Mélenchon va-t-il coaliser la gauche comme en 1936 et 1981?
Cette gauche française qui rêve d'un nouveau «Front populaire»

En France, l'ex-candidat à la présidentielle réveille les souvenirs d'une alliance de gauche capable de l'emporter aux législatives des 12 et 19 juin. Au point de ressusciter l'envie d'un «Front populaire», comme en 1936.
Publié: 03.05.2022 à 10:05 heures
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Dernière mise à jour: 03.05.2022 à 21:52 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Deux hommes face à face. D’un côté, Emmanuel Macron, tout juste réélu, occupé à scruter lui-même toutes les investitures des candidats de la majorité présidentielle aux législatives françaises des 12 et 19 juin sous un nouveau label: «Avec vous», comme durant sa campagne victorieuse. De l’autre, Jean-Luc Mélenchon, le leader de la «France Insoumise», sa formation de gauche radicale devenue depuis son score de 22% au premier tour de la présidentielle le pôle dominant de son camp politique.

Un scénario ancien de la vie politique

Ce duel ressuscite un scénario ancien de la vie politique tricolore: celui d’un pays partagé en trois comme dans les années 30, avant la seconde guerre mondiale. Un bloc «bourgeois» recomposé autour du Chef de l’État sortant, et deux blocs «populaires»: l’un à l’extrême droite autour du Rassemblement national et de Marine Le Pen, l’autre à gauche, capable de réunir «Insoumis», socialistes, écologistes et communistes. Avec, dans ce dernier cas, deux précédents historiques qui résonnent particulièrement en France car ils marquèrent deux tournants: celui du «Front populaire» autour de Léon Blum en 1936, et celui du «programme commun» de la gauche autour de François Mitterrand en 1981.

«Front populaire»: rien ne dit pour le moment que Jean-Luc Mélenchon, 70 ans, parviendra à ressusciter la ferveur de 1936 à l’issue des négociations qui se poursuivent encore avec le parti socialiste, lui qui adore l’histoire et s'est positionné comme le porte-voix de l'extrême gauche contestataire depuis le début des années 2000. Sa volonté de rompre avec l’actuelle politique européenne de la France, ses soutiens passés aux régimes autoritaires gauchistes d’Amérique latine, son indulgence envers Vladimir Poutine et sa volonté de conclure des «alliances altermondialistes» pour contrebalancer l’Otan dominée par les États-Unis… Tout cela pose de sérieux problèmes avec l’aile sociale-démocrate du PS.

N’empêche: cette expression-là a de quoi réveiller les urnes et la ferveur électorale dans un pays où 28% des votants ne se sont pas rendus aux urnes le 24 avril, un record absolu. Dans son livre «Histoire du Front populaire, l’échappée Belle» (Tallandier), l’historien Jean Vigreux l’affirme: «Dans l’histoire de la France contemporaine, le Front populaire occupe une place singulière: il s’inscrit dans la lignée des grands moments des mobilisations qui ont changé la vie. Il constitue un événement sans pareil […] qui a laissé des traces profondes au sein de la culture nationale».

Jean-Luc Mélenchon, le leader de la «France Insoumise», sa formation de gauche radicale devenue depuis son score de 22% au premier tour de la présidentielle le pôle dominant de son camp politique.
Photo: KEYSTONE

«Front populaire» et «Union populaire»


«Front populaire», le mot n’est pas très éloigné de «l’Union populaire», le terme employé aujourd’hui par Jean-Luc Mélenchon qui peut se targuer d’avoir, ce week-end, conclu un accord historique avec les écologistes, premier pas vers sa campagne pour être «élu Premier ministre» en juin prochain et partager le pouvoir avec Emmanuel Macron. Une centaine de circonscriptions sur 577 iront aux Verts. Plusieurs propositions cruciales ont été actées, comme la hausse du salaire minimum (le Smic) à 1400 euros mensuels, le retour à la retraite à 60 ans (alors que l’âge légal de départ est aujourd’hui fixé à 62 ans et qu’Emmanuel Macron veut le porter à 65), ou encore le blocage des prix sur les produits les plus essentiels. La planification écologique sera la priorité.

Et maintenant, le Parti socialiste français, sorti du congrès d’Epinay de 1971 remporté par François Mitterrand, peut-il rejoindre ce pôle? Le score désastreux de la maire de Paris Anne Hidalgo à la présidentielle (1,7% des voix) et la volonté de préserver la trentaine de députés PS sortants jouent dans cette direction. «Il faut s’y résoudre: si l’on ne veut pas laisser l’extrême droite de Marine Le Pen squatter l’électorat populaire français, cette alliance est la bonne direction. On peut penser ce qu’on veut de Mélenchon, mais il est crédible dans son rôle de porte-étendard d’une alternance à gauche», confirme un sénateur de la majorité présidentielle.

Dans «1938, l’œil du cyclone» (X.O Editions), son passionnant livre sur l’année des accords de Munich et du grand renoncement des démocraties européennes face à Hitler et à l’Allemagne nazie, l'essayiste et ex chroniqueur télévisuel Frédéric Mitterrand raconte ainsi la France sortie du «Front populaire» qui, après sa victoire aux élections de mai 1936, gouverna jusqu’en avril 1938 sous la direction de Léon Blum. «A Paris, si l’inquiétude était perceptible, on continuait de vivre au rythme des grèves et des congés payés, des intrigues politiques et du chanteur Tino Rossi.» Une France de l’insouciance, résultat des progrès sociaux historiques obtenus comme les premiers congés payés pour les salariés devenus légaux en juin 1936.

L'ombre du référendum européen de 2005


Et maintenant? Deux autres souvenirs plus récents remontent surtout à la surface. Le premier est le «programme commun» de la gauche en 1981, qui porta François Mitterrand à la présidence de la République. Mais il fut largement abandonné deux ans plus tard par celui-ci, lors du grand tournant de la rigueur en 1983, en raison des contraintes économiques et de la nécessité de rester arrimé à la Communauté européenne de l’époque.

Le second est encore plus douloureux: il s’agit du référendum du 29 mai 2005 sur le projet de constitution européenne. Celui-ci avait été rejeté par 54,68% des électeurs français, dont une bonne partie de la gauche. Mais deux ans plus tard, le nouveau président de droite Nicolas Sarkozy a fait adopter par l’Assemblée nationale plusieurs dispositions rejetées pour aboutir à l’actuel Traité de Lisbonne, qui régit l’Union européenne. Or, Jean-Luc Mélenchon martèle depuis qu’il avait alors «eu raison de dire non en 2005» et il promet de repartir à l’assaut de Bruxelles. Front populaire? «Dans un élan d’espérance sans pareil, c’est tout un peuple qui, en 1936, retrouva la foi dans un avenir meilleur» note l’historien Jean Vigreux. 3 mai 1936 - 3 mai 2022: et si toute une partie de la France fracturée avait juste envie de renouer avec l’optimisme social, même au risque d’une crise européenne majeure?

A lire:
Jean Vigreux, «Histoire du Front Populaire. 1936, l'échappée belle», Éditions Tallandier, 2016.
Frédéric Mitterrand, «1938, L'œil du cyclone», X.O Éditions, 2022.

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