Des jeunes hommes ont peur
L'Ukraine recrute-t-elle des soldats en Suisse?

Les Ukrainiens peuvent aussi être mobilisés à l'étranger, dit-on. Cette rumeur est-elle vraie? Blick s'est entretenu avec une personne concernée.
Publié: 01.02.2023 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 01.02.2023 à 07:00 heures
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Robin Bäni

Lorsque ses amis prennent les armes, Ivan*, 28 ans, choisit de prendre la fuite. Il est citoyen ukrainien et, techniquement, soldat. Mais il vit aujourd’hui en Suisse, bien loin du quotidien des tranchées et des coups de feu.

Après le début de la guerre, il a déserté comme tant d’autres jeunes hommes. Et selon le droit ukrainien de la guerre, Ivan risque gros. La loi de son pays prévoit trois à cinq ans derrière les barreaux pour les hommes qui lui tournent le dos.

Ceux qui ont de 16 à 60 ans ne peuvent en effet pas quitter l’Ukraine. Seules exceptions: les personnes gravement malades et une poignée de cas particuliers.

Impossible de donner un chiffre

Il est impossible d’estimer le nombre d’Ukrainiens qui refusent actuellement de faire leur service militaire: ils ont tout intérêt à bien se cacher.

L'Ukraine cherche à recruter de nouveaux soldats.
Photo: DR
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Mais on pense qu’ils sont probablement nombreux. Plusieurs canaux ont été créés immédiatement après l’invasion sur le service de messagerie en ligne Telegram. Ils regroupaient plus de 60’000 utilisateurs, qui vendaient à tour de bras des documents d’identité et partageaient des conseils pour réussir sa fuite.

Pendant ce temps, le nombre de combattants au front fond comme neige au soleil. Les pertes du côté ukrainien sont massives, et la guerre risque de durer encore longtemps. De toute évidence, l’armée ukrainienne intensifie sa mobilisation. Des vidéos montrant des ordres de mobilisation dans les rues de grandes villes comme Odessa circulent sur les réseaux sociaux.

Un décret contredit les affirmations de la Défense

Le ministère de la Défense continue à affirmer ne pas avoir besoin de soldats supplémentaires. Pourtant, un nouveau décret vient de contredire complètement cette affirmation.

Le 30 décembre dernier, le gouvernement ukrainien a annoncé sa décision n° 1487. Celle-ci stipule que les conscrits, c’est-à-dire les personnes inscrites pour le service militaire, et les réservistes qui se trouvent à l’étranger doivent se présenter aux autorités diplomatiques. En outre, le retour doit être rendu possible en cas de mobilisation.

«Passer un message»

Le décret s’adresse aussi aux Ukrainiens qui se trouvent en Suisse. Comme Ivan. «Je pense que le gouvernement ukrainien veut nous faire passer un message, assure-t-il. Il nous avertit que ce n’est pas parce que nous sommes à l’étranger que la guerre est finie pour nous.»

Et c’est efficace. Le sang de nombreux Ukrainiens n’a fait qu’un tour, assène le jeune homme. Une rumeur a circulé sur Internet selon laquelle les Ukrainiens pourraient même être mobilisés à l’étranger.

Mais est-ce possible? Samuel Wyss, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations, se veut rassurant. «Dans les lois ukrainiennes pertinentes concernant le service militaire obligatoire et la mobilisation, il n’existe jusqu’à présent aucune disposition qui obligerait les Ukrainiens de l’étranger en âge de servir à rentrer chez eux, à la connaissance du SEM», répond-il à la demande de Blick.

Il n’y aurait actuellement aucune possibilité concrète de mise en œuvre pratique, poursuit-il. Il convient donc d’attendre les prochaines étapes des autorités ukrainiennes sans paniquer. «Les rumeurs de conscription d’Ukrainiens à l’étranger existent depuis le printemps 2022», assure-t-il. Et selon les médias, elles sont sciemment alimentées par des campagnes de désinformation russes.

Demande de prise en charge pénale

Mais même si le gouvernement de Kiev changeait ses lois, il ne pourrait pas forcément agir sur les hommes présents en Suisse. Il ne peut en effet pas effectuer d’actes officiels, sous peine d’ignorer le territoire étranger et, ainsi, de violer le droit suisse.

Kiev a-t-il les mains liées? Le gouvernement pourrait bien déposer une demande de prise en charge pénale qui autoriserait les autorités suisses à poursuivre pénalement les fugitifs sur mandat du gouvernement, admet le porte-parole du SEM.

«Mais jusqu’à présent, l’Office fédéral de la justice (OFJ) n’a pas reçu de telles demandes de prise en charge pénale», rassure la cheffe de l’information de l’OFJ Ingrid Ryser.

«Tous les délits militaires sont exclus de l’entraide judiciaire, ajoute-t-elle. Par conséquent, cela concerne même les demandes qui ont lieu dans le cadre d’un refus de servir.» Ce qui signifie, en d’autres mots, que les Ukrainiens à l’étranger ne peuvent actuellement ni être mobilisés ni être poursuivis pénalement par les autorités suisses.

Une pression sociale croissante

Toutefois, plus la guerre dure, plus la pression sociale s’accroît. Celui qui ne défend pas son pays y devient persona non grata. Ce qui peut générer des sentiments très compliqués, qui s’ajoutent à la détresse issue de la guerre.

C’est aussi le cas d’Ivan. «Je suis patriote, mais il vaut mieux que des professionnels se battent en Ukraine», tranche le jeune homme. Il tient néanmoins à aider son pays avec des dons et a déjà envoyé des paquets de vêtements à l’armée. Mais c’est tout ce qu’il peut faire, précise-t-il. «Car je ne sais pas si je peux tirer sur un homme», souffle le vingtenaire.

Il n’évoque pas la peur de mourir. Il mentionne seulement un ami qui se bat à Bachmut: «Si lui et d’autres amis disent qu’ils ne peuvent pas continuer sans moi… Alors je n’hésiterai pas. Je partirai.»

*Le nom a été modifié

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