La chronique de Quentin Mouron
Les bobos sont-ils les pires des managers?

Alors que les employés du Musée romain de Vidy interpellent les élus sur la dégradation progressive de leur situation, l’écrivain Quentin Mouron se demande si les bobos ne seraient pas, finalement, les plus mauvais des managers.
Publié: 04.10.2024 à 14:25 heures
Pour sa nouvelle chronique, Quentin Mouron revient sur les managements brutaux et la lutte des classes.
Photo: Shutterstock
Quentin Mouron, écrivain

Depuis plusieurs mois déjà, une crise est ouverte au Musée romain de Vidy. Les employés y décrivent une situation de plus en plus détériorée, douloureuse, marquée notamment par une direction aux «méthodes floues mais autoritaires», ce qui est à peu près – ruse de l’histoire – ce que l’on reprochait à l’empereur Caligula.

Ce mardi 1er octobre, ils se sont rassemblés place de la Palud, à Lausanne, pour interpeller le conseil municipal tout entier (puisque le syndic ne s’en lave pas tout à fait les mains, comme Ponce Pilate, mais qu’il s’en branle quand même pas mal).

Je ne connais pas personnellement la directrice du Musée romain de Vidy. Mais cette crise fait penser à tant d’autres, tant dans le secteur public et le secteur privé, où sévit un management estampillé curieusement centre gauche, et qui se veut précisément flou et autoritaire, mais aussi brutal et débonnaire. 

Un management brutal

Débonnaire, puisque la verticalité qui avait cours dans les entreprises patriarcales du siècle dernier a fait son temps, et qu’on l’a remplacé par des modèles plus horizontaux, à grands renforts de tutoiement, d’accolades confraternelles, de week-end de team-building, et de soûlographies en afterwork, quelques confidences sur votre vie privée, quelques confessions: une dépression, une rupture difficile, un deuil impossible, une addiction déjà ancienne pourtant, des failles, des faiblesses... Tout cela est naturellement retenu contre vous lorsque la fête est terminée, la cuite posée, et qu’on vous montre la porte.

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Il faut toujours se méfier quand son supérieur nous donne une tape sur l’épaule
Quentin Mouron, écrivain
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Car pour être débonnaire, ce management est avant tout brutal. Toute la convivialité déployée n’est qu’une des ruses du contrôle que certains managers se sentent le droit d’exercer sur leurs subordonnés même en dehors des heures de bureau, surtout en dehors des heures de bureaux, cette inquiétante zone grise qui contient en puissance toutes les nuées de la sédition comme les éclairs incalculables de la liberté. Il faut toujours se méfier quand son supérieur nous donne une tape sur l’épaule, il est probablement en train de vérifier à quel endroit précis il vous enfoncera son poignard. 

La faute aux bobos

Je ne dis pas que c’est précisément ce qu’il se passe à Vidy, j’ignore tout de cette directrice et mon ignorance me convient. C’est d’ailleurs moins une question de caractère ou de psychologie que de classe sociale et de structure.

Le mangement débonnaire et brutal est adossé à une classe sociale un peu différente sans doute que celle du patronat d’hier. Il s’agit de ce que l’on nomme parfois rapidement la bourgeoisie bohème, qui non seulement s’imagine être de gauche, mais en plus croit sincèrement qu’elle fait rempart contre les vrais salauds, archaïques, à l’ancienne, pétris de racisme et de misogynie, dirigeants violents, verticaux, gueulards, humiliants, lubriques, sadiques, etc. 

Ces gens semblent nous dire: ne vous plaignez pas, cela pourrait être pire, si nous disparaissions vous n’auriez pour vous commander, esclaves ingrats, que la lie de l’humanité, adieu les soirées conviviales, le tutoiement, le «venez comme vous êtes», adieu les moments de légèreté et de rire, adieu le chatoiement de l’illusion de la lutte des classes surmontée, ils semblent dire: si le réel revient, il vous broiera bien plus sûrement que nous.

C’est, par parenthèse, ce que disent les démocrates américains à leurs concitoyens soucieux des droits des Palestiniens: avec nous c’est déjà monstrueux, mais avec Trump ce serait pire! 

Le yoga n'y changera rien

La vérité est qu’en termes de mangement, les bourgeois bohèmes et les bourgeois traditionnels, c’est du pareil au même, pour l’employé c’est des coups de trique, qu’ils soient francs ou dissimulé, c’est la menace toujours planante du renvoi et du chômage, c’est les mêmes mines contrites moment du licenciement, et les mêmes mesures de terreur pour éviter que les travailleurs ne s’organisent, ne se syndicalisent et résistent.

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On ne dépasse pas la lutte des classes en pratiquant le yoga réparateur
Quentin Mouron, écrivain
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On ne dépasse pas la lutte des classes par quelques sourires et des retraites dans une yourte, ni en pratiquant le yoga réparateur, ni en s’adonnant à des brunchs flexitarien; tout au plus, on parachève l’oppression on lui passant le masque de la camaraderie, en ajoutant le mensonge à la violence. 

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