La chronique de Myret Zaki
Quelle BNS voulons-nous et qui devrait la diriger?

L'heure est venue pour la BNS d'en finir avec la gouvernance opaque. Le futur de la BNS doit se conjuguer avec les intérêts des citoyens et des entreprises suisses, estime notre chroniqueuse Myret Zaki.
Publié: 08.04.2024 à 12:26 heures
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Dernière mise à jour: 09.04.2024 à 10:06 heures
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

La banque nationale doit veiller à l’intérêt des citoyens et des entreprises suisses, investir de manière responsable et non spéculative, prioriser ses distributions aux collectivités voire au social, et en finir avec la gouvernance opaque. Tout un programme, mais l’heure est venue.

La candidature d’un outsider, le financier suisse, d’origine franco-libanaise, Michel Santi, à la tête de la Banque nationale suisse, révélée par Blick le 4 avril, est l’occasion de nous faire réfléchir sur ce que devrait être une banque centrale aujourd’hui, et à quoi elle devrait servir. Pour la première fois, un candidat à cette fonction ose rêver d’une « éthique de responsabilité envers la population ». Et d’un fonds souverain de la BNS qui distribuerait plus régulièrement des bénéfices aux cantons et à la Confédération, voire dédierait une autre partie à des besoins comme le financement de la 13ème rente AVS ou à l’action sociale.

Gouvernance à réinventer

Irréaliste? Ce qui l’est encore plus, c’est de continuer à gouverner la BNS de façon opaque, avec un comité de 3 personnes aux délibérations secrètes. Surtout après la perte vertigineuse de 140 milliards de francs de la BNS en 2022 et 2023, qui efface tout ce qu’elle a gagné les 15 ans d’avant, et qui a fait fondre ses fonds propres, sans qu’elle ait à rendre de comptes. Pas même aux cantons et à la Confédération, privés de distributions depuis 2021 et pour un moment, après avoir reçu seulement 26 milliards sur les 172 milliards de profits de la BNS depuis 2012.

La BNS doit mettre en place une nouvelle gouvernance, estime notre chroniqueuse Myret Zaki.
Photo: keystone-sda.ch

Cette candidature inopinée nous force à réfléchir au type de dirigeant(e) dont la BNS aurait besoin en 2025 et au-delà. Et aux routines trop établies de sélection des profils dirigeants de l’institution. Michel Santi brigue le poste que quittera le président démissionnaire Thomas Jordan le 30 septembre prochain.

Le temps des réformateurs(trices)?

Habituellement, les successions au sommet de la BNS privilégient des profils sans diversité. Typiquement, des docteurs en économie d’origine suisse ou des banquiers à la trajectoire très institutionnelle. Le choix est généralement sans surprise, les candidats (invariablement masculins) étant homogènes et issus d’un cercle étroit de papables. Et surtout, ils n’ont jamais émis de critique contre la BNS avant d’y accéder. Bref, ils ne sont pas choisis pour leur dimension de réformateurs(trices).

Le moment n’est-il pas venu pour un changement? Car ce schéma répétitif et figé a sclérosé la gouvernance de la BNS. Aucune remise en question. Un bilan qui double de taille en 10 ans sans qu’on ne juge nécessaire d’adapter la gouvernance, la surveillance du portefeuille de placements, l’audit des stratégies, le choix des conseillers externes et le degré d’accountability vis-à-vis des citoyens helvétiques.

Avec un profil plus indépendant comme Michel Santi, que cette candidature ait des chances ou non, on se met à imaginer d’autres possibles. Un financier chevronné, moins formaté, homme de terrain, au profil international, à la fois trader et auteur d’ouvrages de réflexion sur la finance, passé par des banques internationales, humaniste, qui s’est distingué par sa capacité critique, en particulier dans son ouvrage «BNS : rien ne va plus», aux éditions Favre.

Loin des théories économiques peu critiques des gouverneurs de banques centrales, le candidat surprise est un penseur engagé, qui ose parler de «guerre économique» et de défense des intérêts helvétiques, là où le profil type tient un langage technocratique et se fond volontiers dans les doctrines de la BCE et de la Fed, comme la relégation de l’or au rayon des «reliques barbares». Si Michel Santi parle d’une nécessaire «politisation» du rôle de la banque centrale, c’est parce que cette dernière est en réalité déjà, en tous points, politique de par son influence sur nos vies et sur la crédibilité du franc.

Population en tous points concernée

Si l’on imagine bien que ce n’est pas le genre de candidatures favorisées par la «maison», ce qui paraît évident est qu’il faut repenser le rôle d’une banque centrale aujourd’hui. Ces institutions, qui font partie des meubles, indéchiffrables pour la population, doivent être nettement plus responsabilisées. Car la population est concernée au plus haut point par les décisions de la BNS.

En utilisant la planche à billets, la BNS dévalue le franc suisse face à l’or: aujourd’hui, il faut 4 fois plus de francs suisses pour acheter la même quantité d’or qu’il y a 20 ans. Et cette dépréciation du franc face à l’or s’est précisément accélérée à partir de 2007, avec le début des interventions agressives de la BNS sur le marché des changes. En fixant des taux d’intérêt négatifs, la BNS appauvrit les épargnants, les assurés et les retraités, dont les avoirs cessent d’être rémunérés pour être taxés.

En spéculant à perte sur les actions américaines (ce qui lui a valu les trois-quarts de ses pertes sur actions), elle prive les collectivités suisses de distributions de bénéfices, tout en donnant à fonds perdus aux entreprises américaines. En investissant dans les énergies fossiles ou le pétrole et gaz de schiste, elle récompense les pollueurs et émetteurs de CO2.

Soutien redirigé vers la Suisse

Aujourd’hui, le ou la candidat(e) à la présidence d’une banque centrale comme la BNS doit à la fois parfaitement maîtriser la complexité des marchés, et les aspects éthiques et politiques liés à ses valeurs et à sa mission. Comprendre les marchés signifie que l’on ne peut accumuler un portefeuille d’actions spéculatives et prendre les pertes en pleine figure passivement.

C’est aussi admettre que même 900 milliards de réserves de la BNS, converties en dollars et en euros, ne peuvent pas faire sensiblement baisser la valeur du franc. Cela signifie que, même avec un bilan qui pèse plus que le PIB suisse, la BNS peut difficilement faire plier le franc contre l’euro et le dollar, tant qu’ils se dévaluent plus vite. Cette politique a engendré des pertes élevées pour de faibles impacts sur le taux de change du franc. Sur le long terme, le niveau du franc dépend largement des puissants mouvements qu’opèrent l’euro et le dollar de leur côté, et sur lesquels la BNS n’a pas prise.

Enfin, la BNS a une responsabilité environnementale à assumer, en bannissant les placements dans les énergies fossiles. A ce jour, l’institution n'a toujours pas intégré des objectifs climatiques dans ses choix d’investissement. On peut supposer qu’une nouvelle gouvernance prendra cette dimension en compte, et ce serait encore bien tardif.

Au final, la BNS doit d’abord trouver des moyens de servir les épargnants et les entreprises suisses au sens large, plutôt que de faire monter la bourse américaine et européenne, sans même que ce sacrifice ne soit récompensé par un réel affaiblissement du franc. Voilà un vaste champ de réformes souhaitables qui s’ouvre, et cette période de changement de présidence offre une fenêtre d’opportunité qu’il s’agit de ne pas manquer.

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