Non aux milliards de la guerre
Viktor Orban est-il un affreux maître chanteur ou un Européen pragmatique?

Le Premier ministre hongrois a finalement accepté jeudi 1er février le déblocage de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine par l'Union européenne. Mais les questions qu'il pose feraient mieux de ne pas être écartées Analyse.
Publié: 01.02.2024 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 01.02.2024 à 14:36 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Seul contre tous. Seul contre la Commission européenne, dont les bureaucrates échafaudent des plans pour punir son pays, s’il continue d’opposer son veto à l’aide financière à l’Ukraine. Seul, aussi, contre ces trente partenaires de l’OTAN, qu’il continue de faire languir en retardant la ratification, par le parlement hongrois, de l’entrée de la Suède dans l’Alliance atlantique.

Viktor Orban, 60 ans, reste aujourd’hui le dirigeant européen qu’il faut abattre politiquement, même s'il vient finalement d'accepter le déblocage de 50 milliards d'euros pour aider l'Ukraine, entre 2024 et 2027. «We have a deal» (Nous avons un accord) a annoncé vers midi sur le réseau social X le président du Conseil européen Charles Michel, dès le début du sommet extraordinaire des 27. Il faut dire que depuis plusieurs jours, les pressions sur le premier ministre hongrois étaient énormes. Le quotidien «Financial Times» avait révélé qu’au sein de la Commission, certains échafaudaient déjà des plans pour affaiblir l’économie hongroise, si Budapest avait décidé de maintenir son veto au déblocage de 50 milliards d’euros pour tenir l’Ukraine en guerre à bout de bras. Pour tous ses adversaires, Orban le national populiste est en effet un maître chanteur. La solidarité ne lui convient que si elle lui profite.

Orban est isolé

Seul contre tous, vraiment? Oui, si l’on parle des 26 autres Chefs d’État ou de gouvernement des pays membres de l’Union européenne, à la veille du sommet extraordinaire sur l’Ukraine qui n'aboutira donc pas à une crise ouverte, comme on pouvait le craindre. 

Au sommet extraordinaire de Bruxelles ce jeudi 1er février, Viktor Orban est au centre du jeu. Sans lui, pas d'accord à 27.
Photo: AFP
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Le Premier ministre slovaque Robert Fico, lui aussi hostile à toute aide militaire à l’Ukraine, n'a pas fait obstruction aux financements civils. Le leader d’extrême droite néerlandais Geert Wilders, vainqueur des élections législatives du 22 novembre 2023 et donné comme futur chef du gouvernement, n’est pour sa part pas encore au pouvoir.

Orban était donc bien isolé. Il a aussomé, puis cédé. Non sans avoir répété avant le sommet de Bruxelles à l’hebdomadaire «Le Point» qu’il défend la paix, qu’il veut que la guerre cesse et qu’il exige, pour accepter le déblocage des 50 milliards d’euros communautaires pour la période 2024-2027, la possibilité de réviser cette manne de prêts (33 milliards) et de dons (17 milliards) chaque année, en fonction des résultats. Une évaluation annuelle à l’unanimité des 27 qui lui permettrait donc, à chaque fois, de brandir la menace d’un veto.

Il dit ce qu’il fait

Le problème est que Viktor Orban dit et explique ce qu’il fait. Et c’est là que sa position mérite d’être décryptée, d’autant que son pays, la Hongrie, doit assumer la présidence tournante de l’UE au second semestre 2024.

  • Point 1: Orban ne croit pas à une victoire possible de l’Ukraine.
  • Point 2: Orban, toujours ultra-dépendant du gaz russe que l’Union lui permet toujours d’importer, pense que les Européens ont besoin de la Russie.
  • Point 3: Orban estime que sur le plan agricole et industriel, une Ukraine européenne sera une concurrence catastrophique pour les actuels pays membres.
  • Point 4: Orban estime que la règle de l’unanimité est faite, justement, pour pouvoir tout se dire et entendre tous les points de vue. Il ne se voit donc pas comme un démolisseur de la solidarité européenne. Mais comme l’avant-garde de la liberté de penser l’avenir de l’UE et de l’Ukraine.

Du chantage?

Est-ce du chantage? Oui. Car Orban est seul face aux 26 autres, que ses liens avec Vladimir Poutine sont connus, et qu’il attend avec impatience le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Orban fonctionne, selon ses détracteurs, en opportuniste dangereux. «Si le soutien à l’Ukraine marquait le pas, si la cohésion de l’UE s’affaiblissait et que la partie européenne de l’OTAN négligeait de renforcer sa propre défense, alors la Russie aurait tous les atouts en main», note le quotidien finlandais «Iltalehti», cité par la revue de presse Eurotopics.

«La seule chose qui manquerait, dès lors, ce serait un nouveau président américain qui, plutôt que de s’employer à défendre le flanc Est de l’OTAN en Europe, décidait de se focaliser sur la Chine. La Russie aurait alors le champ libre pour conquérir de nouvelles sphères d’influence.

La Finlande et l’UE doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher ce scénario.» La Finlande, rappelons-le, est l’autre pays neutre qui a choisi, avec la Suède, de rejoindre l’Otan après l’agression russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022. La Hongrie prend bel et bien en otage le sort de tous les pays de l’Union.

Les arguments d’Orban

Orban a-t-il tort? Pas si sûr en revanche. Dans «Le Point», il rejette les menaces économiques révélées par le «Financial Times» et démenties par la Commission. Normal: l’exécutif européen n’est pas là pour punir les pays membres, et n’a pas reçu de mandat pour le faire à propos de l’Ukraine. Le Premier ministre hongrois sait par ailleurs qu’il parle au nom de nombreux électeurs avant les élections européennes du 9 juin 2024. Son camp national populiste a le vent en poupe selon les sondages.

La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, venue de l’extrême-droite, est «confrontée au dilemme de choisir entre sa vocation européiste et la tentation de 'sauver le soldat Orban', qui reste l’ami et l’allié de la droite européenne» note la presse transalpine. Le premier ministre Slovaque reste en embuscade. Et les partis de droite dure tiennent tous le même discours: l’Ukraine ne mérite pas ce soutien sans faille. Le retour de Trump changera tout. Poutine, qui sera réélu à la mi-mars, est là pour rester à Moscou. Pas sûr que les citoyens européens soient tellement en désaccord avec Orban…

Orban en victime

Viktor Orban adore se présenter comme une victime. Il surfe ainsi sur la fierté de son peuple. Or plus ils haussent le ton, plus ses partenaires le victimisent. «L’activation de l’article 7 du traité sur l’UE reviendrait à priver la Hongrie de son droit de vote au Conseil européen, et certains Etats seraient prêts à transformer cette option théorique en menace réelle, afin de contraindre Orban à céder lors du sommet de jeudi. C’est très risqué» note le quotidien polonais proeuropéen «Gazeta», dans un pays où le ressentiment monte contre la concurrence déloyale des travailleurs et des produits agricoles ukrainiens.

«Il semble que ce levier pourrait être combiné à un gel de tous les fonds européens destinés à la Hongrie, ainsi qu’à la volonté de provoquer une perte de confiance des marchés et des investisseurs dans le pays d’Orban. L’UE n’a encore jamais recouru à de tels procédés contre un Etat membre. C’est très grave.»

Colère paysanne

Là aussi, attention: Viktor Orban a préparé son coup. Il sait que, face à la colère de leurs paysans, d’autres pays européens s’inquiètent de la concurrence ukrainienne. Le président français Emmanuel Macron, mobilisé pour obtenir des concessions agricoles de Bruxelles dès ce jeudi, en marge du sommet sur l’Ukraine, avait bien compris l’enjeu: son entourage a toujours affirmé que «toute solution à 26 qui exclurait la Hongrie est hors de propos».

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