Vives attaques du «New York Times»
«La Suisse abandonne ses responsabilités à d'autres»

Habituée aux louanges du «New York Times», la Suisse doit cette fois déchanter à la lecture de l'influent média américain. La stratégie climatique de notre pays, avec des objectifs climatiques achetés via d'autres pays, fait l'objet de vives critiques aux États-Unis.
Publié: 08.11.2022 à 11:36 heures
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Dernière mise à jour: 08.11.2022 à 11:50 heures
Celina Euchner

La Suisse veut atteindre ses objectifs climatiques mais utilise des moyens critiquables pour le faire. Les reproches viennent du prestigieux «New York Times», qui consacre un long article à la politique environnementale de notre pays.

La cible des critiques? Les accords internationaux menés par notre pays pour des compensations climatiques. En très résumé: incapable de réduire les émissions CO2 suffisamment pour respecter ses engagements, la Suisse paie pour le faire à l'extérieur de ses frontières. C'est un mécanisme injuste, selon le média américain.

«La Suisse puise dans ses caisses bien remplies pour payer des pays pauvres comme le Ghana ou la Dominique», écrit le média new-yorkais. Ces pays étant largement sous leurs objectifs climatiques, ils vendent un droit de polluer à la Suisse, qui peut faire baisser officiellement ses émissions.

Les compensations écologiques sont-elles morales? Le débat est lancé par le «New York Times».
Photo: DUKAS

Débat à venir à la COP27

Interrogé sur l'aspect morale de cette pratique, l'Office fédéral de l'environnement répond par l'intermédiaire de sa directrice adjointe du domaine de la politique climatique internationale. Selon Veronika Elgart, ces accords sont du «win-win»: la Suisse peut baisser ses émissions et le pays concerné en tire aussi profit.

Le «New York Times», lui, se pose la question de savoir si ce mécanisme est vraiment «équitable». Et il n'est pas le seul: le débat doit être mené lors de la Conference of Parties, la fameuse conférence de l'ONU sur le climat (COP27) qui se tient cette semaine à Sharm el Sheikh, en Egypte.

Certaines critiques viennent des pays directement concernés. Ainsi, Crispin Grégoire, ex-ambassadeur de l'ONU en Dominique où un accord a été passé l'année dernière avec la Suisse, estime que c'est «une façon de renoncer à sa responsabilité et à la réduction des émissions», de la part de notre pays.

Une règle «dangereuse», dénoncent les ONG

En clair, la Suisse va voir d'autres États qui sont bien en-deçà de ce qu'ils auraient le droit d'émettre et leur rachète du droit de polluer. La Dominique, par exemple, est un minuscule État insulaire qui ne compte que 72'000 habitants (à ne pas confondre avec la République dominicaine).

La Suisse ne peut pas atteindre ses objectifs de réduction des émissions par ses propres moyens, selon l'Office fédéral de l'environnement. Notre pays a manqué son objectif pour 2020 de 20%. Et ce alors qu'un tiers des économies est réalisé ailleurs.

La règle qui autorise ces accords entre la Suisse et Dominique ou le Ghana est «dangereuse», selon certaines ONG. Le «New York Times» interroge Jade Begay, directrice de la justice climatique chez NDN Collective, une organisation qui représente des peuples indigènes basée au Dakota du Sud.

La Suisse consomme comme s'il y avait trois planètes

Selon elle, cela permet aux pays riches de «continuer à polluer et à vivre comme avant», tout en se rachetant une conscience écologique parce que l'argent permet de faire officiellement descendre les émissions.

La Suisse fait partie des mauvais élèves en matière de climat. Si l'on prend en compte les émissions générées par les importations, chaque habitant de notre pays est responsable de 14 tonnes de CO2 par an, alors que la moyenne mondiale est à 6. Il faudrait plus de trois planètes si tout le monde vivait comme en Suisse, rappelle «Swissinfo».

«Avec son niveau de consommation comparativement élevé, la Suisse fait partie des pays dont l'empreinte environnementale par habitant est disproportionnée», admet Karine Siegwart, sous-directrice de l’Office fédéral de l’Environnement, dans une étude parue cette année. Celle-ci estime que la Suisse est responsable de 2 à 3% des émissions de CO2 mondiales, ce qui la place à un niveau comparable à celui de pays comme l'Indonésie, le Japon et le Brésil, et non 0,1% comme on peut le lire parfois.

Selon le Climate Action Tracker, les mesures actuellement en vigueur en Suisse permettront de réduire les émissions de 26 à 31% d’ici 2030. Il y a donc un risque que Berne n’atteigne pas son objectif après avoir déjà échoué à atteindre l’objectif fixé pour 2020. Et pourtant, conclut «Swissinfo», la Suisse reste bien meilleure que d'autres.

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