Nouveau mandat à la Commission
Ursula von der Leyen, ou la dangereuse victoire d'une Europe trop allemande

La présidente de la Commission européenne a été nommée ce jeudi soir pour un second mandat. Une victoire des conservateurs allemands, dont les priorités sont avant tout industrielles et économiques.
Publié: 27.06.2024 à 16:10 heures
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Dernière mise à jour: 28.06.2024 à 08:17 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Elle cochait toutes les cases. Ursula von der Leyen alias VDL, 65 ans, a été nommée sans surprise ce jeudi 27 juin par les Chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres de l’Union européenne.

La présidente sortante de la Commission, qui devra maintenant être investie par le parlement européen, l’a en effet emporté sur tous les tableaux. Elle était la candidate désignée du camp conservateur (le parti populaire européen) sorti nettement vainqueur, le 9 juin, des dernières élections au Parlement de Strasbourg. Elle a toujours démontré, en plus, une inclinaison pro-américaine de nature à satisfaire tous les pays attachés au parapluie sécuritaire de l’Oncle Sam, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Elle a, enfin, réussi à établir des liens de coexistence pacifique avec la seule qui aurait pu lui barrer la route à un nouveau mandat de cinq ans au Berlaymont, le QG bruxellois de la Commission européenne: la première ministre italienne Giorgia Meloni, avant tout préoccupée d’obtenir que son pays reste, du côté ouest-européen, la première destination pour les fonds communautaires. Celle-ci n'a pas voté pour elle lors de la réunion du Conseil jeudi soir (tout comme le premier ministre hongrois Viktor Orban), mais elle n'a pas annoncé que les députés de son groupe ECR au parlement de Strasbourg feront barrage lors du vote.

Voici donc Ursula quasi-assurée de rester à son poste, et bien partie pour s’imposer comme la patronne de l’Union, face aux deux autres titulaires désignés des «Tops Jobs», l’ancien premier ministre socialiste portugais Antonio Costa et la cheffe du gouvernement estonien Kaja Kallas. Le premier présidera le Conseil, le club des dirigeants de l’UE. La seconde sera la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la sécurité. Or ni l’un, ni l’autre, ne sera en mesure de contester à VDL un leadership que cette obsédée de la communication a su construire et consolider.

La présidente de la Commission européenne entretenait de mauvais rapports avec le belge Charles Michel, président sortant du Conseil (à sa gauche).
Photo: IMAGO/NurPhoto
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Pouvoir personnel

Dans une Europe communautaire où le compromis et les consultations sont supposés être la règle, VDL s’est, depuis sa nomination en 2019, engouffrée dans toutes les brèches pour accroître son pouvoir personnel. Elle a, plusieurs fois, nommé des hauts fonctionnaires en dehors des procédures. Elle s’est largement émancipée de celui qui avait avancé son nom voici cinq ans: le président français Emmanuel Macron. Elle n’a jamais répondu aux demandes d’enquête sur ses éventuels conflits d’intérêts lors de la pandémie, compte tenu de ses liens – par son mari – avec le laboratoire Pfizer, auquel l’UE a commandé 2,4 milliards de doses de vaccins anti Covid.

Plus problématique, Ursula von der Leyen incarne ce qui pourrait s’avérer l’un des plus graves dangers pour l’Union européenne, à l’heure de la poussée nationale populiste dans les urnes: l’alignement sur l’intérêt du pays le plus puissant du club, à savoir l’Allemagne. C’est aux conservateurs allemands, donnés gagnants lors des prochaines élections législatives de septembre 2025, que VDL doit sa reconduction attendue.

C’est auprès des grands industriels allemands qu’elle a mené campagne. Sa volonté de ménager les États-Unis, au nom de l’importance du lien transatlantique, ne fait aussi aucun doute. Son Union européenne, pour faire simple, doit d’abord être efficace, économique, technologique et – tant que la guerre en Ukraine se poursuit – anti-Russe. Les sujets d’autonomie ou de souveraineté européenne, chers à la France, sont loin d’être sa priorité.

Éviter les frictions avec Washington

Cette vision de l’Union a des avantages. Elle peut plaire en Suisse, pays tiers désireux de s'arrimer au marché unique européen. Elle correspond au poids de la première économie de la zone euro. Elle évite, ensuite, tout sujet de friction avec Washington, notamment sur le délicat sujet de la guerre à Gaza. Elle consacre enfin le rôle de l’OTAN comme bouclier militaire du continent. Le problème est que cette Europe-là, qui regarde vers l’est, évite les questions d’avenir au lieu de les poser. Et qu’elle risque, par définition, de favoriser un fossé Nord-Sud dont la crise de la dette souveraine, en 2010-2015, avait fourni l’illustration.

La victoire annonçée d’Ursula von der Leyen est celle d'une vision peu innovante de l'Union européenne, avant tout priée d'ouvrir des portes commerciales sans trop réfléchir à un destin continental commun: celle d’une dangereuse Europe trop allemande.

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