«La langue est un prétexte pour envahir»
Ces Ukrainiens russophones ne veulent pas que Poutine les sauve

«Faut pas me sauver! Poutine n'a rien à faire ici». C'est ainsi qu'Andriï Atamaniouk, un Ukrainien russophone, s'en prend au président russe qui dénonce l'assimilation, forcée selon lui, des locuteurs de la langue de Pouchkine en Ukraine.
Publié: 18.02.2022 à 13:13 heures
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Dernière mise à jour: 18.02.2022 à 18:10 heures

«Ces fables sur la langue ne sont qu'un prétexte pour envahir», fulmine ce moniteur d'auto-école de 48 ans revenu en Ukraine en 2015 après avoir travaillé pendant 12 ans à Moscou.

«Il n'y a pas de discrimination», poursuit-il, «Poutine n'a rien à faire ici. Tout ce qu'il peut apporter, c'est la ruine, la misère et le chaos».

Le président russe voit les choses très différemment faisant du dossier linguistique un cheval de bataille au coeur de sa politique sur l'Ukraine.

«Ce qui préoccupe beaucoup, c'est ce qu'on fixe au niveau législatif, la discrimination de la population russophone à qui on refuse le droit (...) d'utiliser sa langue natale», a-t-il déclaré la semaine dernière devant le président français Emmanuel Macron.

L'Ukrainien regagne du terrain

Après l'annexion de la Crimée en 2014 et du fait du conflit armé dans l'est avec les séparatistes prorusses soutenus par Moscou, la langue ukrainienne a gagné un terrain considérable et est devenu un élément central de l'unité nationale, marquant de facto un recul du russe.

Certains Ukrainiens bilingues ont même choisi de ne plus parler russe dans leur vie quotidienne.

Mais l'est et le sud du pays restent largement russophones. Même dans les rues de Kiev, le russe domine bien que légalement l'ukrainien soit seule langue d'Etat.

Les ONG sont sceptiques

Dans un effort de promotion de l'ukrainien, le gouvernement l'a imposé depuis 2021 comme seule langue de communication dans les magasins, restaurants et autres services, sauf demande expresse du client.

Depuis janvier, les publications dans d'autres langues doivent s'accompagner de versions ukrainiennes. Des exceptions sont prévues pour l'anglais, mais pas pour le russe.

Le texte est d'ailleurs critiqué par l'ONG internationale Human Rights Watch, pour un manque d'équilibre qui «suscite l'inquiétude».

Mais, aucune trace du «génocide» des russophones, dont Vladimir Poutine a dénoncé la menace.

«La langue est une balle de guerre»

Le millionnaire et mécène, Evgueniï Outkine, 63 ans, est catégorique. Né dans le sud de la Russie, l'homme a étudié à Moscou et a commencé à développer depuis 1982 des projets à Kiev où il est installé depuis 2008. Jamais, dit-il, il n'y a souffert d'une quelconque discrimination.

«Je me sens citoyen de l'Ukraine. Mais je suis une personne profondément russe et le russe est ma langue maternelle». Il qualifie de «mensonge et de fiction» le discours de Moscou.

«Je n'ai jamais connu un seul incident lié au fait que je parlais russe», souligne l'entrepreneur pour lequel «la langue est une autre balle dans la guerre hybride de la Russie» contre l'Ukraine.

Pour l'historien ukrainien Iaroslav Gritsak, la rhétorique russe sur la question linguistique doit servir à justifier une agression russe, car la réelle «différence entre l'Ukraine et la Russie est politique».

Un seul peuple divisé par l'Occident?

Dans un essai «sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens» publié en été, Vladimir Poutine défend lui l'idée selon laquelle les deux peuples n'en sont en réalité qu'un, dont les divisions ont été suscitées par l'Occident.

«La voie de l'assimilation forcée, la formation d'un Etat ukrainien ethniquement pur, agressif envers la Russie, est comparable à l'utilisation d'armes de destruction massive contre nous», écrit le président russe.

Pour la journaliste et écrivaine Anne Applebaum, lauréate du prix Pulitzer et spécialiste du communisme, ce discours reflète des espoirs impérialistes du maître du Kremlin.

«L'Union soviétique était un empire russophone, et parfois Poutine semble rêver de recréer une réplique de cet empire dans les frontières de l'ex-URSS», analyse-t-elle.

Dans ce contexte, l'auteur ukrainien Andreï Kourkov, l'un des écrivains de langue russe les plus populaires en Europe, estime que son pays n'a pas d'autre choix que de mener une politique linguistique «ferme».

Face à la menace de Moscou, «il est immoral» de promouvoir le russe en Ukraine, a-t-il dit dans une interview à l'AFP.

(AFP)


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