Risque d'une vague nationale-populiste?
Ces électeurs polonais qui donnent des cauchemars à Bruxelles

Les 27 millions d'électeurs polonais sont convoqués ce dimanche pour des législatives redoutées à Bruxelles. Dans les urnes? Le basculement accru de l'Union européenne vers l'est, et le risque d'une vague nationale-populiste.
Publié: 12.10.2023 à 09:59 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont 27 millions d’électeurs. Et dans l’isoloir ce dimanche, ils ne décideront pas seulement du sort politique de leur pays. Attendues comme l’un des événements majeurs de cette seconde moitié de 2023, les élections législatives polonaises sont bien plus qu’un scrutin national. S’il l’emporte et parvient à se maintenir au pouvoir avec une majorité de députés à la Diète (le parlement), le Parti droit et Justice (PiS) poursuivra avec encore plus d’acharnement l’agenda qu’il défend depuis qu’il est à la tête du pays, en 2015.

Au menu? Une mise au pas programmée de la justice et des magistrats, une résistance nationaliste et anti-immigration encore plus marquée au sein de l’Union européenne (UE), et une défense intransigeante du lien militaire avec l’OTAN et les États-Unis, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Tous ceux qui se posent des questions sur le devenir de l’Union à 27 ont donc intérêt à suivre ce qui va sortir des urnes polonaises. Avec, dans le rôle des deux principaux protagonistes de ce duel politique à haute intensité, le vice Premier ministre sortant Jaroslaw Kaczynski, idéologue en chef et cofondateur du PiS d’une part. Et l’ancien Premier ministre et président du Conseil européen (2014-2019) Donald Tusk, leader de la plateforme civique (libérale, proeuropéenne) d’autre part. Le premier a refusé in extremis, cette semaine, de participer au débat entre chefs de partis.

Soutien à l'Ukraine

Ce feuilleton polonais peut paraître éloigné. Varsovie est à 1300 kilomètres à l’est de Bruxelles, la capitale de l’UE. Depuis l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février 2022, la capitale polonaise est surtout citée comme l’épicentre de l’aide civile et militaire à Kiev. C’est en Pologne que se trouvent les partisans les plus fervents d’un appui à l’armée ukrainienne, y compris via la livraison des fameux avions de combat F-16.

Une affiche électorale de Jaroslaw Kaczynski – le leader du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir – est vue à Kielce, dans le sud de la Pologne, le 11 octobre 2023.
Photo: AFP
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C’est par l’aéroport polonais de Rzeszów, proche de la frontière ukrainienne, que transitent la plupart des livraisons d’armes des pays occidentaux. C’est dans ce pays, également frontalier de la Biélorussie, que près de dix millions d’Ukrainiens, surtout des femmes et des enfants, ont trouvé refuge. C’est de la gare de l’Est à Varsovie, Warszawa Wschodnia, que part chaque jour le Kiev Express qui relie la capitale ukrainienne.

Importance capitale

Autant dire que tout ce qui se passe en Pologne a une importance capitale pour le continent. On l’a vu ces dernières semaines, lorsque le gouvernement polonais dirigé par le Premier ministre Mateusz Morawiecki a choisi de suspendre les livraisons militaires à Kiev, à cause de l’impact déstabilisateur des importations de céréales ukrainiennes pour la paysannerie polonaise.

«La Pologne, c’est le nouveau géant de l’Union européenne. Elle est juste incontournable. On peut espérer marginaliser la Hongrie pro russe de Viktor Orbán et ses dix millions d’habitants, pas le pays du PiS», reconnaît le politologue Ivan Krastev, basé à Vienne. Alors, mieux vaut attacher les ceintures politiques: si le PiS national populiste reste pour l’heure en tête de sondages avec 35% des voix, la coalition civique le talonne, et compte sur le vote des femmes, très mobilisées contre l’agenda conservateur, antiavortement et nataliste du parti au pouvoir, très lié à l’Église catholique.

Le paradoxe est que les Polonais, dans leur majorité, se disent proeuropéens. Selon l’une des dernières enquêtes de l'Eurobaromètre, 53% des personnes interrogées disent avoir une bonne image de l’Union. Le problème vient de la division du pays, fracturé en deux. Sur presque tous les sujets évoqués dans l’Eurobaromètre, de la démocratie à la protection sociale, le nombre de Polonais déçus par l’Europe et ceux qui y croient encore est presque exæquo. En résumé, sur beaucoup de sujets, un tiers des Polonais soutiennent l’Union, un tiers s’en méfie et un tiers sont indécis.

Les fonds communautaires

S’y ajoute la délicate question des fonds communautaires. La Pologne a touché, depuis son adhésion à l’UE en 2004, près de 250 milliards d’euros d’aides diverses. Elle doit encore percevoir 23 milliards d’euros de subventions dans le cadre du plan de relance «Next Generation EU», montant gelé en raison des atteintes présumées de son gouvernement à l’État de droit (c'est-à-dire à l’indépendance de la justice).

Sauf que ce cordon ombilical n’a plus la force d’antan. Le pays affiche une belle santé économique avec 5% de croissance en 2022. Les usines polonaises rêvent de remplacer les usines allemandes. «Nous pouvons être le futur poumon industriel de l’Europe», répète sans cesse Jaroslaw Kaczynski, autrefois proche du syndicat Solidarnosc qui luttait contre le joug communiste à la fin des années 1980.

Blessures de l’Europe

La Pologne incarne les blessures de l’Europe d’aujourd’hui. Elle en est la résultante, avec son histoire toujours prise en étau entre l’Allemagne et la Russie. Elle est en première ligne pour refuser le pacte «Asile et Migration», car elle s’oppose avec force à l’arrivée d’immigrés des pays du sud, en particulier des pays musulmans. Son armée, qui sera forte de 300'000 soldats dans dix ans, sera alors la plus puissante du continent. Le pays consacre à sa défense 4% de son produit intérieur brut. Or pour Varsovie, seule compte la protection de Washington, considérée comme le bouclier ultime face à Moscou.

A Bruxelles, le vote des 27 millions d’électeurs polonais nourrit ces jours-ci les pires cauchemars, à savoir celui d’une Europe divisée, impossible à réconcilier, avec des gouvernements de moins en moins prêts à partager leur souveraineté. On comprend pourquoi!

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