Kamala Harris, l'espoir des démocrates
Les États-Unis sont-ils prêts à accueillir cette femme?

La Californienne face à l'homme de Mar-a-Lago: Arthur Landwehr, spécialiste des Etats-Unis, analyse pour le SonntagsBlick les chances de Kamala Harris de battre Donald Trump – où elle sera meilleure, et où cela risque de faire mal.
Publié: 28.07.2024 à 17:23 heures
Arthur Landwehr*

Et soudain, Donald Trump est le vieil homme de la pièce. Une grande partie de ce que les républicains et même certains démocrates avaient attribué à Joe Biden s'applique désormais à Trump lui-même: il est le candidat à la présidence le plus âgé de l'histoire. Comparé à la gaieté bruyante et à l'énergie d'une Kamala Harris de 59 ans, son adversaire probable sur le chemin de la Maison-Blanche, l'homme de Mar-a-Lago, a dorénavant l'air d'un vieillard lourdaud, parfois confus et baveux.

Les «double haters», la grande majorité du peuple américain qui détestait qu'on ne leur laisse le choix qu'entre deux vieillards, ont aujourd'hui une nouvelle option. Les démocrates nagent comme libérés sur une vague de béatitude euphorique. La situation paralysante de la loyauté envers un président certes attachant et couronné de succès, mais avec lequel on risquait d'être emporté dans le tourbillon d'une défaite énorme, a été balayé.

Si elle existait, la fan zone officielle de Kamala Harris se trouverait à quelques pas de la Maison-Blanche, à Dupont Circle, un quartier résidentiel du centre de Washington. Des personnes d'identités ethniques et sexuelles différentes y vivent dans une diversité colorée. On y est fier du libéralisme et de la tolérance. Dans ces milieux, Kamala Harris est considérée comme une star et une porteuse d'espoir, comme quelqu'un qui défend les droits des minorités et qui veut que l'État s'engage aussi dans le domaine social. En hiver, les habitants avaient décoré un immense arbre de Noël de rue avec des photos du président et de sa vice-présidente. Pas de républicains déclarés ici.

Kamala Harris veut préserver les Etats-Unis de Donald Trump.
Photo: Hearst Newspapers via Getty Images
1/4

A la campagne, Kamala Harris est quelqu'un d'autre

Mais à quelques kilomètres de la ville, loin des banlieues aisées de la ceinture périphérique, le tableau change – et avec lui, l'image de Kamala Harris. On comprend soudain pourquoi sa cote de popularité est si basse. A la campagne, elle est quelqu'un d'autre – à savoir une Californienne libérale typique. Elle peut bien enthousiasmer le monde académique des universités côtières avec sa politique identitaire. Mais elle n'a aucune idée de la vie réelle et des préoccupations des gens au-delà des centres urbains, si l'on en croit les gens d'ici. Pire encore: elle ne s'y intéresserait même pas.

Photo: AFP

Au cœur du pays, la panique d'un déclin prochain continue de marquer la conscience de la classe moyenne laborieuse – une peur à plusieurs niveaux, notamment économique et social. Si la prochaine usine ferme, on perdra peut-être son emploi bien payé dans la production et on finira dans le service, dépendant des pourboires. Beaucoup disent que les élites autoproclamées de la politique, des médias et de l'économie ont irrévérencieusement détruit toutes les valeurs qui faisaient l'Amérique d'autrefois: autodétermination, religion, famille. Ils seraient dénigrés comme des Hillbillys – des ploucs, parfois même comme des racistes, simplement parce qu'ils insistent par exemple sur la conviction que le genre d'un être humain est déterminé biologiquement. Donald Trump dispose ici d'une base électorale fiable.

Faire voter les indécis

Kamala Harris a désormais pour mission de rallier à sa cause et de faire voter les indécis – ceux-là même qui ont été rebutés par la personnalité et le style de l'ancien président. Pour cela, elle a besoin de «Boots on the Ground». Autrement dit, elle doit aller elle-même sur le terrain, écouter et prendre au sérieux les préoccupations des gens. Elle devra faire face aux critiques que la vie, des achats au supermarché à l'essence, des visites chez le médecin à l'éducation, est devenue inabordable pour les enfants – et qu'elle et Joe Biden ont laissé faire.

On attend ici de l'ancienne procureure plusieurs choses: non seulement des questions critiques pointues, mais aussi des réponses compréhensibles, des objectifs et des programmes clairs sur la manière dont les choses doivent s'améliorer. Pourtant, cela n'a jamais été son truc de peindre une image positive et captivante de l'avenir. Deux tiers des électeurs pensent aujourd'hui que les Etats-Unis vont dans la mauvaise direction et qu'un changement radical est nécessaire. Cette opinion est également partagée par 40% des démocrates. Être plus jeune que son concurrent et être la première femme non blanche à accéder à la Maison Blanche ne suffit pas pour incarner de manière crédible le mot d'ordre de «changement».

Le plus grand dilemme de Kamala Harris

Direction la Pennsylvanie, l'un des Swing States importants dans lesquels des majorités changeantes peuvent décider qui remportera l'élection dans tout le pays. C'est là que se trouve le grand dilemme auquel Harris devra faire face. En Pennsylvanie, on était autrefois fier de son propre travail, qui apportait la prospérité à l'État grâce au charbon, à l'acier et à l'industrie. Mais ces dernières années, la prospérité est revenue grâce à la fracturation hydraulique, une technique écologiquement controversée qui a permis d'extraire du sol un gaz naturel abondant.

Photo: keystone-sda.ch

Lors de sa campagne présidentielle de 2019, Kamala Harris voulait encore faire disparâitre cette fracturation. Le président Joe Biden s'était certes fixé comme objectif une transformation respectueuse du climat et avait surtout encouragé les investissements dans la production d'énergie non fossile. Mais il a toléré le fracking en Pennsylvanie – et sa vice-présidente l'a soutenu. Malgré tout, les citations de la dernière campagne électorale lui retombent aujourd'hui sur le coin de la figure. Kamala Harris devra décider si la Pennsylvanie pourra continuer à profiter du gaz sous sa présidence – ou si la pauvreté reviendra.

L'immigration illégale, son talon d'Achille

D'un point de vue argumentatif, Kamala Harris aura le plus grand mal à donner des réponses convaincantes à la deuxième grande préoccupation nationale: l'immigration clandestine incontrôlable à la frontière mexicaine. Dès le début de son mandat, Joe Biden avait confié à son adjointe la responsabilité de la politique d'immigration. Et elle a échoué dans sa tâche.

Peu importe qu'elle en soit personnellement responsable, qu'elle ait agi de manière politiquement maladroite ou qu'elle ait simplement été victime de l'égocentrisme de Biden: le fait que le nombre d'immigrés clandestins ait dépassé toutes les dimensions jamais atteintes jusqu'alors est indéniable. Cette réalité fait désormais partie de la stratégie de campagne de Donald Trump, qui associe le nom de Kamala Harris à ce qu'il appelle «l'invasion».

Probablement début août, avant la convention du parti, les délégués démocrates désigneront Kamala Harris lors d'un vote virtuel et l'enverront ensuite dans la campagne électorale avec une «convention» enthousiaste. Elle couvre elle-même très bien la partie urbaine-progressiste du parti. Elle est également attractive pour les Afro-Américains, les Hispaniques et d'autres minorités ethniques – même si tous ces groupes ne sont pas d'accord avec elle sur le plan politique. Mais elle a du mal à atteindre la classe moyenne qui travaille en dehors des métropoles et qui se sent délaissée et négligée. Elle a besoin d'un vice-président qui puisse dire de manière convaincante, comme Bill Clinton à l'époque: «I feel your pain», «je ressens votre douleur» en français.

Hostilité, doute, épuisement

Après le désistement de Joe Biden, les démocrates semblent libérés. Mais Kamala Harris n'a plus que 100 jours de campagne – soit très peu de temps pour développer une ligne claire et faire comprendre qui elle est et ce qu'elle représente. Mais ce court laps de temps sera également long, douloureux et fatigant. Le doute, l'épuisement et l'hostilité l'attendent.

Photo: KEYSTONE

Avant les dernières élections, elle s'était battue contre Joe Biden pour l'investiture démocrate à la présidence et avait été battue. Après un départ en fanfare, il n'a même pas fallu attendre le premier rendez-vous des primaires dans l'Iowa en 2019 pour que son équipe de campagne se désagrège d'elle-même, faute de leadership clair, et qu'elle abandonne, financièrement exsangue. Biden s'est alors présenté avec elle comme suppléante.

Mais aujourd'hui, une chose est sûre: Kamala Harris a tout le professionnalisme de l'organisation du parti à ses côtés pour empêcher Donald Trump d'accéder une nouvelle fois à la Maison-Blanche.

*Arthur Landwehr est un journaliste allemand, spécialiste des États-Unis. Jusqu'en 2022, il a été correspondant de la chaîne de télévision allemande ARD à Washington. En 2024, son best-seller «Die zerrissenen Staaten von Amerika» est paru aux éditions Droemer.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la