La pandémie brise un tabou
Les femmes assument de plus en plus leurs cheveux gris depuis le Covid

Le confinement lié à la pandémie de Covid-19 nous a, pour beaucoup, enfermés et limités… Mais il a le mérite d'avoir libéré (en partie) les femmes de l'injonction de se teindre les cheveux. Afficher une chevelure grisonnante n'est toutefois pas sans conséquences.
Publié: 02.10.2022 à 22:27 heures
Camille Kündig

Andie MacDowell avait fait sensation au Festival de Cannes en 2021. Arborant sans peur sa crinière grisonnante, elle a décidé d’abandonner les teintures et de cacher l’évolution naturelle de ses cheveux.

Depuis les années 1950, la pression de paraître jeune supplantait généralement les risques et les inconvénients du fait de se teindre les cheveux. Que ce soit le coût financier ou les effets des produits chimiques sur le cuir chevelu. Il semblerait qu’un changement de mentalité soit en train de s’opérer, et pas que chez les stars hollywoodiennes.

Depuis deux ans, la proportion de femmes qui ne se teignent plus les cheveux et laissent pousser leurs cheveux gris augmente.
Photo: GHISLAINE HEGER

La pandémie comme déclencheur

Le secteur capillaire est unanime: depuis deux, la proportion de femmes qui ne se colorent plus et laissent pousser leurs cheveux gris augmente. «Nous observons une première tendance à l’acceptation du gris chez les femmes, avec des répercussions sur le secteur de la coloration», explique Danielle Bryner, porte-parole du groupe de cosmétiques L’Oréal. Les femmes de plus de 55 ans seraient les plus nombreuses à passer le pas.

Après avoir teint ses cheveux pendant deux décennies, Andie MacDowell a osé faire le pas vers le naturel.
Photo: DUKAS

«Le phénomène s’est amplifié lors de la crise du Covid, lorsque les clientes n’ont d’abord pas pu aller chez le coiffeur et ont peu à peu eu l’idée d’assumer leurs cheveux gris», confirme Damien Ojetti, président de l’Association suisse des salons de coiffure. Aujourd’hui, le credo est souvent le suivant: mettre en valeur plutôt que cacher.

Un nouveau marché lucratif

«Nous constatons une augmentation des shampooings, revitalisants et masques argentés», fait savoir, sur demande, le service de presse de Migros. Les produits destinés à faire briller les cheveux blancs sont également demandés chez Coop. Les fournisseurs en ligne ont bien évidemment flairé la tendance: la boutique en ligne Perfecthair.ch parle même d’un doublement de son chiffre d’affaires dans ce segment depuis début 2020.

Sur Instagram, des hashtags comme #Goinggrey et #GrayHairMovement sont de plus en plus utilisés. Le mouvement body positive s’est lui aussi emparé des coiffures. Et même sur les podiums de la Fashion Week parisienne, le gris argenté brillait.

«Le grey blending est actuellement très demandé, une technique qui souligne et met en valeur les cheveux gris et donne un aspect naturel aux racines», souligne Raffaella de Simoni Thomann, responsable de la communication de la chaîne de salons de coiffure Hairstylist Pierre.

Comment expliquer ce retournement de tendance? Avec les restrictions liées à la pandémie de Covid, d’innombrables femmes ont dû abandonner les teintures malgré elle après des années passées à pratiquer ce rituel. Les salons de coiffure sont restés fermés et les clientes ont laissé la nature reprendre ses droits. Tandis que les racines grisâtres poussaient allègrement, les principes établis de longue date commençaient à vaciller.

Le coiffeur vedette Luke Hersheson y est également allé de son analyse dans le magazine britannique Vogue: «Depuis le lockdown, il y a un sentiment de liberté sur la tête.» Ce sentiment s’exprimerait souvent par le désir de ses clientes d’utiliser moins de produits chimiques et de passer moins de temps au quotidien à modifier ses cheveux, comme le rapportent les coiffeurs du monde entier.

Un tueur de carrière

La démarche d’assumer ses cheveux grisonnants est socialement courageuse. «Des études montrent que les personnes vieillissantes aux cheveux gris ou blancs sont plutôt considérées comme incompétentes, ayant besoin d’aide et peu soignées», abonde la gérontologue Delphine Roulet Schwab.

Selon une enquête de l’université de Cambridge, les cheveux gris sont généralement associés à la démarcation sociale et au désir d’invisibilité: des conditions peu idéales pour des plans de carrière ambitieux.

«Les personnes âgées qui ont des cheveux gris ont tendance à être considérées comme incompétentes, ayant besoin d'aide et peu soignées», explique la gérontologue Delphine Roulet Schwab.
Photo: ALOCO

Cette forme de discrimination liée à l’âge a récemment pénalisé une présentatrice de télévision canadienne. Cette dernière a perdu son emploi après 35 ans après avoir osé s’asseoir dans le studio avec des cheveux grisonnants. Le vice-président de la chaîne aurait demandé: «Qui a autorisé Lisa à devenir grise?»

Consciente de cette épée de Damoclès injuste placée au-dessus de leur tête (aux cheveux bien teintés), la majorité des femmes a encore recours à ces processus de dissimulation de leur vieillissement.

Selon des sondages, jusqu’à 80% des personnes de plus de 50 ans dissimulent leurs mèches grisonnantes. Chez les hommes, ce chiffre n’est que de 10%. L’experte en style Tatjana Kotoric analyse cette différence: «Chez les hommes, presque personne ne discute de la question de savoir si les mèches blanches doivent être recolorées, elles sont alors considérées comme sexy.»

Les femmes continuent d’être davantage jugées sur leur apparence. «Les signes de fertilité sont attrayants», constate Delphine Roulet Schwab. Certes, les deux sexes vieillissent de la même manière, mais les hommes peuvent même devenir pères à un stade tardif de ce processus. «C’est pourquoi les femmes associent inconsciemment les cheveux gris à la stérilité.»

Le gris est politique

La conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite confirme que les cheveux gris peuvent être un sujet politique: «Le culte de la jeunesse dans notre société pousse d’innombrables femmes dans une dépendance à la consommation.» La politicienne Gorrite porte ses cheveux au naturel depuis trois ans, «depuis qu ['elle a] pris conscience de l’argent, du temps et des ressources que nécessite la coloration. Pourquoi le look poivre et sel ne serait-il attrayant que pour George Clooney?»

Les cheveux gris sont un sujet politique. C'est ce qu'affirme la conseillère d'Etat vaudoise Nuria Gorrite.
Photo: GHISLAINE HEGER

Récemment, Nuria Gorrite s’est fait photographier par Ghislaine Heger. Dans son dernier projet, la photographe romande dresse le portrait de 100 femmes de Suisse romande qui assument leurs cheveux blancs. «La plupart d’entre elles vivent le fait de renoncer à la coloration comme un acte de liberté. Mais elles ont soudain l’impression de devenir invisibles dans la société.»

Après des décennies de jeu de cache-cache social, la couleur naturelle des cheveux peut effectivement irriter. Une enseignante de 40 ans a raconté, pendant que Heger la photographiait: «Mes élèves m’ont demandé, perplexes: vous êtes jeune parce que vous êtes tatouée, mais vous avez aussi des cheveux gris et vous êtes très vieille – comment est-ce possible?»

Des modèles comme Andie MacDowell ou Jane Fonda, qui assument leur chevelure sans teinture, peuvent avoir un impact positif, certes, mais aussi répandre de fausses promesses, explique la gérontologue Delphine Roulet Schwab: «Toutes les femmes ne ressemblent pas à un top model et n’ont pas des mèches argentées parfaitement froides. Les cheveux blancs et gris ont souvent une teinte jaune et frisent.»

En témoigne le développement des cosmétiques spécialement dédiés à l’entretien et l’embellissement des cheveux blancs.


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