2 à 300 enterrements par jour
A Gaza, cimetières remplis, tombes superposées et fossoyeurs surmenés

Gaza ne se contente pas de pleurer ses morts, elle doit aussi les enterrer. L'AFP est partie à la rencontre Saadi Hassan Barakeh, un fossoyeur gazaoui surmené, mais bien vivant. Reportage.
Publié: 16.08.2024 à 11:22 heures
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Dernière mise à jour: 16.08.2024 à 22:29 heures
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AFP Agence France-Presse

Sous le soleil, une demi-douzaine d'hommes alignent des parpaings dans le sable pour former une rangée de rectangles: ce sont les tombes des futurs morts de la bande de Gaza. Avant, Saadi Hassan Barakeh était le fossoyeur en chef de deux cimetières de Deir al-Balah, dans le centre du petit territoire palestinien bombardé par Israël depuis plus de dix mois. «Le cimetière d'Ansar est désormais totalement rempli. Les martyrs étaient trop nombreux», lâche ce Palestinien de 63 ans, dont 28 passés à creuser des tombes tracées au cordeau.

Une fois les trois hectares et demi d'Ansar saturés, il se concentre sur al-Soueid, un autre cimetière, de cinq hectares et demi celui-là. Mais même avec un seul site contre deux avant la guerre déclenchée par Israël le 7 octobre après l'attaque meurtrière du Hamas le même jour sur le sol israélien, il n'arrête pas. «De 06H00 du matin à 18H00, tous les jours», raconte-t-il à l'AFPTV. «Avant la guerre, chaque semaine on avait un ou deux enterrements, grand maximum cinq. Aujourd'hui, il y a des semaines où j'enterre 200 ou 300 personnes, c'est inimaginable», confie le fossoyeur, la tête couverte d'une calotte blanche assortie à sa longue barbe.

«Il y a une famille dont j'ai enterré 47 femmes»

Sa jellaba noire est retroussée sur un pantalon qui fut beige avant d'être recouvert de sable et de poussière qu'il remue toute la journée. «Le cimetière est tellement rempli que maintenant on creuse des tombes au-dessus de tombes, on a mis les morts en étage», poursuit celui qui a vécu «toutes les guerres à Gaza» mais dit n'avoir «jamais vu ça». Au premier rang du malheur, Saadi Hassan Barakeh continue d'encourager les 12 ouvriers qui l'aident à creuser, agencer et refermer des dizaines de tombes à la journée. Mais, le soir, des images le hantent.

Des Palestiniens se rendent sur les tombes de leurs proches au début de la fête de l'Aïd al-Fitr, qui marque la fin du mois sacré musulman du Ramadan, dans un cimetière de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 avril 2024.
Photo: AFP
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«Je n'arrive pas à dormir après avoir vu autant de corps d'enfants déchiquetés et de femmes tuées», explique-t-il, pelle-bêche en main. «Il y a une famille dont j'ai enterré 47 femmes. Il y en avait 16 qui étaient enceintes», poursuit-t-il. Après l'attaque du 7 octobre qui a entraîné la mort de 1198 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données officielles israéliennes, Israël a juré de détruire le Hamas, au pouvoir à Gaza.

En représailles, les bombardements de l'armée israélienne ont fait plus de 40'000 morts dans le petit territoire palestinien assiégé – après 17 années de blocus israélien – selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas. «J'ai enterré beaucoup de femmes et d'enfants, et seulement deux ou trois types du Hamas», le mouvement islamiste palestinien qui a récemment nommé à sa tête Yahya Sinouar, l'architecte de l'attaque du 7 octobre, assure Saadi Hassan Barakeh.

Le prix des parpaings s'envolent

Si les Israéliens «ont un problème avec Sinouar, pourquoi ils s'en prennent aux enfants? Qu'ils tuent Sinouar et tous les autres, mais pourquoi les femmes et les enfants?», s'emporte le Gazaoui. Autour de lui, des pierres tombales blanches s'étalent à la ronde, tandis que dans les rares espaces encore vides, des hommes s'activent à creuser de nouveaux trous, le visage en sueur.

D'autres amènent à la chaîne des parpaings dont le prix a flambé – «un shekel avant la guerre contre 10 ou 12 aujourd'hui», dit Saadi Hassan Barakeh, parce que les usines sont à l'arrêt faute d'électricité et de matières premières. Des tas bombés de terre fraîchement retournée témoignent des enterrements des derniers jours.

À l'exception des fossoyeurs et autres manœuvres portant des parpaings, plus personne ne vient. «Avant la guerre, on pouvait avoir un millier de personnes qui assistaient à l'enterrement d'une personne, aujourd'hui, il y a des jours où on enterre 100 personnes et il n'y a même pas 20 personnes pour les mettre en terre», se désole Saadi Hassan Barakeh. Au-dessus de sa tête, le bourdonnement des drones est incessant. Un memento mori de plus à Gaza.

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