Myret Zaki
Non au Mondial au Qatar, oui au gaz: hypocrisie ou niaiserie?

Ceux qui appellent au boycott de la Coupe du Monde ont l’indignation sélective. Qu’ont-ils à dire sur nos pays qui se ruent sur le gaz du Qatar et lui vendent des clubs, des palaces et des tonnes d’armes?
Publié: 26.09.2022 à 14:45 heures
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Dernière mise à jour: 31.10.2022 à 16:14 heures
Myret Zaki

Une des règles de base, quand on prétend défendre de nobles causes, est qu’il est impératif d’être consistant de A à Z. Car ce type de prise de parole supporte mal l’hypocrisie. Dans le cas des appels au boycott de la Coupe du Monde au Qatar, non seulement la cohérence fait défaut, mais l’hypocrisie atteint des sommets. D’une part, des célébrités et politiciens y vont chacun de leur mot pour crier à l’indécence de ce Mondial sur le plan humain et environnemental, et annoncent qu’ils ne le regarderont pas, tandis que les pétitions se multiplient. Sur les plateaux de télévision, le passage obligé devient: «Allez-vous suivre le Mondial au Qatar?»

Carte maîtresse pour remplacer le gaz russe

De l’autre, ces mêmes indignés sont silencieux lorsqu’on apprend que l’Europe est en train de faire du Qatar sa carte maîtresse pour remplacer le gaz russe. Les dirigeants européens se sont bousculés dans l’émirat du Golfe ces derniers mois pour parler de contrats gaziers. A l’instar du chancelier allemand Olaf Scholz, qui était mi-septembre au Qatar. Inutile de dire que Doha a la haute main sur ce dossier, et que les places (pour recevoir du gaz) sont chères.

Il y a quelques jours, le géant français TotalEnergies a signé un accord de plus de 2 milliards d’euros avec Doha pour le développement du plus grand champ de gaz naturel au monde. De même, le président du Conseil européen, Charles Michel, a discuté le 16 septembre avec le Qatar de la possibilité de rediriger vers l’UE du gaz destiné à l’Asie. L'un des plus grands producteurs de gaz naturel liquéfié au monde, le Qatar, réserve ses exportations majoritairement aux pays asiatiques. L’Europe n’avait pas signé de contrats à long terme avec l’émirat jusqu’ici. Mais avec la guerre en Ukraine, virement de bord et plein cap sur Doha. L’UE se dit prête à discuter avec les pays d’Asie pour voir comment partager, ne serait-ce qu’à court terme, la production du Qatar. Qui devient sa planche de salut énergétique.

Khaled Mubarak al-Kuwari, le directeur de la Fédération du Qatar de football.
Photo: AFP
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Colossales émissions de méthane

Bref, au moment où certains proclament qu’ils se passeront de regarder la Coupe du Monde de foot au Qatar, pour dénoncer cette indécence humaine et climatique, l’Europe réalise qu’elle ne peut se passer du gaz qatari. Les mêmes boycotteurs vont se retrouver à consommer de l’énergie qatarie à la maison. Or, si l’on est soucieux de la cause environnementale, il faut savoir que la production de gaz naturel, qu’il provienne de Russie ou du Qatar, est responsable de colossales émissions de méthane, un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2.

«L’exposition à ce polluant atmosphérique dangereux provoque chaque année plus d’un million de décès dans le monde liés à la pollution, et plusieurs millions de maladies chroniques», selon le Programme de l’ONU pour l’environnement. Sur une période de 20 ans, son effet de réchauffement est 80 fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone. L’ONU voit même dans la réduction du méthane le levier le plus puissant pour ralentir le changement climatique ces 25 prochaines années. Or, le Qatar est appelé à accroître ses émissions, allant directement contre de l’objectif de ralentir le réchauffement.

«Pas la même chose»

Qu’en pensent nos activistes anti-Coupe du Monde, vont-ils boycotter l’électricité et le chauffage qui provient d’un pays violateur des droits humains et pollueur? Tout porte à croire que non. Pourtant, l’engagement proclamé exige parfois des sacrifices plus étendus que de renoncer à quelques matchs télévisés. Mais on ne les entend pas lorsque l’autocritique s’invite. Ainsi donc, oui au gaz qatari, non à la Coupe du Monde? Faut-il penser que quand leurs intérêts sont en jeu, les détracteurs ferment les yeux?

Faire la leçon au Qatar d'un côté, s'y fournir de l'autre. Lorsque j’ai fait remarquer ce problème sur Twitter, des internautes ont répondu: «Ah non, ce n’est pas la même chose, car ce ne sont pas les mêmes qui appellent au boycott et qui signent les contrats gaziers.» C’est vrai. Mais cette chronique ne concerne pas les gouvernements. Elle juge les activistes et vers qui ils dirigent leur action. Ceux qui appellent au boycott ont peu à dire sur leur gouvernement et ses choix. Comme celui d’être dépendant de l’énergie d’un pays aussi peu exemplaire sur le plan climatique et des droits humains, et cela depuis bien avant la Coupe du Monde. Ou de lui vendre massivement des armes. Le Qatar figure parmi les 3 plus gros acheteurs d’armes françaises.

Si je relève ceci dans une chronique, c’est parce que ce cas d’hypocrisie est récurrent et nuit à la crédibilité de nombre de ces campagnes à vertu variable. Ceux qui critiquent les droits de l’homme dans les pays du Golfe n’ont jamais rien à dire sur le rôle de la France comme fournisseur d’armes à cette région. Une indignation sélective qui protège leur gouvernement. Oui pour faire la leçon à ces pays, non pour renoncer à leurs milliards: cela pose problème. Qui arme les pays que l’on critique, qui leur achète de l’énergie, qui sponsorise leur Mondial?

Responsabilité à peine évoquée

Le gouvernement Sarkozy avait soutenu l’attribution du Mondial à Doha, annoncée par la FIFA le 2 décembre 2010. Sa responsabilité est à peine évoquée. Cinq mois plus tard, en mai 2011, le Qatar rachetait le PSG, et l’Elysée a béni ces millions venus tirer le club de la débâcle. Aujourd’hui, les joueurs du PSG sont ridiculement surpayés par leur propriétaire qatari (4 millions d’euros par mois pour Neymar, hors primes): on n’entend pas grand monde crier au scandale. Dans le fond, l’argent des cheikhs, quand il va dans leur direction, n’a jamais posé problème à ceux qui veulent bouder ce Mondial.

Mais surtout, nos gouvernements, leurs choix, leurs contrats, leurs arrangements, leurs transactions, et l’impact de ces flux financiers, ne sont pas remis en cause. Le Qatar, ils lui achètent du gaz, lui vendent des armes, des palaces européens, y investissent dans le secteur immobilier et bancaire, tandis que les sponsors financent le Mondial et les fédérations y font leur beurre. Mais l’activisme, on le dirige vers l’extérieur, tout en protégeant les intérêts de nos gouvernements, trempés jusqu’à l’os.

Erreur. Un activisme crédible doit d’abord et avant tout balayer devant sa porte. Il doit concerner ceux qui agissent en notre nom et nous rendent des comptes, nos élus, nos représentants politiques, nos exécutifs. Rien ne doit compter davantage. Si nos dirigeants ne l’avaient pas voulu, cette Coupe du Monde n’aurait pas eu lieu au Qatar. Sauf qu’on ne les met pas devant leurs responsabilités et les conséquences de leur opportunisme. «Il s’avère toujours tellement plus facile de réclamer au péquin de prendre ses responsabilités […] que d’imposer au niveau «macro» - État, entreprises - des décisions douloureuses pour le portefeuille», résume un chroniqueur de So Foot.

Ce phénomène ne s’arrête pas aux pays du Golfe. Avec la Chine, d’aucuns s’indignent face à la situation alarmante des Ouïghours. Les mêmes n’ont pas semblé si choqués du fait que les marges des entreprises d’Europe et des USA ont explosé durant des décennies sur le dos d’ouvriers chinois travaillant dans les pires conditions pour fabriquer à bon marché nos produits de consommation. Aujourd’hui encore, on n’entend pas beaucoup de protestations quant au fait que nos plus grandes enseignes offrent des vêtements produits au Bangladesh ou en Ethiopie par des employés scandaleusement sous-payés, un problème qui concerne pourtant la vaste majorité des consommateurs. L’indignation à géométrie variable, cette grande niaiserie.

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