Pour éviter leur contournement par la Russie
Quelles sont les bonnes et les mauvaises sanctions? L'heure est au bilan

Il est attendu pour le 24 février. Ce jour-là, un an après le déclenchement de la guerre par la Russie en Ukraine, les 27 pays membres de l'UE doivent adopter un 10e paquet de sanctions contre la Russie. Mais un audit s'impose. Et il pourrait être douloureux.
Publié: 17.02.2023 à 17:22 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Faut-il continuer de sanctionner la Russie? À la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité qui s’est ouverte ce vendredi 17 février, la réponse des responsables européens et américains est incontestablement affirmative. Pas question de relâcher l’étreinte sur l’économie russe, alors qu'approche la date du 24 février, premier anniversaire de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine.

La stratégie demeure donc identique pour les alliés de Kiev: tout faire pour asphyxier la Russie, même si cette épreuve de force économique, financière et énergétique coûte cher aux pays concernés. La preuve? Un dixième paquet de sanctions doit être adopté par l’Union européenne dans les jours qui viennent, sans doute avant le 24 février. Une réunion des ambassadeurs de l'UE est prévue mardi 21 février.

Limiter les exportations vers la Russie

Ce paquet comportera, entre autres, une série de mesures pour limiter les exportations vers la Russie de composants électroniques indispensables à l’appareil militaro-industriel de Moscou, pour une valeur de plus de 11 milliards d’euros. S’y ajoutera une nouvelle série de sanctions individuelles contre des «propagandistes» de Vladimir Poutine. Les réticences de plusieurs États membres – dont la Hongrie – ont en revanche eu raison de potentielles sanctions contre le géant du nucléaire russe Rosatom, malgré les demandes de l’Ukraine.

Le 19 décembre 2022, les 27 États membres de l'Union européenne se sont accordés pour fixer un prix plafond à leurs achats de gaz. Ce prix a été fixé à 180 euros par mégawatt/heure.
Photo: AFP
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Faut-il, en revanche, continuer un an après sans s’interroger sur l’efficacité et le bien-fondé des mesures prises jusque-là pour lutter économiquement contre la Russie? «Il faudra maintenant bien pondérer les conséquences de nos actes», a d’emblée averti le Chancelier allemand, Olaf Scholz, à Munich où il intervenait juste avant le président français, Emmanuel Macron. Concrètement, deux décisions viennent d’être prises.

L’utilisation des avoirs russes gelés

La première a été, le 15 février, la mise sur pied d’un groupe de travail consacré à l’utilisation des avoirs russes gelés en Europe. Celui-ci devrait notamment faire des propositions en vue d’une confiscation partielle des avoirs déjà gelés. Selon le décompte rendu public par l’Union européenne en janvier, 330 milliards d’euros d’avoirs russes sont actuellement immobilisés. Trente milliards appartiennent à des propriétaires privés (dont environ 7 milliards gelés par la Suisse, qui a décidé d’appliquer les sanctions de l’UE le 28 février 2022). Les 300 milliards d’euros supplémentaires correspondent au montant des actifs gelés de la Banque centrale russe, a priori couverts par des clauses «d’immunité souveraine».

Faut-il laisser ses actifs prospérer alors que les besoins de financement de la reconstruction de l’Ukraine sont urgents? L’une des propositions sur la table est que l’Union européenne et ses partenaires prennent au moins le contrôle de la gestion de ces fonds. «Nous allons travailler sur un accord international avec nos partenaires pour rendre cela possible. Nous avons besoin des moyens légaux pour y parvenir», a répété la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, présente à Munich. Avec cette interrogation: comment faire si l’Europe est la seule à emprunter la voie de la confiscation, au risque de dissuader les banques centrales des grands pays émergents de continuer à placer leurs actifs dans la zone euro?

Audit de l’application des sanctions

La seconde décision prise est la mise en œuvre d’une sorte d’audit des sanctions pour faire le tri entre celles qui marchent et celles qui ne marchent pas. Il s’agit aussi de vérifier si tous les pays qui se sont engagés à les appliquer le font bien de manière exhaustive. Au sein de l’Union européenne, des questions se posent sur des destinations autrefois privilégiées des oligarques russes, comme Malte, avec son régime controversé de «passeports dorés» octroyés à de riches investisseurs et moins de 200'000 euros d’avoirs russes bloqués à ce stade.

Mêmes interrogations sur Chypre ou la Grèce. Une centaine de navires battant pavillon chypriote continuent ainsi depuis un an de transporter le pétrole brut russe, l’expédiant vers des pays comme l’Inde pour y être raffiné. Ce qui fait rentrer des sommes colossales d’argent dans les caisses de Moscou. La France est aussi pointée du doigt pour la continuation des activités commerciales en Russie de certains de ses grands groupes comme Auchan, accusé de livrer des marchandises à l'armée.

La question suisse

Hors UE, la question se pose pour la Suisse. Début janvier, Blick avait révélé que le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) aurait admis tenter d’influencer d’autres États pour atténuer les sanctions contre la Russie pour la Suisse et les entreprises qui y sont établies. Il est aussi reproché à la Confédération de ne pas avoir mis en place de task force pour traquer les avoirs russes dans le pays.

Les instruments utilisés pourraient être ceux mis au point par l’OCDE et l’Union européenne pour repérer, traquer et lutter contre le blanchiment et l’évasion fiscale. La Russie a d’ailleurs été ajoutée le 9 février par l’UE à sa liste des paradis fiscaux. Ce qui implique une surveillance accrue des banques et des opérateurs financiers qui traitent avec ces pays.

Afin de mener cet audit, l’UE a nommé depuis la mi-janvier un envoyé spécial international pour la mise en œuvre des sanctions de l’UE. Il s’agit de David O’Sullivan, ancien secrétaire général de la Commission qui fut ensuite l’un des négociateurs européens avec la Suisse, puis ambassadeur européen aux États-Unis. Il travaillera de concert avec le groupe de travail sur les avoirs russes gelés, dirigé par le diplomate suédois Anders Ahnlid.

Efficacité des sanctions prises

Dernière question: celle de l’évaluation de l’efficacité des sanctions prises. Des économistes comme le Français Nicolas Bouzou estiment que l’embargo sur les semi-conducteurs se révèle plus facile à contourner que prévu par la Russie, via des pays comme la Chine ou la Turquie. Plus douloureux en revanche pour le Kremlin est l’arrêt progressif des importations énergétiques européennes. D’où l’appel à un arrêt total de celles-ci. Ce qui n’est toujours pas au programme dans le dixième paquet de sanctions attendu le 24 février.

Pour l’heure, conformément à leur décision prise en juin 2022, les 27 pays de l’UE n’ont adopté un embargo total que sur les livraisons maritimes de pétrole (entre 80 et 90% du volume total), sans remettre en cause de l’oléoduc Droujba vers l’un des pays les plus réticents à sanctionner le Kremlin: la Hongrie de Viktor Orban.

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