«Les droits des femmes oui, sous la charia»
La surprenante conférence de presse des talibans

Lors de leur première conférence de presse, les talibans ont tenté de rassurer le monde. Au lieu de fanatiques brutaux, les islamistes se présentent comme indulgents. Mais c'est une opération de communication: ils ne révèlent qu'une semi-vérité.
Publié: 18.08.2021 à 13:37 heures
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Dernière mise à jour: 18.08.2021 à 14:43 heures
Daniel Kestenholz, Lauriane Pipoz (adaptation)

La prise de l'Afghanistan par les talibans ne s'est pas faite en un jour. Même si le monde n'avait encore aucune idée de ce qui se tramait, la campagne éclair avait été planifiée longtemps à l'avance.

Il y a un mois, le 9 juillet, une délégation de talibans haut placés s'est rendue à Moscou pour rassurer les Russes sur ses intentions: la conquête de l'Afghanistan ne représente aucune menace pour la Russie ou ses alliés d'Asie centrale. Fin juillet, des négociateurs talibans arrivent à Pékin dans le cadre de la même mission.

Aujourd'hui au pouvoir, ces derniers tentent de communiquer pour apaiser les craintes d'un retour de la terreur à Kaboul. L'UE, à travers Josep Borrell, son envoyé spécial pour les affaires étrangères, a pris conscience qu'il faudrait discuter avec eux: «Ils ont gagné la guerre, alors nous allons devoir leur parler». Pékin et Moscou sont d'ores et déjà en contact avec les talibans: leurs ambassades à Kaboul sont ouvertes.

Lors de la première conférence de presse des talibans, qui a attiré beaucoup de monde, aucune femme n'a été vue dans la salle.
Photo: EPA/STRINGER
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Amnistie

Afin d'entamer au plus vite un dialogue avec le reste du monde, les guerriers saints, lors de leur première apparition devant les médias mondiaux ce mardi, se sont efforcés de donner l'impression qu'ils ne ramèneraient pas telles des brutes l'Afghanistan à l'âge de pierre. Leur porte-parole, Sabiullah Mujahid, s'est montré presque doux lors de la première conférence de presse depuis la prise de Kaboul.

Jusqu'à hier, Sabiullah Mujahid était plus un mythe qu'une personnalité publique. Pendant 20 ans, les talibans sont restés dans l'ombre et la clandestinité, luttant contre les infidèles et les étrangers. Durant des années, leur porte-parole a envoyé des tweets sous le nom de «@Zabehulah_M33». Son compte a plus de 317'000 abonnés, mais son visage était resté secret.

Hier, des caméras et des projecteurs étaient donc braqués sur lui, une vingtaine de microphones disposés devant lui. Sur un ton pseudo-rassurant, celui qui a fait carrière dans la guerre nous assure que l'Émirat islamique d'Afghanistan n'en veut à personne: «Nous avons pardonné à tous ceux qui nous ont combattus. Les hostilités ont pris fin». Selon lui, Les talibans ne se financeraient plus avec le commerce de l'opium. La communauté internationale devrait aider l'Afghanistan à cultiver des cultures alternatives, a-t-il affirmé sans fard.

Dans son discours, il veille à ne pas avoir l'air d'un fanatique. Traducteurs, employés d'États étrangers et collaborateurs, énumère-t-il, les talibans ne traqueraient personne. Il assure qu'ils ne seraient pas dans un esprit de vengeance: tout le monde serait «gracié». Une amnistie aurait même été accordée à tous les soldats de l'armée afghane. Ils tendent la main à tout le monde, continue Sabiullah Mujahid: «Tout le monde aura une place au sein du nouveau gouvernement». Il ne veut pas non plus entendre parler d'une quelconque fouille des maisons par ses guerriers. Selon lui, les combattants ne sont pas autorisés à entrer dans les maisons privées. Les talibans sont en train de collecter des armes, explique-t-il. Il prévient aussi que les pilleurs seront traités sévèrement.

Droits des femmes? Oui, mais...

Sabiullah Mujahid s'est aussi bien préparé sur le sujet des femmes. Il se montre sous un jour plutôt favorable. Mais ne nous y trompons pas: il ne dit probablement que la moitié de la vérité. Les femmes se verraient accorder des droits, certes, mais sous la charia. Il faut savoir que cette loi est interprétée de manière encore plus stricte par les talibans que dans le monde islamique le plus conservateur.

Sous l'ancien régime des talibans - au pouvoir jusqu'en 2001 -, les femmes n'avaient pas le droit de quitter la maison sans être accompagnées d'un adulte de sexe masculin, et encore moins de travailler, d'aller à l'école ou de recevoir une éducation. Sabiullah Mujahid assure que les femmes ne redeviendront pas des citoyennes de seconde zone: «Il n'y aura pas de discrimination à l'égard des femmes, elles vivront avec nous», affirme-t-il généreusement. Dans l'Afghanistan des talibans, elles auraient le droit de participer à l'éducation et aux soins, entre autres. Une phrase plutôt floue. Quel est son sens exact? Il faudra attendre pour savoir s'il ne s'agit pas d'une formule vide destinée à rassurer l'opinion publique.

«Donnez-nous du temps», plaident les Talibans.

CNN rapporte que les talibans demandent que les femmes soient accompagnées d'un parent masculin et voilées lorsqu'elles quittent la maison. Or, comme les talibans ont pris d'assaut l'Afghanistan, de nombreuses femmes n'ont pas eu le temps d'acheter une burqa.

Ces informations, parmi d'autres, montrent que la vie en Afghanistan pourrait être différente de ce qui a été annoncé lors de cette étrange conférence de presse. Selon les médias, une mère de quatre enfants a été battue à mort par les talibans le 12 juillet parce qu'elle ne faisait pas la cuisine pour un groupe de combattants. Sa fille de 25 ans a expliqué que sa mère était trop pauvre. Comment aurait-elle pu fournir de la nourriture aux guerriers?

Le porte-parole des talibans reste vague sur les droits et l'avenir des femmes dans les nouveaux émirats afghans. «Donnez-nous du temps», demande-t-il aux médias et à la communauté mondiale. Pas une seule femme n'était présente lors de cette conférence de presse très suivie.

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