Trafiqués par le Mossad?
Pourquoi le Hezbollah a été pris au piège des bipeurs de la mort

L'opération de sabotage des bipeurs du Hezbollah a nécessité une minutieuse préparation technologique. Comment la milice chiite libanaise s'est-elle fait piéger? Et comment peut-elle riposter? On vous explique tout.
Publié: 18.09.2024 à 16:51 heures
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Dernière mise à jour: 18.09.2024 à 23:59 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick
Le chef spirituel et politique du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah doit s'exprimer ce vendredi après l'attaque massive orchestrée via les bipeurs de la milice chiite.
Photo: keystone-sda.ch

Chaque étape de cette frappe technologique sans précédent a sans doute été une performance en matière de précision et de secret. L’explosion simultanée, mardi 17 septembre, de plus de trois mille bipeurs portés par les militants et cadres du Hezbollah libanais, signifie que les services de renseignement israéliens (restés silencieux, mais vers lesquels tous les regards sont tournés) savaient tout de la logistique de communication de la milice chiite libanaise. Pourquoi l'ont-ils déclenché maintenant ? Comment le Hezbollah a-t-il pu être infiltré à ce point? Et comment peut-elle riposter, après un tel bilan humain: 12 morts et près de 2800 blessés, dont l’ambassadeur iranien à Beyrouth, gravement atteint à l’œil et rapatrié à Téhéran?

Le Hezbollah est infiltré au plus haut niveau

Les ennemis jurés d’Israël que sont le Hamas palestinien de Gaza, le régime iranien des mollahs et la milice chiite libanaise Hezbollah se retrouvent confrontés à la même réalité après l’attaque de ce lundi, à la fois ciblée et massive: leurs plus hautes sphères de commandement sont sans doute infiltrées, et une grande partie de leurs communications sont probablement interceptées. Il faut se souvenir que l’explosion simultanée de plusieurs milliers de bipeurs, à la suite d'un mystérieux message reçu à 15h30, a été précédée par deux frappes ciblées menées par l’armée israélienne.

La première, sur un immeuble de Beyrouth sud, a entraîné le 30 juillet la mort de Fouad Chokr, l’un des plus hauts responsables militaires du Hezbollah, considéré comme l’un des responsables de l’attentat qui avait tué 241 soldats américains, le 23 octobre 1983. La seconde frappe, le 31 juillet, soit un jour plus tard, a tué le chef politique du Hamas Ismaël Haniyeh dans la pièce de la résidence des hôtes des Gardiens de la Révolution, en plein cœur de Téhéran.

Voici à quoi ressemble les bipeurs déchiquetés par des explosifs sans doute placés là par le Mossad israélien
Photo: AFP
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Dans les trois cas, le niveau d’information indispensable à de telles opérations ne peut être obtenu que par deux moyens: le renseignement humain via des espions ou des traîtres, ou les interceptions de télécommunications.

Le Hezbollah n’a pas sécurisé sa logistique

Un mouvement militaire doit impérativement sécuriser sa logistique. Il doit contrôler toutes ses sources d’approvisionnement, jusqu’aux aliments nécessaires à ses troupes dans les bunkers, pour éviter par exemple un empoisonnement de masse. Or, dans le cas des bipeurs piégés, la milice chiite libanaise avait passé commande à un intermédiaire basé à Budapest, en Hongrie, où les petits boîtiers étaient fabriqués sous licence taïwanaise. 5000 récepteurs auraient été «infectés» par une quantité d'explosifs.

Ces «pagers», très populaires autrefois parmi le personnel médical ou les secouristes, fonctionnent avec des fréquences basses et permettent de recevoir des messages courts par radio. Ils sont donc moins interceptables par les logiciels espions comme Pegasus, la pieuvre israélienne qui dévore le contenu des téléphones portables. Problème: les milliers de bipeurs infectés par des explosifs n’ont à l’évidence pas été testés, ou démontés pour vérification à leur arrivée au Liban.

Le fabricant d’origine basé à Taïwan, Gold Apollo, affirme en outre qu’il ne s’agissait pas de ses produits, mais de ceux d’une filiale hongroise. Une brèche fatale s’est donc glissée. Une des explications au déclenchement de l'opération ce mardi est la possible découverte, par le Hezbollah, d'émetteurs piratés. Israël serait passé à l'acte plus tôt que prévu, alors que son dispositif devait décapiter le Hezbollah en temps de guerre.

Le Hezbollah manque de ressources

Le fait d’utiliser des bipeurs pour communiquer n’est pas, en soi, une preuve de faiblesse de la milice chiite libanaise forte d’environ 100'000 combattants, appuyés par un arsenal de près de 150'000 roquettes et missiles braqués sur l’État hébreu. Ce qui manque en revanche au Hezbollah, après un an de guerre israélienne contre le Hamas à Gaza, est le soutien direct de l’Iran, son parrain.

Depuis l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre 2023, un blocus israélien et occidental s’est mis en place autour du Liban. Toutes les cargaisons à destination du territoire libanais sont suivies, et si possible vérifiées. Il faut se souvenir aussi que jusque-là, le régime de Téhéran n’a toujours pas riposté au meurtre d’Ismaël Haniyeh au cœur de sa capitale. L’Iran est sous sanctions internationales. Son nouveau président, Massoud Pezeshkian, est un réformateur qui trouble les plans des Gardiens de la Révolution. Le discours du chef spirituel et politique du Hezbollah, Hassan Nasrallah, attendu ce jeudi, formulera sûrement de nouvelles menaces contre Israël. Mais avec quelles chances de succès?

Le Hezbollah est écartelé entre guerre et politique

On ne le dit pas assez souvent, mais le Hezbollah ne peut pas se réduire à sa branche armée, considérée comme un «mouvement terroriste» par l’Union européenne. La milice chiite libanaise contrôle aussi une grande partie des leviers de commandes économiques et politiques du Liban, ce qui l’oblige à rompre avec sa culture de clandestinité.

D’un côté, ses structures sont très surveillées, y compris par des enfants qui passent leur temps à faire le guet autour des sites sensibles ou des points critiques du quartier chiite de Beyrouth ou du Sud Liban (Saïda). De l’autre, l’engagement de sa hiérarchie dans la vie politique libanaise l’oblige à se dévoiler, et accroît sa vulnérabilité. Il est en outre difficile pour le Cheikh Hassan Nasrallah, dans un Liban en crise et en situation d’agonie économique, de mobiliser autour de son mouvement contre l’État hébreu. «La classe politique libanaise, sur un large spectre, exprime depuis des mois sa crainte d’un embrasement généralisé et appelle le Hezbollah à une forme de retenue» argumentait, en novembre 2023, une note de la Fondation française pour la recherche stratégique.

Le Hezbollah fait face à une guerre totale

Benjamin Netanyahu a fait du démantèlement par la force du Hezbollah libanais le prochain horizon de la guerre, que l’armée israélienne mène contre le Hamas depuis le 7 octobre. Selon les médias israéliens, c’est pour cette raison que le Premier ministre israélien est sur le point de limoger son ministre de la Défense Yoav Gallant. «Ces derniers jours, les deux hommes se sont également opposés à propos de la décision de Netanyahu de lancer une opération militaire d’envergure contre le Hezbollah au Liban» note le «Times of Israël». Cela n'a toutefois pas empéché le dit ministre d'annoncer mercredi des opérations militaires au nord d'Israël.

Or, pour le Hezbollah, cette donne militaire change radicalement la donne. L’opération des bipeurs piégés s’inscrit dans une offensive en cours, à laquelle le Hezbollah devra faire face avec des moyens diminués, tandis que les unités israéliennes endurcies par les combats à Gaza déferleront sur ses bases du Liban Sud. Le changement de paradigme est total. La milice est confrontée à une menace de guerre totale que ses tirs de missiles dans le nord d’Israël ne sont pas en mesure d’arrêter.

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