une motion de censure. Mon inventaire prouve ce que je vous disais au début: Dissoudre l’Assemblée de cette façon, à ce moment-là, n’était ni une bonne idée, ni une solution.

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