Confidences du chef du conseil de guerre de Zelensky
«Aucun pays ne pourrait vaincre un adversaire comme la Russie sans soutien de ses alliés»

Oleksy Danilov est le chef du conseil de guerre de Volodymyr Zelensky. Pour Blick, il revient sur ce qu'a apporté la contre-offensive ukrainienne, comment son pays compte recruter 500'000 nouveaux soldats, et ce que la Suisse doit encore apprendre de l'Ukraine.
Publié: 27.12.2023 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 27.12.2023 à 07:32 heures
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Samuel Schumacher

A 61 ans, Oleksiy Danilov ne connaît que trop bien le stress au travail. En tant que chef du Conseil national de sécurité et de défense de l'Ukraine, ce vétérinaire de formation et professeur d'histoire est en quelque sorte le maître d'œuvre du cabinet de guerre de Volodymyr Zelensky. Chaque matin à sept heures, il informe le président des nouvelles principales des services secrets, de l'armée et de la politique.

Depuis le début de la guerre, il organise et coordonne le travail au quartier général à Kiev. Sa ville natale de Louhansk est occupée, son pays est en grande difficulté. Mais lors de l'interview Skype avec «Blick», il semble confiant sur la finalité de la guerre. Un élément en particulier lui donne la puce à l'oreille.

Monsieur Danilov, la contre-offensive n'a pas eu le succès attendu. Qu'est-ce qui a mal tourné?
Rien n'a mal tourné. Le front offensif de cette guerre est immense. Dans certains domaines, l'offensive n'a pas fonctionné comme prévu, dans d'autres, nous avons obtenu de très bons résultats. Pensez par exemple aux attaques réussies contre les occupants de la Crimée ou aux frappes contre la flotte russe de la mer Noire.

Oleksy Danilov est le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense de l'Ukraine, en quelque sorte le maître d'œuvre du cabinet de guerre de Zelensky.
Photo: EPA
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L'Occident, récemment hésitant, est-il en partie responsable des débouchés de la contre-offensive?
La Suisse fait également partie de l'Occident. Est-ce que votre pays nous a livré des armes?

Non.
Alors, vous connaissez la réponse. Presque aucun pays, y compris la Suisse, ne pourrait vaincre un adversaire comme la Russie sans armes et sans le soutien de ses alliés. C'est impossible.

La Suisse tient à sa neutralité. Qu'attendez-vous de notre pays pour l'année à venir?
La Suisse n'a toujours pas compris une chose: Hitler et Poutine sont des jumeaux, intellectuellement parlant. N'oubliez pas à qui nous avons affaire. Si vous voulez que les Russes massacrent bientôt des femmes et des enfants à Zurich, continuez à observer passivement les combats. Mais je me demande comment vous parvenez à rester neutres en voyant un pays tuer des milliers d'enfants et violer des femmes. Si nous vous sommes réellement reconnaissants à votre pays d'avoir offert une protection à tant de familles ukrainiennes, nous avons maintenant besoin d'armes. 

Le 14 janvier, une conférence sur la formule de paix du président Zelensky aura lieu en Suisse. Viendra-t-il personnellement à Davos?
Le bureau du président se penche actuellement sur cette question. Je ne peux pas en dire plus à ce sujet.

Quel est l'objectif de cette conférence?
Nous voulons obtenir le plus de soutien possible pour notre plan de paix en dix points. Nous l'avons déjà fait lors de conférences précédentes, en annonçant clairement les conditions selon lesquelles nous accepterons une paix avec la Russie. Les terroristes doivent quitter l'ensemble de notre territoire, y compris la Crimée. Sans cela, cette guerre ne prendra pas fin.

Vous-même ne cessez de répéter que l'Ukraine libérera chaque mètre carré occupé du pays. Le monde entier se pose cette question: quand la guerre prendra-t-elle fin?
Personne ne le sait. Cela dépend beaucoup de ce que l'Occident fera. En novembre encore, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis nous ont assuré qu'ils nous soutiendraient jusqu'au bout. Nous avons besoin de ce soutien.

Les Etats-Unis ont mis fin à leur soutien à l'Ukraine. Sans nouvelles armes américaines – missiles HIMARS, chars, munitions – Kiev devra bientôt capituler.
En temps de guerre, vous avez toujours des problèmes. Cela fait partie du jeu. Mais notre peuple défendra le pays, quoi qu'il arrive. L'affaire de l'aide américaine est une question purement technique. Nous allons la résoudre.

Les soldats se font également rares. Selon Zelensky, la direction de l'armée veut recruter près de 500'000 nouveaux soldats. Les femmes, les hommes âgés et les pères de famille de plus de trois enfants, jusqu'ici épargnés, seront-ils également enrôlés?
Nous n'obligerons pas les femmes et les hommes âgés à servir dans l'armée! Ceux qui prétendent le contraire tombent dans le piège de la propagande russe. Quant à la demande de l'armée de 500'000 nouveaux soldats, il ne faut pas en faire toute une tragédie. Nous n'avons pas besoin d'eux tous en même temps. C'est un processus de recrutement tout à fait normal. Nous voulons pouvoir maintenir notre système de rotation afin que nos soldats actuels puissent se reposer et rendre visite à leurs familles.

Le ministre de la Défense Roustem Oumierov veut désormais mobiliser des Ukrainiens vivant à l'étranger pour pallier les pénuries. Comment faites-vous revenir ces hommes en Ukraine?
Nous allons adapter nos lois en conséquence. Dès que ces changements seront mis en œuvre, nous pourrons en reparler. Pour l'instant, il est trop tôt pour le faire.

Qu'en est-il des femmes qui ont fui? Des millions d'entre elles vivent encore à l'étranger. Doivent-elles rentrer pour aider le pays à traverser cette période difficile?
Où devraient-elles aller? Nous sommes en guerre. Les terroristes ont complètement détruit de nombreuses villes. Beaucoup de ces gens ont perdu tout ce qu'ils avaient ici.

Les appels à négocier avec Poutine se multiplient. A quelles conditions discuterez-vous avec lui?
Le plan de paix de Zelensky répond précisément à cette question. Les Russes doivent se retirer de notre pays. Avant cela, il n'y aura pas de négociations.

Vous ne cessez de souligner que l'empire de Poutine va «mourir». Qu'est-ce qui vous rend si confiant?
La Russie va bientôt disparaître, j'en suis sûr. L'Occident s'est fait une fausse idée de Moscou. La Russie est un colosse aux pieds d'argile. Et Poutine finira comme Hitler: il se fusillera dans un bunker, ou sera tué avant.

Sa réélection en tant que président le 17 mars 2024 ne semble pas menacée.
Poutine veut diviser l'Europe et affaiblir l'OTAN. Et regardez ce qui s'est passé: la Finlande vient de rejoindre l'OTAN, la Suède est sur le point de le faire aussi, nous sommes candidats à l'adhésion à l'UE. C'est un piètre stratège.

L'Ukraine aussi devrait organiser des élections présidentielles l'année prochaine. Auront-elles lieu?
Comment cela pourrait-il se faire? Où les habitants de Bakhmout doivent-ils aller voter? Comment un soldat au front pourrait-il voter? Organiser des élections présidentielles en pleine guerre, comme c'est le cas ici, relève de l'impossible.

La cote de popularité du président Zelensky a récemment chuté. Des rumeurs font état de prétendues disputes entre lui et le chef de l'armée Valeri Zaloujny. Quelle est l'ambiance au sein de l'équipe dirigeante ukrainienne?
L'ambiance est bonne! Nous avons surmonté les difficultés. Bien sûr que nous débattons, bien sûr que parfois, les tensions montent. Mais il est faux d'en déduire que nous sommes en conflit. La collaboration est intense. En 666 jours de guerre, Zelensky a rencontré 123 fois la direction de l'armée pour des négociations.

L'Ukraine est officiellement candidate à l'adhésion à l'UE depuis décembre. Comment l'UE peut-elle profiter de l'Ukraine?
L'Europe peut apprendre de nous comment se défendre et comment se battre pour ses valeurs.

Vous soutenez l'idée que l'Ukraine abandonne l'alphabet cyrillique et adopte l'alphabet latin. Quelles autres adaptations sont nécessaires pour que le pays soit prêt pour l'UE?
L'Ukraine doit devenir bilingue. L'anglais doit être introduit comme matière scolaire obligatoire dans tout le pays. Mes petits-enfants parlent anglais. Lors de la prochaine interview, ils pourront nous aider en tant que traducteurs.

Vous vivez la guerre de près depuis bientôt deux ans, vous avez perdu votre maison, vous êtes dans une situation difficile. Y a-t-il quelque chose qui vous donne de l'espoir?
Notre peuple me donne de l'espoir. Le peuple est fort et courageux. Nous ne nous battons pas seulement pour l'Ukraine, nous nous battons pour toute l'Europe. Ne l'oubliez pas!

Traduction: Dina Didenko

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