L'engrenage militaire est en marche
Pourquoi l'escalade entre Israël et l'Iran nous concerne tous

Et maintenant? La voie vers le conflit généralisé au Moyen-Orient que tout le monde redoute est-elle ouverte? Pas sûr. Mais la probable réplique israélienne risque de rendre l'engrenage encore plus dangereux.
Publié: 14.04.2024 à 11:52 heures
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Dernière mise à jour: 14.04.2024 à 19:37 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

La guerre totale. Elle parait loin, voire impensable, entre l’État d’Israël doté de l’arme nucléaire et l’Iran, qui s’emploie de toutes ses forces à l’acquérir. Mais peut-on l’écarter après la frappe massive de drones iraniens contre le territoire israélien, même si celle-ci a largement échoué? Malheureusement non. Le propre d'un engrenage est qu’il peut toujours conduire au pire.

L’engrenage militaire est en marche

Il faut bien sûr se féliciter de l’efficacité du «dôme de fer» dont la défense antiaérienne israélienne vient à nouveau de prouver son efficacité, face à l’attaque massive de drones kamikazes iraniens, dans la nuit du samedi 13 avril. Mais il est impossible d’affirmer que Téhéran va en rester là. La plupart des observateurs estiment que cette attaque aérienne à distance, via un essaim de drones Shaheed bon marché (leur coût estimé de fabrication est d’environ 20'000 francs l’unité), avait surtout pour but de tester la défense d’Israël, et de saturer les batteries antiaériennes.

Du côté de l’État hébreu, la leçon de cette nuit de feu est donc claire: l’Iran prépare d’autres opérations, par exemple des tirs de missiles ou des attaques terroristes. D’où la tentation de répliquer très fortement pour prévenir toute nouvelle offensive. Et à chaque nouvelle marche, l’escalade s’installe.

Un drone iranien Shahed-136 «Kamikaze» survole le ciel de Kermanshah, en Iran. L'Iran a tiré plus de 100 drones et missiles balistiques le samedi 13 avril 2024.
Photo: DUKAS
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Cet engrenage nous concerne tous

Il n’y aurait rien de plus faux que de croire à un conflit lointain, sans incidence et sans impact pour nous, en Suisse et sur le continent européen. D’abord parce que le territoire d’Israël n’est qu’à quelques milliers de kilomètres de l’Europe. Ensuite parce que le soutien unanime apporté par les gouvernements Européens à l’Etat hébreu attaqué – Suisse incluse – nous place dans le camp des puissances ennemies pour l’Iran, allié de la Russie de Vladimir Poutine que Téhéran fournit, justement, en drones Shaheed.

On peut dès lors s’attendre à d’autres répliques du séisme engendré par l’attaque israélienne contre le consulat d’Iran à Damas, le 1er avril, qui a coûté la vie à plusieurs officiers supérieurs iraniens, dont le principal officier de liaison entre les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah libanais. Répliques économiques avec la possibilité d’actions contre les tankers dans le détroit d’Ormuz. Répliques militaires en Ukraine, où la Russie pourrait profiter de ces tensions. Répliques sécuritaires en Europe avec la menace terroriste.

Cet engrenage est un danger pour l’Europe

Les pays européens sont en première ligne. A tous points de vue. D’abord parce qu’ils sont les plus proches du terrain de guerre en l’Iran et Israël. Ensuite parce qu’il y a l’antécédent de l’intervention alliée en Syrie, où le régime de Bachar el-Assad a été sauvé par Téhéran et Moscou. Enfin parce que les filières existent, sur le sol européen, pour permettre à l’Iran de fomenter des attaques terroristes alors que deux grands événements publics se profilent: l’Euro de foot en Allemagne en juin, et les Jeux Olympiques à Paris à partir du 26 juillet. Il est beaucoup plus difficile pour l’Iran de viser les Etats-Unis (dont la Suisse continue de représenter les intérêts à Téhéran). Ajoutons à cela les fractures de l’opinion publique européenne à propos de la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza en réponse à l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre 2023…

Engrenage ne veut pas dire guerre, mais…

Dans les faits, la guerre est là. Elle oppose Israël à l’Iran, désireux d’acquérir au plus vite la maîtrise de l’arme nucléaire, ce qui changerait dramatiquement les rapports de force au Moyen-Orient, où l’État hébreu est le seul à détenir aujourd’hui l’arme atomique. La guerre est aussi présente, avec son lot de tragédies et d’horreurs insoutenables, dans la bande de Gaza. Le Hamas, décimé militairement, n’est pas éradiqué. L’organisation palestinienne soutenue par l’Iran lutte pour sa survie. Et, même s’il s’est excusé auprès de la population de Gaza pour les souffrances engendrées par son assaut du 7 octobre, le mouvement ne va pas disparaître. Il faut redire enfin que le gouvernement israélien actuel, dirigé par Benjamin Netanyahu, a besoin que la guerre se prolonge pour éviter d’être renversé. Les manifestations anti-Netanyahu ont repris à Tel-Aviv. Les hostilités permettent de les reléguer au second plan.

Cet engrenage prend l’Europe en tenaille

Il met la pression sur des gouvernements européens qui conservent des liens avec tous les pays de la région et rêvent de jouer un rôle dans la reprise d’un dialogue entre Israël et les pays qui l’entourent. Les Européens ont en effet tout à perdre à apparaître comme les supplétifs des États-Unis, fermement derrière Israël. Car ils sont bien plus exposés aux représailles iraniennes.

Problème: cette voie est plus qu’étroite. C’est une ligne de crête presque impossible à tenir. Le soutien militaire apporté par le Royaume-Uni et par la France à Israël face aux drones iraniens donne le ton. La dépendance énergétique envers des pays comme le Qatar est au cœur du sujet. La guerre en Ukraine entre parallèlement dans une phase critique, vu le manque de munitions et de défense antiaérienne qui conduit les autorités de Kiev à tirer le signal d’alarme. L’Europe est prise entre deux feux. Entre deux incendies majeurs. C’est la triste réalité.

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