Accord au sommet européen
50 milliards d'euros pour l'Ukraine, c'est aider la paix ou la guerre?

Les dirigeants des 27 pays membres de l'Union européenne ont donné leur feu vert, à Bruxelles, pour un plan d'aide à l'Ukraine de 50 milliards d'euros. Viktor Orban, qui s'y opposait, a finalement cédé.
Publié: 01.02.2024 à 13:30 heures
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Dernière mise à jour: 01.02.2024 à 14:09 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

L’Union européenne vient de décider à l’unanimité le plan d’aide le plus massif jamais adopté pour un pays tiers. C’est en effet 50 milliards d’euros sur trois ans, de 2024 à 2027, qui seront déboursés par l’UE pour tenir l’Ukraine à bout de bras, face à la Russie. Cette somme vient s’ajouter aux aides bilatérales (51,05 milliards d’euros en décembre 2023) et aux fonds déjà alloués à l’Ukraine par l’Union européenne (81,35 milliards d’euros).

Le premier ministre Viktor Orban a jusqu’à la dernière minute menacé de bloquer cette aide, estimant qu’elle entraîne une prolongation des hostilités, alors que la guerre ne peut pas être gagnée par Kiev. Il s’est finalement rallié à l’avis des 26 autres chefs d’État ou de gouvernement de l’Union. Argent pour la paix ou argent pour la guerre?

Pourquoi allouer 50 milliards d’euros à l’Ukraine?

Un pays en guerre ne se résume pas à son armée, et aux équipements militaires fournis par ses alliés. L’Ukraine – dont le Produit intérieur brut s’élevait en 2022 à 160 milliards de dollars (environ 800 milliards pour la Suisse) – doit aussi tenir sur le plan économique, industriel, agricole. Mais aussi tout simplement sur le plan politique, alors que l’élection présidentielle initialement prévue le 31 mars sera sans doute reportée. Telle est, officiellement, la raison de ce plan d’aide européen massif, inédit pour un pays tiers depuis la création de la Communauté européenne. L’Union va prêter 33 milliards à l’Ukraine, et lui donner 17 milliards.

Cette somme viendra en plus des aides bilatérales et des dons ou ventes de matériel militaire. «L’Ukraine lutte courageusement contre l’invasion russe et a besoin de notre soutien financier stable pour faire face aux coûts énormes que cela implique, a commenté la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Nous resterons à ses côtés aussi longtemps qu’il le faudra et nous sommes fidèles à notre parole. Aujourd’hui, nous proposons de prévoir jusqu’à 50 milliards d’euros entre 2024 et 2027 pour aider l’Ukraine à résister à l’agression et à reconstruire un pays moderne et prospère. Les Ukrainiens se dirigent résolument vers l’Europe. Et notre Union soutient cette nation courageuse dans ses efforts.» Il s’agit donc, aussi, avec cet argent, de mettre l’Ukraine «à niveau» pour l’aider à remplir les critères indispensables à son processus d’adhésion à l’UE, lancé en décembre 2023.

Soutenir l’Ukraine, c’est combattre la Russie?

Oui. L’Union européenne vient, avec cette décision prise à l’unanimité, de monter à Vladimir Poutine qu’elle n’est pas divisée. Ce fut compliqué. Mais tout est toujours compliqué au sein de l’UE. Il faut bien comprendre que Viktor Orban est considéré par beaucoup de dirigeants européens comme le «cheval de Troie» du président Russe. Il est le seul dirigeant européen à l’avoir rencontré cordialement en octobre 2023 lors d’un sommet en Chine.

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Photo: AFP
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Orban est aussi le seul chef de gouvernement de l’UE à soutenir ouvertement la candidature de Donald Trump à la Maison-Blanche. Il a même déclaré, juste avant ce sommet européen, que la guerre en Ukraine n’aurait pas eu lieu si Trump avait été réélu en 2020. Il faut aussi rappeler que, parallèlement à ce déblocage de 50 milliards d’euros sur trois ans d’ici à 2027, l’Union européenne va adopter un treizième paquet de sanctions économiques contre la Russie, sans doute pour le deuxième anniversaire de l’agression du 24 février 2022.

Que va faire l’Ukraine de ces 50 milliards?

Sur le papier, le plan d’aide européen est bien cadré. Il s’agit d’un «soutien financier à l’État sous forme de subventions et de prêts». Dans le texte: «Cela permettra d’assurer un financement stable et prévisible, de soutenir la viabilité des finances de l’Ukraine, tout en fournissant un cadre solide pour la protection du budget de l’UE. Pour bénéficier de ce soutien, le gouvernement ukrainien devra préparer un plan de redressement, de reconstruction et de modernisation du pays et détailler les réformes et les investissements qu’il entend entreprendre dans le cadre de son processus d’adhésion à l’UE. Les fonds alloués au titre de ce pilier de la facilité seront fournis sur la base de la mise en œuvre du plan, qui sera étayé par un ensemble de conditions et un calendrier de décaissement. L’accent sera mis sur la réforme de l’administration publique, la bonne gouvernance, l’État de droit, la lutte contre la corruption et la bonne gestion financière.»

Mais dans les faits? On connaît la corruption massive en Ukraine. Une enquête est d’ailleurs en cours sur le détournement d’environ 40 millions de dollars d’achats d’armes. La question la plus simple est celle qui fait mal: Qui va contrôler l’utilisation de cet argent? Et avec quelles conséquences, puisque le gouvernement de Kiev pourra toujours dire «Nous sommes en guerre».

Orban a cédé, c’est une bonne nouvelle?

La bonne nouvelle, du point de vue de l’Union européenne, c’est l’accord unanime. Toute division profite en effet aux adversaires de l’UE et à ceux qui rêvent de l’affaiblir et de la détruire, comme Vladimir Poutine. Ce plan de 50 milliards d’euros est aussi une réponse au gouvernement américain qui, sans cesse, redit aux Européens que l’Ukraine est «leur» guerre.

On peut d’ailleurs comparer ce plan à ce que décidèrent les États-Unis avec le plan Marshall (environ 20 milliards de dollars de l’époque, entre 1947 et 1951) destiné à reconstruire l’Europe après la seconde guerre mondiale. Écarter en revanche les arguments de Viktor Orban serait une erreur. Le premier ministre Hongrois répète que cette guerre ne peut pas être gagnée par l’Ukraine, et beaucoup d’Européens pensent comme lui.

Il y aura, rappelons-le, des élections européennes du 6 au 9 juin. Orban a des alliés, à commencer par le premier ministre Slovaque Robert Fico. Il a cédé parce que les pressions étaient trop fortes. Mais il ne va pas se taire. Il va par ailleurs continuer d’exiger le déblocage des fonds européens dus à son pays. Dans la chaussure européenne, le caillou Orban va encore faire mal dans les années à venir.

Ces 50 milliards, c’est aussi pour des achats d’armes?

Non. Ces 50 milliards vont servir à créer et à financer un mécanisme d’assistance civile à l’Ukraine en guerre. L’Union européenne a en revanche, depuis le 24 février 2022, débloqué 5,6 milliards d’euros pour acheter des armes, auxquels viennent s’ajouter les 80 milliards d’euros de commandes, prêts ou dons financés par ses 27 États membres.

Cette fois, les 50 milliards d’euros pour 2024-2027 alimenteront «un cadre d’investissement spécifique à l’Ukraine, conçu pour attirer et mobiliser les investissements publics et privés en faveur du redressement et de la reconstruction du pays». Cet argent financera aussi «l’expertise sur les réformes, le soutien aux municipalités, à la société civile et d’autres formes d’assistance bilatérale».

Mais attention: qui dit soutien économique dit aussi lutte contre la Russie sous d’autres formes. Le communiqué européen le dit bien: «Dans le cadre de ce pilier, il sera possible de soutenir d’autres initiatives visant à répondre à l’agression russe contre l’Ukraine, notamment pour faire respecter le droit international en ce qui concerne les crimes commis par la Russie sur le territoire de l’Ukraine.»

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