«Il s'est enfoncé la tête dans le sol et a crié»
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Notre journaliste en Ukraine:«Il s'est enfoncé la tête dans le sol et a crié»

Notre journaliste a aidé des Ukrainiens dans un camion en feu
«Il me regarde d'un air vide en poussant des cris de désespoir»

Notre journaliste Helena Schmid était en route avec un soldat ukrainien en direction de la frontière russe lorsqu'un camion militaire s'est enflammé devant eux. Sans hésiter, ils se précipitent pour sauver les soldats blessés. Elle nous raconte.
Publié: 20.09.2024 à 12:45 heures
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Dernière mise à jour: 20.09.2024 à 12:59 heures
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Helena Schmid
Helena Schmid est en Ukraine pour documenter la guerre. Elle se trouve dans la région de Soumy.

Jusqu'à ce jour, les explosions étaient lointaines. Et ce, même si nous sommes à Soumy, une région ukrainienne à la frontière avec la Russie, où les impacts de bombes se font entendre en permanence. Et même si nous traversons régulièrement des nuages de fumée et des champs en feu. Mais ce jour-là, en début de semaine, une explosion s'est produite sous nos yeux.

Je n'ai même pas eu le temps d'enregistrer la détonation. J'ai seulement pu constater le camion militaire en feu dans un talus à côté de la route. Mon traducteur, Yevhen Semenikhine, tourne le volant et freine. Nous sautons de la voiture.

Le véhicule en feu se dirigeait vers Koursk, en Russie. Début août, l'armée ukrainienne a pris d'assaut le poste frontière et pris le contrôle de plusieurs villages et de la petite ville de Soudja. C'est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu'un territoire russe est occupé par un autre pays.

Des soldats blessés sauvés des flammes

La Russie a entre-temps lancé une contre-offensive et souhaite reprendre Koursk. De ce fait, l'armée russe multiplie les tirs de missiles sur la région ukrainienne voisine de Soumy. Yevhen et moi y sommes lorsque le camion militaire devant nous se fait toucher.

Le feu se propage dans la cabine du conducteur. Je vois un soldat, pieds nus, qui trébuche sur le talus. Son visage est noirci par la suie, il me regarde d'un air vide en poussant des cris de désespoir. Je lui attrape le bras et tente de l'éloigner le plus rapidement possible du camion. Mais il tombe régulièrement à genoux en laissant sa tête contre le sol. «Vse dobre, vse dobre!» («Tout va bien»), dis-je dans un ukrainien maladroit.

Entre-temps, une autre voiture avec des soldats s'est arrêtée, l'un d'eux se précipite pour m'aider. Yevhen découvre un deuxième blessé juste à côté du camion. «J'ai bien compris que le camion pouvait exploser à tout moment, alors j'ai couru vers lui, raconte-t-il. L'un des soldats m'a rejoint et m'a assuré que c'était un réservoir de diesel qui n'allait pas exploser.»

Camion probablement attaqué par des drones

Nous appellerons ce soldat Taras*, car il nous a demandé de ne pas révéler son vrai nom. Je vois Yevhen et Taras remonter le talus avec le blessé. «Il était inconscient, raconte Taras. Mais j'ai senti son pouls au poignet.»

Depuis l'offensive ukrainienne, l'armée russe contrôle sans cesse la région de Soumy. Des drones de surveillance survolent la région et transmettent les images filmées au Kremlin. Ils sont trop haut pour qu'on puisse les entendre ou les voir. Lorsque les soldats russes identifient une cible potentielle, ils envoient un deuxième drone chargé de munitions. On peut entendre leur vrombissement, mais il est alors souvent trop tard.

C'est probablement un tel drone qui a touché le camion militaire, m'explique le soldat Taras après coup.

Des balles volent

Alors que nous sommes en train de nous occuper du deuxième blessé, j'entends soudainement des crépitements et des sifflements, comme des feux d'artifice. Yevhen témoigne: «Je connaissais ce bruit pour l'avoir entendu lors d'un précédent incident et je savais qu'il provenait des munitions dans le camion.»

Puis, il prend feu. Les flammes font exploser les munitions, les balles volent dans toutes les directions de manière incontrôlée. Yevhen et Taras chargent le deuxième blessé dans la voiture des soldats, qui fonce immédiatement en direction de l'hôpital.

Je m'éloigne en courant du camion en feu, je me mets à couvert à une cinquantaine de mètres et Yevhen me rejoint quelques instants plus tard. Taras va chercher notre voiture, nous sautons dedans.

«Les blessés retourneront au front»

Mon sac traîne dans l'herbe à côté de la voiture, je l'embarque en ne sachant pas si j'ai perdu des affaires au bord de la route ou non. Nous repartons immédiatement à la tombée de la nuit. De retour à Soumy, la ville est en silence.

Je filme encore par la fenêtre, car je ne peux pas garder mes mains immobiles. Mais il fait trop sombre. Je ne sais plus quelle chanson passait à la radio lorsque Taras se met à chanter doucement, nous tirant de nos pensées. «J'ai rarement vécu de tels incidents», me dira-t-il plus tard. Pendant l'opération de sauvetage, je n'ai pas pu filmer. Yevhen, Taras et moi rentrons donc le lendemain, visitons le camion brûlé.

Nous ne connaissons pas les noms des soldats blessés, ni leur bataillon. Je me demande comment ils vont. Taras assure qu'il a vu des hommes revenir au front avec des blessures bien plus graves: «Je suis sûr qu'ils vont bientôt continuer à se battre.»

* Nom modifié

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