Blick en reportage à Kiev
«Nous ne pouvons pas placer tous nos espoirs dans l'Occident»

Alors que le ballet diplomatique battait son plein cette semaine à Genève, Bruxelles et Vienne, les Ukrainiens vivent au quotidien la réalité du conflit avec la Russie. Blick s'est rendu à Kiev pour interroger la population sur cette situation difficile. Témoignages.
Publié: 15.01.2022 à 06:19 heures
|
Dernière mise à jour: 15.01.2022 à 07:08 heures
Lea Ernst, à Kiev

La place Sainte-Sophie, dans le centre-ville de Kiev, est pleine à craquer. Par -15 degrés, on chante et on hurle, de plus en plus de gens emmitouflés dans d'épais manteaux de fourrure sortent des ruelles escarpées pour se rendre directement sur le marché de Noël. Au-dessus de leurs têtes, des guirlandes lumineuses et les coupoles dorées de la cathédrale Sainte-Sophie brillent à travers la neige.

Car en Ukraine, le temps passe différemment. Alors que les discussions avec la Russie ont eu lieu cette semaine en Europe occidentale, l'Ukraine est non seulement en guerre, mais aussi en plein milieu de la période de Noël et du Nouvel An en raison du calendrier julien.

La machine à propagande russe

Cachée dans une arrière-cour entre de hauts blocs d'immeubles, à cinq minutes à pied de la place Sophia, la photographe et étudiante en linguistique Sophia Vinnichenko, 21 ans, est assise dans un café branché. Comme elle veut étudier l'art à Berlin, elle apprend l'allemand. Elle parle couramment l'anglais et l'ukrainien. Le fait que la langue ukrainienne soit à nouveau encouragée après avoir été longtemps réprimée à l'époque soviétique est une très bonne chose. «Mais ma langue maternelle, celle dans laquelle je pense et je rêve, est le russe.» La langue de l'ennemi. Alors, depuis la révolution ukrainienne de Maidan en 2014, la jeune femme préfère passer à l'ukrainien dès qu'elle rencontre des inconnus dans sa ville natale de Kiev.

Cette semaine, des discussions entre l'UE, l'OTAN et la Russie ont eu lieu presque tous les jours à Genève, Bruxelles et Vienne. L'objectif: empêcher une nouvelle escalade de la guerre en Ukraine.
Photo: Lea Ernst
1/16

Sophia Vinnichenko a de la famille et des amis en Russie. Malgré cela, il lui est difficile de faire la distinction entre la population et le gouvernement du pays voisin. Car la machine de propagande fonctionne comme sur des roulettes en Russie. De nombreux citoyens y pensent donc qu'une nouvelle invasion de l'Ukraine libérerait la partie russophone de sa population. «C'est totalement absurde, s'indigne Sophia. L'immense majorité d'entre nous ne veut pas faire partie de la Russie. Et la guerre, nous n'en voulons surtout pas!»

La Russie, un «voisin toxique»

Il y a quelques semaines, lorsque la Russie a rassemblé environ 100'000 soldats à la frontière avec l'Ukraine, une amie de Sophia Vinnichenko est retournée vivre chez sa mère à la campagne. Pour pouvoir être avec elle en cas de besoin. Mais on devient étrangement blasé, selon la jeune femme: «Quand on n'a soi-même perdu personne au combat, on s'habitue à l'état de guerre.»

Le cinéaste Oleksiy Radynski, 37 ans, est dans le même cas. «Pour nous, qui ne vivons pas directement sur le front, la guerre, avec toutes ses particularités en réalité complètement inacceptables, est devenue la nouvelle norme.» Il critique son propre gouvernement, qui selon lui profite du conflit en faisant passer de nombreuses décisions injustes et en les motivant par la situation extrême liée à la guerre.

Pourtant, la vie à Kiev est loin d'être comparable à la vie sur le front, à l'est du pays. Là où la pauvreté, la fuite et la mort sont à l'ordre du jour. Oleksiy Radynski manie la métaphore: «Avoir la Russie comme voisine, c'est comme si on avait mis fin à une relation toxique il y a trente ans, mais qu'on devait encore aujourd'hui demander une ordonnance d'éloignement.»

L'incertitude oppressante de l'OTAN

Un peu plus loin, au Blue Cup Coffee, directement dans la très animée rue Puschinska, Anastasiia Shevchenko, 28 ans, a dîné après le travail. Elle est directrice de la création pour un parti d'opposition. La jeune femme a grandi à Kiev, aime sa ville et n'a jamais ressenti le besoin d'aller vivre ailleurs.

Le fait que des discussions aient eu lieu cette semaine entre la Russie, l'OTAN et l'UE est certes un progrès, poursuit-elle en passant la main sur ses cheveux ras, «mais en Ukraine, nous ne pouvons pas placer tous nos espoirs dans l'Occident. Après tout, nous ne savons absolument pas si et quand nous pourrons devenir membres de l'OTAN.»

Anastasiia Shevchenko voit elle aussi un besoin d'agir avant tout au sein de son propre gouvernement: «Notre président, Volodymyr Zelensky, n'entreprend malheureusement pas la moindre action pour satisfaire aux exigences que l'OTAN ou le Fonds monétaire international posent à l'Ukraine en vue d'une adhésion.» Le problème principal: le gouvernement ukrainien ne cherche pas de solutions à long terme pour son pays, mais ne s'occupe que de ses propres affaires et de son système oligarchique, affirme la jeune femme, avec une pointe d'amertume: «Si nous pouvions répondre aux exigences de l'OTAN, nous aurions peut-être une chance.»

(Adaptation par Yvan Mulone)

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la