Fin du travail
Que veut dire la «grande démission» à l'œuvre en France?

Le chiffre impressionne. Plus de 520'000 Français ont volontairement quitté leur emploi ce dernier semestre. Côté pile, les salariés cherchent surtout à profiter du dynamisme du marché du travail. Côté face, ces départs révèlent aussi l'ampleur de la colère sociale
Publié: 23.08.2022 à 18:59 heures
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Dernière mise à jour: 24.08.2022 à 06:25 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont 520'000 à avoir pris ce risque. Dans un pays comme la France, où 7,3% de la population active (environ 30 millions de personnes) est au chômage, l’augmentation vertigineuse du nombre de démissions durant le premier semestre 2022 démontre bien l’ampleur des bouleversements sociaux initiés par la pandémie de Covid-19.

Question: ce chiffre signifie-t-il que les Français ne veulent plus travailler comme avant? Ou bien qu’ils souhaitent profiter davantage des opportunités comme le télétravail, ou la création de nouveaux emplois pour amorcer un changement radical de mode de vie? Deux thèses s’affrontent sur cette «grande démission», terme popularisé aux Etats-Unis après la pandémie.

Une preuve supplémentaire de la colère ambiante?

La première est celle d’une preuve supplémentaire de la colère ambiante, dans ce pays où beaucoup d’experts pronostiquent depuis l’élection présidentielle d’avril-mai un «troisième tour social» dans la rue cet automne, motivé par les revendications de pouvoir d’achat.

Près de 520'000 démissions par trimestre, dont 470'000 démissions de titulaires de contrats à durée déterminée: le marché du travail Français subit de plein fouet le contrecoup de la pandémie de Covid-19.
Photo: DUKAS

Un exemple inquiète beaucoup au sein du gouvernement, à la veille du premier conseil des ministres de la rentrée qui se tient ce mercredi 24 août: celui du Royaume-Uni où les grèves se succèdent depuis plusieurs semaines. Cheminots, dockers, avocats… ce pays est confronté presque chaque jour à un nouveau mouvement de colère, au point que l’été 2022 est désormais surnommé «l’été du mécontentement», attisé par les frasques vacancières du Premier ministre en sursis Boris Johnson.

Grande démission et grande colère

Cette théorie de la grande démission et de la grande colère, prouvée - selon ses partisans - dans les urnes des législatives par les fortes poussées de la France insoumise (gauche radicale – 75 députés) et du Rassemblement national (droite nationale populiste – 89 députés), bute sur une autre théorie, plus prometteuse pour Emmanuel Macron.

Cette seconde théorie est celle… de la bonne santé du marché du travail français. Quitter son travail s’explique, dans ce cas, par la recherche d’une meilleure opportunité. Un choix facilité en France par l’existence depuis 2008 de la rupture conventionnelle qui permet à l’employeur et à l’employé de se séparer à l’amiable tout en garantissant à ce dernier les allocations-chômage, donc une sécurité financière. Ce qui pèse sur les finances publiques, mais permet de rendre plus flexible un marché du travail traditionnellement handicapé par sa grande rigidité.

Ras-le-bol social et recherche de meilleures alternatives

Autre scénario? Le cumul des deux tendances. Ras-le-bol social et professionnel d’un côté, recherche de meilleures alternatives de l’autre. «Le nombre de démissions en France? Au plus haut, ce qui est ni inédit ni inattendu, compte tenu du contexte économique toujours propice à l’emploi, donc aux mouvements de main-d’œuvre» nuance le quotidien économique «Les Echos», tout en reconnaissant les tensions actuelles et les risques de fortes crispations sociales, avec le débat attendu de deux réformes: celle des régimes de retraite, promise par Emmanuel Macron, et celle (une nouvelle fois) de l’assurance chômage pour éviter la prolifération de contrats courts, très coûteux pour la collectivité.

«La désintégration de ce qu’on appelait les mouvements sociaux rend la situation très instable», expliquait récemment à France Info le sociologue Jean-Pierre Le Goff, qui n’exclut pas le retour sur le devant de la scène des Gilets Jaunes. «On va entrer dans une confrontation entre salariés et entreprises», prédit pour sa part le conseiller économique de la banque Natixis Patrick Artus, dans une tribune de l’hebdomadaire «Le Point».

Paradoxe social français

Le paradoxe français est bien résumé par ces deux tendances. Lesquelles convergent vers le même point: la recherche d’un bien-être social et le refus de réformes imposées d’en haut, qui risquent de modifier durablement les conditions-cadres du marché du travail dans le pays. «Si vous n’avez pas une économie qui produit de la richesse, vous ne pouvez pas la redistribuer. Il y a des progrès sur le grand âge en passant par la santé ou l’amélioration des pensions. Tous ces progrès sociaux, il faut pouvoir les financer», avait argumenté Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle victorieuse. Le président français l’a répété dans son intervention télévisée du 14 juillet. Pour lui, la solution se trouve dans un «donnant-donnant»

Chiche, semblent lui répondre ses concitoyens: commençons déjà par changer de travail et d’employeur…

Dernier rapport sur l’emploi en France: «La France vit-elle une grande démission?»

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