Accusés de tuer la démocratie
Bolloré, CNews, Praud et Hanouna ont déjà gagné face aux députés français

Le milliardaire propriétaire de CNews était auditionné par les députés français mercredi 13 mars. Cyril Hanouna est attendu ce jeudi 14 mars. Mais jusque-là, les accusés ont plutôt profité de ces comparutions parlementaires
Publié: 14.03.2024 à 11:04 heures
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Dernière mise à jour: 14.03.2024 à 11:37 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils devaient être sur la défensive. Ils sont en train de remporter la mise. Depuis les débuts de la Commission d’enquête parlementaire française sur l’attribution des services de télévision numérique terrestre (TNT), déclenchée par la France Insoumise (Gauche Radicale) à l’Assemblée nationale, les figures de proue du groupe de médias détenu par Vincent Bolloré sont tout sauf mis en difficulté par leurs interrogateurs.

La preuve en a été apportée mercredi 13 mars par l’audition du milliardaire breton lui-même. Interrogé par les députés, Vincent Bolloré, 71 ans, a répondu à toutes les questions avec deux arguments massue: liberté et rentabilité. La liberté de penser et de juger (y compris sur l’avortement, auquel a recouru de son propre aveu l’une de ses ex-compagnes). Et la liberté de formater une chaîne de télévision pour qu’elle gagne le plus d’argent possible, en maximisant son audience.

Liberté et rentabilité. Ses deux critères ne sont pas dans le cahier des charges que l’ARCOM, l’autorité de régulation audiovisuelle et numérique française, doit prendre en compte pour attribuer les fréquences de la TNT, c’est-à-dire celles qui permettront aux chaînes d’être visibles par tous les Français sur leur téléviseur, même s’ils n’ont pas accès à internet. L’ARCOM, supposée indépendante mais tout de même influencée par le pouvoir politique, doit s’assurer du respect du pluralisme sur tous ces canaux. L’angle d’attaque de la France Insoumise contre le groupe Bolloré et ses chaînes CNEWS et C8 est donc simple: trop de points de vue de la droite réactionnaire, trop peu de diversité, trop d’opinions présentées comme de l’information. Bref, un poison pour la démocratie à l’heure où l’image l’emporte sur tout.

Le milliardaire français Vincent Bolloré possède les chaines CNews et C8, ainsi que le groupe de presse et d'édition Hachette.
Photo: DUKAS
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Vous avez tout raté!

Désolé, chers députés français: mais vous avez jusque-là tout raté. Tout. Parce que vous n’avez pas compris – ou pas voulu comprendre – qu’une assemblée parlementaire doit, avant de pointer des manquements graves à la démocratie, d’abord faire son travail. Où sont les séquences précises reprochées à CNews? Où sont les fausses informations que cette chaîne, et le caïd télévisuel Cyril Hanouna, prêt à tout pour l’audience, auraient diffusées? Où sont les preuves des mensonges?

De CNews à Tik Tok

Il suffit de comparer les auditions françaises réalisées jusque-là à ce qui se passe aux États-Unis avec l’offensive du Congrès contre le réseau chinois Tik-Tok. À Washington, chaque fait est étayé. Chaque reproche est assorti de chiffres, d’images, de questions juridiques. Les dirigeants de Tik Tok ne pérorent pas. Ils doivent se justifier. Ils ont devant eux des dossiers d’avocats.

En France? Une discussion vague sur la liberté de penser et le pluralisme, qui permet aux personnalités mises en cause de se placer sur leur meilleur terrain: celui de la différence. En gros: CNews et Bolloré sont accusés parce qu’ils brisent le consensus ambiant, ou parce qu’ils laissent libre cours à de caricaturales opinions réactionnaires. Et alors? Pardon, mais beaucoup de Français, et de Suisses francophones, font juste la même chose et se félicitent de ce bol d’air. Un air que l’on peut juger vicié (c’est mon cas), mais que beaucoup aiment respirer.

L’audition de Vincent Bolloré

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Voilà le résultat de ces comparutions mal préparées, amateures et finalement assez ennuyeuses, dont on verra ce jeudi comment se sort Cyril Hanouna: Bolloré est les siens sont en train de gagner. Leur argument de la liberté est imparable dans une société française qui adore les polémiques au point d’y perdre une énergie folle. L’évocation de l’intraitable rentabilité n’est que logique, dans un pays où les milliardaires dominent sans partage les médias. La posture de victime est facile à tenir dans une République où le service public de la radiotélévision a toujours bataillé, depuis mai 1968 (lorsque le Gaullisme dominateur vacille), contre la droite.

Les députés accusateurs feraient mieux d’aller sur les marchés ou dans les bistrots de leurs circonscriptions. Ils feraient mieux d’interroger leurs électeurs. CNews n’est que le reflet d’une société fracturée, d’un débat d’idées transformé en pugilat, d’une revanche de la droite réactionnaire attisée par les excès d’une certaine gauche. Faut-il lui supprimer sa fréquence? Faut-il la corseter par de nouvelles contraintes réglementaires? Ou faut-il accepter les réalités et, si l’on est en désaccord, se battre pour contredire les arguments fallacieux – lorsqu’ils le sont – distillés sur les plateaux?

Plus personne n’écoute l’autre

Plus personne n’écoute l’autre, en France, avec la volonté de répondre et de faire avancer le débat vers des solutions. L’attaque et l’insinuation sont la règle. Grossière. Sans grand souci des faits. Pourvu qu’elle porte. Telle est la spécialité de CNews, malgré la présence à bord de chroniqueurs de talents. Tel est, pour l’heure, le miel économique médiatique de Vincent Bolloré, trop heureux de tenir ainsi la dragée haute à ses rivaux milliardaires et au pouvoir politique, qu’il estime de longue date trop parisien et trop dominé par la haute administration tenue par la gauche.

Telle est, malheureusement, la règle au sein d’une commission parlementaire dont les travaux, jusque-là, ne font qu’alimenter le buzz. Sans avoir rien prouvé ni démontré.

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