PDG muets dans les Grisons
A Davos, la peur et le silence des grands patrons

Ils avaient l'habitude de donner des leçons au monde entier depuis Davos. Cette année, les patrons des multinationales ont été beaucoup plus discrets. Logique: leur monde est de moins en moins prévisible.
Publié: 18.01.2024 à 15:53 heures
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Dernière mise à jour: 18.01.2024 à 16:09 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vous pensez encore que les grands patrons ont des solutions clé en main pour le monde de demain? Je suis désolé pour vous: l’édition 2024 du Forum économique mondial est, à Davos, en train de prouver le contraire. Finie, l’époque où les PDG des multinationales caracolaient avec leurs remèdes, expliquant aux chefs d’État ou de gouvernement comment faire pour sortir leurs pays de l’ornière. La peur et le silence ont gagné les salles feutrées des conseils de direction et des «boards», les conseils d’administration. Sur cette planète secouée par les crises, même les firmes les plus puissantes du monde ne savent pas de quoi l’avenir sera fait. Alors motus et place aux politiques…


Klaus Schwab, le fondateur et grand gourou de ce rassemblement unique de l’élite financière mondiale au cœur des Alpes ne l’avouera bien sûr jamais. Reste l’évidence: tout ce qui faisait de Davos un baromètre mondial crédible a volé en miettes depuis trois ans. Premier choc: la pandémie de Covid-19 de 2020-2021, qui a tout pulvérisé sur son passage en termes d’habitudes de travail, de scénarios économiques et de comportements sociaux. Second choc frontal: la guerre en Ukraine qui a redistribué les cartes, entre les entreprises des pays qui sanctionnent la Russie, et celles implantées dans les États qui commercent toujours avec Moscou. Troisième séisme: la guerre à Gaza et ses conséquences, via les rebelles yéménites Houthis et leurs missiles tirés dans le détroit de Bab El Mandeb, sur le commerce maritime mondial. Même les patrons des géants de la tech ne sont pas épargnés. L’intelligence artificielle révolutionnera à coup sûr notre monde. Mais que vaudra-t-elle si la mondialisation se transforme en champs de mines?

De la cuisine à la vitrine

Davos n’est pas fini. L’idée d’une rencontre annuelle, en janvier, où tout le monde peut se parler, soit dans les débats publics, soit lors des rencontres et dîners organisés en coulisses, reste terriblement utile. Le changement porte sur l’utilité de ce rendez-vous. Hier, c’est-à-dire jusqu’à la fin des années 2010, le Forum économique mondial était encore une cuisine. On y concoctait les plats de résistance de la mondialisation économique et financière. On testait les cures d’austérité à infliger aux pays surendettés. On évaluait l’état de la compétition technologique mondiale. Aujourd’hui? Davos n’est plus qu’une vitrine. En 2018, Donald Trump était venu y présenter son plan pour l’Amérique. Cette année, l’une des stars aura été Javier Milei, le président argentin résolu à tronçonner le secteur public. Macron aussi fait son show. Les patrons? On ne les entend pas. Logique: dans des sociétés où le ressenti l’emporte de plus en plus sur les faits, leurs entreprises, même créatrices de richesse, sont redevenues des acteurs comme les autres.

L'édition 2024 du Forum économique mondial s'achève à Davos, surtout ponctuée par des déclarations politiques
Photo: AFP
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Ambitions nationalistes

Le monde de 2024 n’a jamais été aussi politique. Le nationalisme dope les ambitions et les frustrations. Le populisme décuple les jalousies et la soif de revanche. Les régimes autoritaires sèment leur venin antidémocratique. Et le secteur privé? Le voici paralysé par la peur et le silence. Les GAFAM, les géants de l’internet, savent que les réseaux sociaux sapent les fondements de notre contrat social occidental. Les géants pétroliers redoutent d’être désignés comme coupables de notre agonie climatique. Les banques sont prisonnières de la prolifération des sanctions, synonymes de surveillance accrue sur les transactions.

Les PDG, ex-rois de Davos sont tétanisés. Tous s’étaient habitués à descendre tout schuss, sans souci, les pentes de la globalisation. Ils doivent maintenant slalomer. Avec, d’un pays à l’autre, des virages de plus en plus compliqués à négocier.

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