Nouveau phénomène chez les plus aisés
Ces «gosses de riches» ont honte de leur fortune et veulent être taxés

Depuis peu, certaines personnes riches se sentent mal à l'aise avec leur fortune, veulent davantage la taxer ou même en faire cadeau. Que se passe-t-il? Explications du phénomène avec trois enfants aisés qui ont honte de leur argent.
Publié: 27.06.2024 à 21:12 heures
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Dernière mise à jour: 28.06.2024 à 11:42 heures
Carmen Schirm

En général, on ne les voit pas. Les Rich Kids se cachent derrière des haies de thuyas bien taillées, fréquentent des collèges d'élite à l'étranger et s'ébattent parmi leurs pairs au match de polo à St-Moritz. Ils sont discrets, car c'est ce qu'on leur a appris, et n'apparaissent presque jamais en public. Et s'il arrive qu'une histoire de famille scabreuse parvienne jusqu'à la presse, l'avocat de la famille, grassement payé, entre en jeu. 

Mais ces Rich Kids-là sont différents. Pour les uns, la fortune est tombée du ciel. Les autres ont travaillé pour l'obtenir. Ensemble, ils partagent un point commun: leur richesse les rend malheureux. Leur souhait? Être taxés davantage, eux et les autres riches de ce monde. Pour plus d'égalité. Et pour la justice. Deux d'entre eux vont même jusqu'à l'ultima ratio: ils se «taxent» eux-mêmes. Les annonces de ce type se multiplient, et n'ont plus rien d'exceptionnel.

La figure de proue: Marlene Engelhorn

La figure de proue de ces nouvelles déclarations égalitaires est Marlene Engelhorn, 32 ans. Le «New York Times», BBC News, «Forbes», le «Spiegel», ont déjà parlé d'elle. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'une héritière millionnaire fait don de sa fortune. La Viennoise a fondé l'association Taxmenow avec 29 autres rich kids (et grown-ups) de Suisse, d'Allemagne et d'Autriche. L'association compte aujourd'hui 60 membres (fortunés) qui se battent pour que les riches soient davantage taxés. Marlene Engelhorn elle-même va encore plus loin.

Une nouvelle génération de Rich Kids veut plus d'égalité. Nous vous présentons trois d'entre eux.
Photo: Getty Images

25 millions d'euros de son héritage seront prochainement distribués à 77 organisations. De l'argent qu'elle a hérité de sa grand-mère Traudl Engelhorn, dont les 4 milliards étaient parqués aux Bahamas via March Holding pour économiser des impôts. De l'argent provenant d'un système d'optimisation fiscale qu'elle condamne. «Je ne sais pas comment cela s'est passé avec ma grand-mère», dit-elle dans un entretien avec la «Handelszeitung». Elle-même a payé des impôts lors de la distribution. Et de toute façon, elle ne veut pas parler de sa famille ou de sa vie privée: «Nous pouvons aussi tout arrêter!»

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«Quand on m'a dit que je recevrais l'argent, j'étais rancunière et j'ai ressenti cela comme une injustice flagrante»
Marlene Engelhorn
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Marlene Engelhorn a l'esprit vif, la répartie facile et le goût de l'attaque. Avec une pointe d'autodérision: «C'est parce que je suis si privilégiée que je peux me permettre de laisser des études inachevées», lance d'elle-même cette étudiante en allemand qui a échoué. C'est pendant ses études dans une université publique que le changement s'est produit. «Cela a accéléré ma réflexion, car je n'étais plus coincée dans une bulle exclusive et cloisonnée.»

Par conséquent, sa réaction face à cet héritage inattendu a été différente de la normale. D'autant plus que, dans son cas, une génération a sauté dans l'ordre de succession. «Quand on m'a dit que je recevrais l'argent, j'étais rancunière et j'ai ressenti cela comme une injustice flagrante. J'étais consciente que je devrais me réjouir, mais je ne pouvais pas parce que je savais que c'était la preuve que ce n'était pas une question de qui je suis, de ce que je peux faire et de comment je m'implique dans la société. Mais que c'est juste une question de comment je suis née.»

Et maintenant? «Quand tout sera en ordre, je devrai aussi, comme 99% de la population, aller travailler et payer des impôts», dit-elle, joyeusement excitée. Voudra-t-elle mener une vie de petite bourgeoise? Elle qui a grandi dans une «maison beaucoup trop grande, un jardin d'enfants privé et une école privée». Elle ne sait pas encore ce qu'elle va faire exactement. «Mais c'est adorable de voir comment les médias s'inquiètent de l'avenir des Engelhorn.»

L'ancien carriériste: Sebastian Klein

Il en va autrement pour Sebastian Klein, 41 ans. Issu d'une famille d'universitaires allemands, il a dû gagner son pain lui-même. «L'exigence de mes parents a fait que mon frère et moi devions gagner notre vie nous-mêmes», explique-t-il à la FAZ, si calme et profondément détendu qu'il pourrait sans problème passer pour un professeur de yoga. Mais les apparences sont trompeuses. Avec verve, il fait le tour des médias allemands et pose des «explosifs» dans les milieux riches, lorsqu'il déclare par exemple: «On dit qu'il ne faut pas parler d'argent, mais cela ne profite qu'à ceux qui sont injustement assis sur beaucoup d'argent.» Il est le symbole de la transformation d'un carriériste de droite en costume Armani en un écolo-socialiste.

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«C'était comme une drogue qui me donnait envie de faire encore plus d'argent avec cet argent»
Sebastian Klein
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Sebastian Klein a étudié la psychologie et était chroniquement fauché lorsqu'il était étudiant. Comme cela flattait son ego, il a été embauché par le Boston Consulting Group. Là, il appréciait d'être pris en charge par de grosses limousines noires, d'être assis au milieu des cercles du pouvoir et d'esquisser des stratégies qui coûtaient la tête des autres. Puis, il a eu une bonne idée: regrouper des livres spécialisés qui seraient également lus à haute voix. En 2012, il a fondé avec trois autres personnes la startup Blinkist. Celle-ci a été vendue en 2023 pour 200 millions d'euros. Résultat: «Au milieu de la trentaine, j'avais plus d'argent sur mon compte que je ne pouvais en dépenser. C'était comme une drogue qui me donnait envie de faire encore plus d'argent avec cet argent.»

Puis est venu le temps de la transformation miraculeuse de l'homo œconomicus en homo socialis. «Je me suis rendu compte à un moment donné que ce n'était pas ce que je voulais.» Il lui a fallu du temps pour redescendre de cette drogue. Aujourd'hui, il n'a plus envie de tout ça. Il vit dans un modeste appartement en location à Berlin, avec sa petite amie. Il a placé 90% de sa fortune dans une société à responsabilité limitée d'utilité publique, à laquelle il n'a pas accès à titre privé. «Les 10% restants constituent ma prévoyance vieillesse, car je n'ai pas de prévoyance vieillesse privée ou de biens immobiliers propres.» Via cette société, il investit dans des entreprises et des startups qui apportent une plus-value à la communauté, mais dont le rendement est faible et dans lesquelles personne ne veut donc investir. L'avenir nous dira si cette stratégie est économiquement viable à long terme.

L'inconnu: Johann Hug

Johann Hug, 30 ans, est informaticien. Il vit dans la région de Winterthour. Pour éviter de se faire de mauvais amis en raison de sa fortune, il se présente sous un pseudonyme, comme il l'a expliqué à SRF Kontext. Sa fortune provient en grande partie d'un héritage, car il est issu d'une famille fortunée. L'autre partie, il l'a «gagnée par chance», comme il dit, «en investissant de manière risquée sur les marchés financiers». Sa situation privilégiée lui permet de pouvoir arrêter de bosser s'il le souhaite. Il se présente en bras de chemise, jovial, se déplace en transports en commun. Dans la maison familiale qu'il a reprise à l'âge de 27 ans, il vit avec d'autres dans une colocation.

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«Les épaules fortes devraient aussi supporter davantage»
Johann Hug
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Depuis un certain temps déjà, il avoue ressentir un malaise face à sa richesse. Pour lui, les dons ne sont pas un bon moyen, car un don n'est pas motivé par des raisons purement altruistes, mais par des préférences personnelles. On peut aussi financer des courses de chiens qui n'ont aucune valeur sociale. Sa revendication: il souhaite des impôts (plus élevés) sur les héritages, les gains en capital et la fortune. «Les épaules fortes devraient aussi supporter davantage!» Ainsi qu'un réarmement financier des autorités fiscales.

Beaucoup d'idées. Peu d'entre elles sont nouvelles. Seul l'expéditeur est nouveau. Pour rappel, la Suisse a intégré une progression dans les impôts. Ainsi, celui qui gagne plus paie plus d'impôts, et de manière disproportionnée. Si les impôts sont trop élevés, on risque de voir les riches partir. En France, sous le quinquennat de François Hollande, une forte imposition sur la fortune a été introduite, ce qui a entraîné le départ de 35 milliards d'euros de France. Un système fiscal intelligemment conçu met les riches à contribution… sans les faire partir.

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