La Suisse est-elle mal-aimée?
Pourquoi les start-up suisses préfèrent entrer en bourse à New York

Cette semaine, deux entreprises suisses ont fait leur entrée à la bourse de New York la même semaine. Quatre fois plus de start-up suisses ont fait leur IPO à l'étranger qu'à Zurich depuis janvier 2020. Et ce n'est pas une coïncidence, selon plusieurs experts.
Publié: 19.09.2021 à 14:36 heures
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Dernière mise à jour: 19.09.2021 à 15:17 heures
Thomas Schlittler (texte), Alexandre Cudré (adaptation)

La semaine écoulée fut fructueuse pour l’économie (et le sport) suisse. Deux entreprises prometteuses ont sauté le pas de l'entrée en bourse: mardi, c’était Sportradar, un fournisseur de données sportives de Saint-Gall, suivi mercredi de On Running, entreprise zurichoise d’articles de sport.

Grâce à d’éminents ambassadeurs de marque, ces introductions en bourse (IPO) ont fait les gros titres dans le monde entier. Chez On, c’était Roger Federer, amateur de leurs produits et investisseur. Et pour Sportradar, nul autre que Michael Jordan, également investisseur.

La légende du basketball a sonné la «cloche d’ouverture» de la bourse de New York (New York stock exchange, NYSE). Car les deux entrées ont effectivement eu lieu à la NYSE. D’un point de vue suisse, il est regrettable de voir ces introductions bouder Zurich au profit des USA.

En direct de New York: l'entreprise d'articles de sport On Running célèbre son entrée en bourse.
Photo: keystone-sda.ch
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L’Amérique du Nord représente le plus grand marché

On Runnings a pourtant bien pensé son coup. «L’Amérique du Nord est notre plus grand marché avec une part de 49%», explique une porte-parole. «Il était logique pour On d’entrer en bourse à New York, en tant que marque sportive mondiale.»

Quant à Sportradar, il justifie également cette décision par la taille et l’importance du marché américain. Carsten Koerl, fondateur et CEO de l’entreprise, déclare à Blick: «La Suisse est ma patrie. Mais pour une entreprise de technologie et de logiciels, mon coeur va au Nasdaq.»

Tout cela est bien logique du point de vue des intérêts de l’entreprise. Mais que fait la bourse suisse? N’est-elle pas suffisamment attractive pour ces start-up?

Quatre en Suisse, douze à l’étranger

Au cours des 18 derniers mois, seules quatre IPO ont eu lieu en Suisse. Au cours de la même période, c’est pourtant une douzaine de start-up suisses qui ont tenté une introduction en bourse à l’étranger, selon les recherches effectuées par nos collègues de SonntagsBlick.

La majorité d’entre elles sont issues du secteur des biotechnologies, en plein essor: ADC Therapeutics et Sophia Genetics, développés à Lausanne, Gain Therapeutics à Lugano, VectivBio et Monte Rosa Therapeutics à Bâle, NLS Pharmaceutics à Stans et Pharvaris à Zoug.

S’y ajoutent l’entreprise de technologie textile HeiQ à Zurich, la société informatique Trifork à Schindellegi (SZ) et l’entreprise spatiale Astrocast, à Lausanne. La plupart d’entre elles sont cotées à la bourse technologique américaine Nasdaq. Mais certaines sont également répertoriées en Europe.

Le siège social importe plus que l’IPO

Tobias Meyer, responsable des services d’introduction en bourse chez Ernst & Young (EY) en Suisse, explique: «Pour les entreprises de biotechnologie, une introduction en bourse aux États-Unis est plus pertinente. Les investisseurs et analystes spécialisés y sont nombreux et peuvent évaluer efficacement l’histoire des capitaux propres de l’entreprise. Cela se reflète de manière positive dans l’évaluation.»

Quant à Erich Herzog, responsable de la concurrence et des affaires réglementaires chez Economiesuisse, il n’attache pas trop d’importance aux nombreuses IPO ayant eu lieu à l’étranger. «Une entreprise qui a son siège social en Suisse conserve le lien étroit avec le pays.»

Néanmoins, il juge regrettable pour l’image de la Suisse qu’une entreprise helvétique entre en bourse à l’étranger. «Nous devons prendre soin de notre localisation et nous assurer que nous restons compétitifs dans tous les domaines de l’économie, en matière de réglementation comme en mobilisation de capitaux.»

La mentalité des investisseurs suisses en question

C’est précisément dans ces domaines que Leti McManus voit la nécessité d’agir. Elle conseille les entreprises suisses dans leurs préparatifs à l’IPO et estime que la tendance de partir à l’étranger n’est pas un hasard.

Pour les PME en particulier, cependant, cette évolution est en partie auto-infligée: «Dans d’autres pays européens, il existe depuis plus de 25 ans des réglementations simplifiées pour les entrées en bourse des PME, dit-elle. La Suisse n’a fait des premiers pas dans cette direction que très récemment.»

Un autre problème est la mentalité et les attentes des investisseurs. «Les investisseurs privés et les institutions suisses devraient s’ouvrir davantage au financement d’entreprises plus petites et moins établies», indique Leti McManus. «Ils doivent s’habituer au fait que celles-ci ne sont pas forcément rentables à court terme et que le cours de leurs actions fluctue davantage que celui des grandes sociétés cotées.»

«Les deux IPO suisses à New York sont une coïncidence»

Pendant ce temps, la bourse suisse SIX réfute l’idée d’un problème fondamental d’attractivité. «La Suisse est un lieu très attractif pour entrer en bourse», conteste le porte-parole Jürg Schneider.

En termes de capitalisation boursière, SIX est le troisième groupe boursier d’Europe et est donc plus que compétitif. Jürg Schneider estime que l’entrée de deux sociétés suisses en bourse au NYSE la même semaine est une coïncidence. «Il ne s’agit pas d’une tendance», affirme-t-il.

Indirectement, cependant, SIX a admis qu’il fallait agir: en octobre, elle ouvrira le segment «Sparks». Il est destiné aux PME et promet des exigences et des conditions moins strictes pour l'introduction en bourse. On espère que les premières IPO auront lieu au printemps prochain.

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