La Suisse est-elle la prochaine sur la liste?
Ralph Thiele, expert en sécurité, déplore le manque de réaction face aux attaques russes en Europe

Les Russes frappent en Europe. Incendies criminels, perturbation du trafic aérien et déraillement de trains font partie d'une guerre hybride qui pourrait arriver jusqu'en Suisse. L'expert en sécurité Ralph Thiele s'indigne: «Le danger n'est pas assez pris au sérieux.»
Publié: 25.06.2024 à 08:35 heures
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Dernière mise à jour: 25.06.2024 à 09:22 heures
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Guido Felder

Encore récemment, l'OTAN mettait en garde contre de possibles «activités malveillantes» de la Russie en Europe. Aujourd'hui il est clair que ces menaces ont été mises à exécution et le Kremlin frappe déjà avec une grande force. Des incendies ont eu lieu dans plusieurs pays et deux déraillements de trains, attribués à des saboteurs russes, ont eu lieu en Suède. Le grand incendie de l'entreprise d'armement Diehl, survenu en mai dernier, à Berlin serait également un acte de sabotage portant la signature de la Russie.

Les assistants du président russe Vladimir Poutine sont parmi nous. Ralph D. Thiele, expert allemand en sécurité et auteur du livre «Hybride Warführung, Zukunft und Technologien» (ndlr: Guerre hybride, avenir et technologies), tire la sonnette d'alarme. Il déclare à Blick: «Nous sous-estimons énormément ce danger.»

Il déplore surtout que de telles attaques soient considérées et étudiées individuellement. «Nous partons généralement du principe que les attentats, les cyberattaques et les politiciens attaqués sont des cas isolés. Personne ne regarde le contexte de ces activités, ce qui rend l'enquête et la lutte difficiles.»

Début mai, l'entreprise d'armement Diehl a pris feu à Berlin. Ce n'était pas un accident, comme on l'a d'abord cru, mais probablement un acte de sabotage.
Photo: imago/Marius Schwarz

La Suisse serait aussi en danger

Outre les pays limitrophes de la Russie, les Etats comme la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui soutiennent massivement l'Ukraine, sont également concernés par les sabotages. Mais les pays instables des Balkans occidentaux que sont la Serbie, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine sont particulièrement menacés. «Nous avons négligé de soutenir ces Etats, en particulier dans la défense contre les dangers hybrides», déclare Ralph Thiele.

Même la Suisse pourrait devenir une cible. En amont de la conférence du Bürgenstock à la mi-juin, un agent russe présumé a pu être arrêté, alors qu'il avait apparemment tenté de se procurer des armes et des substances en vue de perpétrer un attentat. Le Ministère public de la Confédération a confirmé plusieurs perquisitions. Ralph Thiele poursuit: «La Suisse n'est certes pas au centre, mais elle est menacée parce qu'elle soutient financièrement l'Ukraine, mais aussi parce qu'une partie du financement international passe par la Suisse.»

Les services secrets recrutent des personnes «qui ont envie d'action»

Ralph Thiele divise les auteurs de ces attaques en deux catégories: les agents standard des services secrets et les personnes recrutées qui vivaient dans le pays cible. «Les services secrets russes, mais aussi chinois, recrutent via Internet des personnes qui ont envie d'action», explique l'expert en sécurité. Actuellement, les saboteurs se concentrent surtout sur les incendies criminels. Les auteurs d'attentats sont également payés en ligne via des crypto-monnaies.

Parmi les cibles potentielles, Ralph Thiele cite les centrales énergétiques, les câbles sous-marins, les satellites et autres installations de communication. «Il s'agit essentiellement de déstabiliser des gouvernements et des entreprises», explique-t-il. Ces efforts seraient soutenus par des politiques et des partis européens qui soutiennent le Kremlin.

Ralph Thiele considère la guerre hybride, qui comprend les sabotages, les cyberattaques et la propagande, comme un élément central de la lutte mondiale à l'avenir, notamment en lien avec l'intelligence artificielle et les drones. Il met en garde avec insistance: «Si nous ne reconnaissons pas cette menace, nous ne pourrons pas non plus nous défendre.»

Des saboteurs ont déjà frappé à ces endroits clés:

  • En mai, l'entreprise d'armement Diehl à Berlin a été la proie d'un incendie. Ce n'était pas un accident, comme on l'a d'abord cru, mais probablement un acte de sabotage, comme l'écrit le «Wall Street Journal» (WSJ). L'objectif: empêcher la livraison d'armes et de munitions à l'Ukraine. Diehl Defence produit également le système de défense aérienne IRIS-T, qui est également livré à l'Ukraine.

  • En décembre 2023, la voiture du ministre estonien de l'Intérieur Lauri Läänemets a été forcée à Tallinn. La police a arrêté dix suspects. Il s'agirait d'agents russes qui recueillaient des informations en vue de commettre des attentats.

  • En décembre 2023, deux trains de marchandises de ligne Malmbanan ont déraillé en l'espace de quatre jours dans le nord de la Suède. La ligne est restée fermée pendant deux mois. La police a soupçonné des saboteurs russes.

  • En mars, à Londres, un entrepôt contenant de l'aide à l'Ukraine a été incendié. Cinq hommes ont été accusés d'avoir ciblé des entreprises ayant des liens avec l'Ukraine pour le compte de la troupe de mercenaires russes Wagner.

  • En avril, la compagnie aérienne Finnair a temporairement suspendu ses vols vers la ville estonienne de Tartu après que deux avions ont perdu leur signal GPS et ont dû faire demi-tour. On suppose que les perturbations de plus en plus fréquentes proviennent de Russie, mais qu'elles ne visent pas en premier lieu les opérations aériennes.

  • En mai, un magasin Ikea a brûlé à Vilnius, la capitale lituanienne, et un centre commercial a subi le même sort à Varsovie, la capitale polonaise. Neuf personnes détenant des passeports ukrainiens, biélorusses et polonais ont été arrêtées dans le cadre d'autres incendies.

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