Chronique de Jessica Jaccoud
Le succès d’Hanouna, c'est l'échec du service public français

La députée socialiste vaudoise Jessica Jaccoud rebondit, dans cette chronique, sur la polémique qui secoue en ce moment Cyril Hanouna et Vincent Bolloré. Selon l'élue, seul un service public fort et populaire peut barrer la route au populisme.
Publié: 17.11.2022 à 12:04 heures
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Dernière mise à jour: 17.11.2022 à 14:02 heures
Jessica Jaccoud

Cyril Hanouna aime les polémiques. Elles le nourrissent. Elles l’enrichissent. L’émission qu’il anime et produit, «Touche pas à mon poste» (TPMP), attire certains soirs jusqu’à deux millions de téléspectateurs. Une place de choix dans le paysage audiovisuel français et francophone.

Sur le plateau de la chaîne C8, on y invite des stars, des gilets jaunes, des mères de famille, des élus politiques. Hanouna se vante souvent que son émission est la seule où l’on peut tout dire et tout entendre. Une forme d’apologie de la liberté d’expression qui serait totale et sans limite.

Dans une récente émission, Louis Boyard, député à l’Assemblée nationale et ancien chroniqueur de TPMP, a ouvertement critiqué le magnat de l’audiovisuel et propriétaire du groupe Canal+ auquel appartient C8: Vincent Bolloré. Il a notamment rappelé les déboires judiciaires en Afrique du milliardaire.

Une pluie d'insultes

Et c’est là que celui qui se vante d’appartenir au peuple — tout en gagnant plusieurs millions par an — a littéralement pété un câble en faisant preuve d’une violence hors norme et parfaitement condamnable à l’endroit de l’élu: «Toi, t’es une merde», «abruti», «bouffon», «tocard». Le député a quitté le plateau sous les huées du public.

En somme, quand on va sur C8, on ne critique pas le patron de la chaîne. Quand on va sur TPMP, on ne critique pas celui qui détient la majorité des parts de la société qui produit l’émission. Quand on a été chroniqueur de l’émission, on ne critique pas le propriétaire des lieux.

L'animateur français Cyril Hanouna a copieusement insulté un député de la France insoumise lors de son émission.
Photo: DUKAS

C’est Bolloré qui crée les notoriétés, fait élire et il attend en retour qu’on lui fiche une paix royale, y compris sur ses sombres affaires. La liberté d’expression d’Hanouna a donc une limite: elle s’inscrit autour des milliards de son ami, patron et associé Bolloré et de sa stratégie d’expansion des idées d’extrême droite. Hanouna l’a dit, il défendra toujours ses amis, quitte à insulter et censurer ceux qui tentent de dénoncer les méthodes et les affaires du milliardaire.

L'échec du service public

Cependant, il serait faux de s’arrêter à ce constat évident, mais incomplet. La réalité, c’est que les politiques, tous partis confondus, sont devenus captifs de cette émission qui reste une des rares à offrir une importante audience populaire pour les idées contestataires, qu’elles soient issues de la France insoumise ou du Rassemblement national.

C’est une forme de piège démocratique dans lequel se retrouvent enfermés les élus et les porteurs d’idées minoritaires: accepter d’aller chez Hanouna pour être entendus, au risque de se faire insulter et censurer par le présentateur et sa meute de chroniqueurs. Soyons honnêtes: le succès d’Hanouna et de Bolloré, c’est avant tout un échec du service public français.

A force de ne proposer que des émissions calibrées, préparées, en tribune aux dirigeants, fermées aux minoritaires et franchement parfois ennuyeuses à souhait, le service public audiovisuel a abandonné les classes populaires et les a livrés en pâture aux chroniqueurs dysfonctionnels de TPMP et aux intérêts très personnels de Bolloré.

Un service public fort, qui donne la parole à toutes les voix, y compris celles de la contestation et de la rue, qui offre de vrais débats populaires, qui aborde des questions de société sans être obligé de les technocratiser, voilà ce qui est le seul rempart au populisme d’Hanouna et Bolloré.

La concentration des médias privés en France est un débat posé de longue date. Il est un vrai danger sans alternative publique forte. Espérons que la Suisse pourra s’inspirer de ces constats lorsqu’elle devra affronter un énième débat sur le financement du service audiovisuel public. Le seul rempart au populisme, c’est un service public fort et populaire.

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