La Russie désormais victime
Pour l'Ukraine et ses alliés, l'attentat de Moscou est un piège redoutable

Comment traiter la Russie après le deuil national de ce dimanche? Est-ce un pays victime du terrorisme qu'il convient d'aider dans la lutte contre l'islamisme? Ou est-ce toujours et encore un pays agresseur, qui veut démanteler l'Ukraine?
Publié: 24.03.2024 à 21:06 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vladimir Poutine est aujourd’hui le président d’un pays endeuillé par l’attentat le plus meurtrier de son histoire récente. C’est ainsi que le chef du Kremlin s’est présenté, ce dimanche, en participant aux cérémonies religieuses d’hommage aux 137 morts tués par les terroristes, ou décédés dans l’incendie du centre culturel Crocus provoqué par ces derniers. Pour l’Ukraine et ses alliés occidentaux, ce changement de posture va s’avérer très compliqué à gérer. En pleine période de doute sur la capacité de l’Ukraine à résister à l’offensive de l’armée russe.

La vengeance russe, levier redoutable

Vladimir Poutine n’a plus besoin, maintenant, de dire que la Russie est un pays assiégé comme sa propagande le fait depuis deux ans, afin de justifier la guerre en Ukraine et la mort au front de dizaines de milliers de soldats russes. L’attentat du 22 mars, revendiqué par l’État islamique de Khorasan, prouve que la Russie est visée et qu’elle doit se défendre. Et qu’importe si l’Ukraine n’est d’une aucune manière mêlée à cette tuerie.

Poutine a déjà commencé à accuser Kiev d’avoir préparé la fuite des suspects. Lesquels, arrêtés par la police dès samedi, feront sans doute les aveux que les autorités exigeront. «La Russie ne se laissera pas intimider» avait prévenu Poutine dans son premier discours après sa réélection triomphale le 17 mars, avec 87,3% des voix. L’attentat du centre Crocus lui donne aujourd’hui un redoutable levier pour mobiliser de nouvelles troupes et surenchérir.

Vladimir Poutine a participé à la cérmonie de deuil national ce dimanche, après l'attentat contre le centre culturel Crocus dont le bilan s'élève à 137 morts.
Photo: DUKAS
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La menace islamiste, argument imparable

La Russie est donc visée par les mêmes terroristes islamistes qui, dans le passé, s’en sont pris aux tours jumelles de New York ou au Bataclan à Paris. Quel formidable argument pour la diplomatie russe à la tribune des Nations unies, par exemple. Jusque-là, le Kremlin n’avait pas d’autre choix que de jouer en défense, multipliant les attaques contre les fantasmatiques «néo-nazis» ukrainiens.

Désormais, l’État islamique de Khorasan a changé la donne. L’Iran chiite, allié de Moscou et visé lui aussi par cette organisation, va se rapprocher encore plus du Kremlin pour les échanges d’information. Les Occidentaux, eux aussi en prise avec le terrorisme islamiste – surtout la France avant les Jeux Olympiques – auront besoin des éventuels renseignements glanés par les services russes. Poutine peut, en plus, se poser en défenseur des valeurs chrétiennes en pleine campagne pour les élections européennes. Les partis nationaux-populistes, qui ont le vent en poupe, ne se priveront pas de le défendre sur ce point.

La défense de l’Ukraine, encore plus compliquée

Qui pourra dire et prouver, dans les jours à venir, que Vladimir Poutine ment lorsqu’il accuse les autorités de Kiev d’avoir favorisé la fuite des suspects interpellés samedi? Qui sera en mesure de contredire le président russe s’il exhibe des preuves, fabriquées ou non, à l’appui de cette thèse? Les Occidentaux se retrouvent le dos au mur. Les Ukrainiens leur reprochent à juste titre de ne pas tenir leurs promesses de livraisons d’armes, d’obus et de missiles antiaériens.

La population de Kiev, Kharkiv et Odessa se retrouve sous le feu des attaques russes, qui risquent de redoubler. La menace islamiste va revenir à l’avant-scène du débat public en Europe, en pleine campagne électorale tandis qu’aux Etats-Unis, Joe Biden ne parvient toujours pas à lever le véto de la Chambre des représentants sur le déblocage des 60 milliards d’aide civile et militaire promis à l’Ukraine. Attention, grand danger!

La propagande russe, offensive programmée

Le moment est parfait pour tous ceux qui cherchent à convaincre les opinions publiques que la Russie de Vladimir Poutine est un partenaire, et non un ennemi. Comment le président d’un pays chrétien attaqué par les islamistes peut-il être l’ennemi de l’Union européenne? C’est le premier argument.

Comment les pays occidentaux peuvent-ils continuer à soutenir aveuglément l’Ukraine, alors que son gouvernement et ses services de renseignement se livrent peut-être à de dangereuses opérations terroristes? C’est le deuxième argument. Les réseaux sociaux vont mouliner à tour de bras ce genre de propos. Objectif: installer encore plus le doute dans les opinions publiques des pays démocratiques.

Vladimir Poutine, plus puissant que jamais

Ceux qui rêvaient d’un Poutine marginalisé peuvent oublier leurs illusions. Le président Russe est plus puissant que jamais et l’histoire a montré que les attentats lui ont toujours profité. Poutine aime utiliser la force. C’est son registre. Il est le maître incontesté des services de sécurité. Il faut savoir que beaucoup d’experts estiment qu’il a, dans le passé, peut-être organisé ou couvert des attentats pour les instrumentaliser et asseoir son pouvoir sans partage.

La tuerie du centre culturel Crocus met plus que jamais Vladimir Poutine au centre du jeu. Il va se présenter comme le protecteur de la Russie. Il peut tout verrouiller. Et il vient d’être réélu pour six ans.

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