Après le choc de Lampedusa
Peut-on faire confiance aux Européens face aux migrants?

Enfin ! Selon Bruxelles, un accord sera bientôt trouvé sur le pacte sur la migration et l'asile qui permettra de mieux contrôler les frontières extérieures de l'espace Schengen. Sauf qu'à la dernière minute, tout risque de nouveau de dérailler.
Publié: 29.09.2023 à 15:11 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Enfin un accord européen sur le contrôle renforcé des frontières extérieures de l’Union européenne (UE) et sur les conditions d’accueil des migrants?

Jeudi 28 septembre, cette annonce de l’actuelle présidence tournante espagnole de l’Union européenne a confirmé la prise de conscience suscitée par l’afflux massif de migrants ces derniers jours sur l’île de Lampedusa, en Italie. La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, présente à Bruxelles pour la réunion de rentrée des ministres de l’Intérieur et de la justice, a, elle aussi, mentionné un accord probable dans les prochains jours, grâce à la décision de l’Allemagne d’accepter certaines demandes de l’Italie. Sauf qu’à la dernière minute: la décision de sept navires d’ONG de porter à nouveau secours à des migrants a déclenché une nouvelle exigence de Rome. L’Italie veut maintenant que les personnes recueillies sur ces navires soient automatiquement prises en charge par le pays dont le bateau bat pavillon. Bref, la refonte de la politique européenne d’asile, jugée indispensable, demeure encore semée d’embûches, compte tenu des désaccords entre pays membres de l’espace Schengen de liberté et de circulation. Voici les trois questions qui fâchent.

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Les Européens veulent-ils vraiment un accord?

Si l’on s’en tient aux avancées de ces derniers jours, la réponse semblait être oui. Sauf surprise, la présidence tournante espagnole de l’Union européenne paraissait sur le point d’arracher un accord aux 27 pays membres de l’UE et à leurs partenaires de l’espace Schengen pour un mandat de négociation avec le parlement européen sur le dernier volet du pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission le 23 septembre 2020, il y a pile trois ans. Or voilà qu’une nouvelle bataille a éclaté in extremis entre Rome et Berlin, puisque les bateaux d’aide aux migrants battent pavillon allemand.

Où en sommes-nous? Nulle part à ce stade. Il faut un accord entre les 27 pour que la discussion puisse ensuite commencer entre les eurodéputés et les gouvernements afin de rapprocher leurs textes et d’adopter une version finalisée des dispositions contenues dans ce paquet législatif qui comprend des règlements, des recommandations et des modifications de directives communautaires. Ce jargon législatif peut insupporter. Mais il est logique puisqu’il s’agit de règles de droit qui modifieront ensuite la législation des États concernés. Problème: le calendrier. Les prochaines élections européennes auront lieu début juin 2024. Plusieurs gouvernements dirigés par la droite dure (Pologne, Hongrie et peut-être Slovaquie où des élections ont lieu ce week-end) verraient donc sans doute d’un bon œil un nouveau retard. D’ici là, chacun pour soi et en avant pour l’édification de murs et de barrières…

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Le pacte sur la migration et l’asile est-il à la hauteur?

Pas sûr. Car une fois adopté, il faudra le mettre en œuvre et obtenir l’accord des pays d’origine et de transit des migrants pour les retours et les contrôles renforcés aux frontières. Le paquet législatif en discussion prolonge la durée possible de détention d’un migrant aux frontières extérieures de l’UE. Il permet des procédures d’examen des demandes d’asile plus rapides et simplifiées pour un plus grand nombre d’exilés afin de pouvoir les renvoyer plus facilement. Il prévoit un déclenchement rapide de mécanismes de solidarité envers l’État membre confronté à cet afflux, sous la forme notamment de relocalisations de demandeurs d’asile ou d’une contribution financière. Les migrants qui parviennent à mettre le pied sur le territoire des pays concernés ne seraient plus automatiquement éligibles au droit d’asile. Reste la question centrale: Qui va mettre les migrants dans les avions, ou dans des navires pour rentrer au pays? Qui va obliger des pays comme la Tunisie ou la Libye à reprendre les migrants africains qui ont traversé leur territoire? Et comment peut-on convaincre les populations des pays de premier accueil, comme l’Italie, l’Espagne, la France ou la Grèce, de continuer d’accueillir les migrants si d’autres États membres refusent d’être solidaires?

La crise migratoire européenne en carte et en chiffres: les pays de l'UE+ (l'UE27 et les États associés à l'espace Schengen) ont reçu 519'000 demandes d'asile à la fin du mois de juin, selon les derniers chiffres publiés le 5 septembre par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA).
Photo: Anadolu Agency via Getty Images
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Problème européen, élections nationales

Les flux migratoires posent une question politique. Tous les gouvernements de l’UE et de l’espace Schengen – dont la Suisse – jouent en partie leur survie et leur popularité sur ce sujet. La question de l’asile fracture la gauche, favorable à l’accueil et à l’aide humanitaire. Elle est instrumentalisée par les partis de droite nationalistes et populistes. La contradiction est dès lors patente: c’est un défi européen qui exige d’être abordé au niveau européen pour éviter que les pays membres d’une même zone de libre circulation édifient entre eux des barrières et des murs. Sauf que les électeurs attendent des réponses nationales. C’est aujourd’hui le dilemme de la première ministre italienne Giorgia Meloni, élue en septembre 2023 pour faire un blocus naval anti-migrants, et aujourd’hui tributaire de la solidarité européenne. On voit bien, aussi, que la dureté des futures conditions réservées aux migrants sont des sujets potentiels de discorde dans chaque pays: «Ce règlement de crise limiterait considérablement les droits des personnes susceptibles d’arriver lors de mouvements migratoires importants estime le quotidien autrichien De Standard. La privation de liberté (dans les centres de rétention) pourrait durer jusqu’à 20 semaines, et les dépenses allouées aux soins des personnes concernées seraient réduites au strict minimum». Le danger politique est bien maximal.

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