La chronique d'Ilias Panchard
Le nucléaire? Trop cher, trop lent, trop dangereux!

Pour sa deuxième chronique, le président de Sortir du Nucléaire et conseiller communal Vert lausannois Ilias Panchard s'empare du nucléaire en listant les raisons qui rendent son abandon inévitable – tout en nous dévoilant sa vision de la politique énergétique idéale.
Publié: 29.06.2024 à 11:01 heures
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Dernière mise à jour: 29.06.2024 à 13:33 heures
Ilias Panchard, président de Sortir du Nucléaire et conseiller communal Vert à Lausanne

L’énergie nucléaire ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Décidée par le Conseil fédéral en 2011 après la catastrophe nucléaire de Fukushima et accepté en 2017 par la population lors de la votation sur la stratégie énergétique, la sortie du nucléaire est actée depuis plus d’une décennie. Le 9 juin 2024, la population suisse a soutenu à près de 70% le développement accéléré des énergies renouvelables et le renforcement de l’autonomie énergétique du pays.

Pourtant, nous allons probablement voter sur une initiative fédérale qui vise à supprimer l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Le conseiller fédéral Rösti prépare d’ailleurs une modification de la loi allant dans ce sens. Puis le débat aura lieu au Parlement où une majorité composée des Vert-e-s, du Parti socialiste (PS), des Vert’libéraux et du Centre devrait maintenir la sortie du nucléaire telle que décidée par le peuple. Mais, en fait, pourquoi le nucléaire fait-il son retour sur le devant de la scène politique? Et surtout, pourquoi la sortie du nucléaire est-elle inéluctable malgré les velléités de certains lobbys?

Pourquoi le nucléaire fait-il son retour sur le devant de la scène politique?

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La Suisse sort déjà du nucléaire


La centrale nucléaire de Mühleberg (BE) est fermée depuis bientôt cinq ans. Sa production a été plus que compensée par les énergies renouvelables. L’énergie solaire se développe en effet de façon très rapide: rien qu’en 2023, on estime la puissance nouvellement installée à 1500 mégawatts. Cela ne vous dit rien? La centrale de Mühleberg avait une puissance électrique de 340 mégawatts.

Pourquoi le nucléaire fait-il son retour sur le devant de la scène politique? Et surtout, pourquoi la sortie du nucléaire est-elle inéluctable malgré les velléités de certains lobbys? Ilias Panchard donne sa vision des choses. (Image symbolique)
Photo: KEYSTONE

En clair, le développement actuel des énergies renouvelables rend tout à fait possible la sortie par étapes du nucléaire. La croissance annuelle du solaire frise les 40% et par rapport à 2017 son augmentation annuelle a été multipliée par six. La large acceptation de la loi sur l’électricité va dynamiser davantage encore le développement de l’énergie solaire. Et permettra aussi de développer le réseau électrique et d’améliorer les solutions de stockage. À ce titre, le développement de l’énergie hydraulique est fondamental pour réussir la transition énergétique et bénéficier de réserves d’électricité suffisantes en hiver.

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«Il est incompréhensible qu’un pays aussi riche et développé au niveau industriel n’ait toujours pas fait fermer la plus vieille centrale nucléaire en activité au monde»
Ilias Panchard
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Et ce n’est que le début: d’autres incitatifs et projets sont déjà dans le pipeline, notamment l’initiative solaire pour permettre à chaque toit approprié et chaque façade bien orientée d’être équipés d’une installation solaire. Il ne manque donc que la volonté politique pour fermer rapidement la centrale nucléaire de Beznau sans devoir importer davantage de courant. Il est incompréhensible qu’un pays aussi riche et développé au niveau industriel n’ait toujours pas fait fermer la plus vieille centrale nucléaire en activité au monde. Puis ce sera au tour de celles de Leibstadt et de Gösgen, elles aussi vieillissantes.

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Personne ne veut investir un centime dans le nucléaire

Cela peut paraître étonnant mais c’est un fait: plus personne ne veut investir un seul centime dans le développement du nucléaire. L’ensemble des géants de l’énergie se gardent en effet d’affirmer leur volonté d’investir des moyens financiers dans la construction de nouvelles centrales nucléaires. D’ailleurs, malgré l’insistance des milieux pro-nucléaires, aucun industriel de l’énergie ne s’engage publiquement pour une relance du nucléaire dans le pays. Ces industriels préfèrent largement privilégier les investissements dans les énergies renouvelables et prolonger la durée de vie des centrales actuelles de quelques années.

Or, puisque aucun investisseur privé ne veut investir un seul centime dans le nucléaire, il ne reste que l’option de l’investissement étatique. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les rares pays qui misent encore sur l’atome (France, Chine) et font face à des fiascos industriels sans précédent. Tout cela sur le dos des contribuables qui assument le coût pharaonique de centrales qui bien souvent n’ont toujours pas produit le moindre kilowattheure. Rentrons dans le dur: très concrètement, pourquoi faut-il définitivement sortir du nucléaire?

Pourquoi faut-il définitivement sortir du nucléaire?

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Le nucléaire est trop cher

C’est bien connu, l’argent est le nerf de la guerre. Le domaine de l’énergie n’échappe pas à ce dicton. Il est fondamental que le rapport entre chaque franc investi et la quantité d’électricité produite soit le meilleur possible. Or, avec le nucléaire, le ratio est catastrophique. Les centrales de Flamanville en France et de Hinkley Point en Grande-Bretagne illustrent parfaitement cette gabegie, frisant le pathétique.

La centrale de Hinkley Point, initialement devisée à 18 milliards de livres, pourrait se chiffrer à 31 voire 35 milliards de livres. Construite par le géant énergétique français EDF et la Compagnie nucléaire nationale chinoise, ce sera la centrale nucléaire la plus chère jamais construite sur la planète. Pire encore, le gouvernement britannique ayant accepté lors de la signature du contrat de garantir un prix d’achat minimum du courant très élevé, le coût de l’électricité produite par la centrale sera nettement supérieur au prix actuel de l’électricité sur le marché.

Qui paiera la différence? Les consommatrices et consommateurs britanniques sur leur facture d’électricité. Tout cela pour garantir les bénéfices des entreprises française et chinoise derrière le projet. Il s’agit d’un véritable hold-up dont vont souffrir les Britanniques pendant des décennies.

Autre fiasco annoncé, l’EPR de Flamanville et ses dépassements budgétaires. Son coût initial était de 3,3 milliards d’euros. La facture est désormais estimée à près de 20 milliards, soit six fois plus. Malgré cela, le couvercle de la cuve de l’EPR est défectueux, exposant ainsi les travailleurs à un surcroît de radioactivité. Tous ces déboires ont notamment mené à la démission de l’ancien directeur financier du groupe EDF.

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Le nucléaire est trop lent

Entre la conception du projet, sa mise à l’enquête et sa connexion au réseau, il faut compter au moins 20 ans. Même le Forum nucléaire lui-même, soit le lobby de l’atome en Suisse, estime le délai à au minimum 12 ans. Cela, de leur propre aveu, sans tenir compte des nombreuses oppositions possibles dans notre pays.

Reprenons nos cas précédents: les travaux de Flamanville ont débuté en 2007 et la centrale aurait initialement dû être mise en service en 2012 (grosse blague). Une douzaine d’années plus tard, elle ne fournit toujours pas un seul électron. Dans le cas de Hinkley Point, imaginée en 2008, elle aurait dû produire du courant dès 2017. Or, les estimations actuelles les plus optimistes parlent d’une mise en fonction en 2029 voire en 2031. Alors que chaque année compte face au changement climatique, nous n’avons pas le temps d’attendre 25 ans ou 30 ans, si ce n’est plus, pour qu’une installation produise du courant.

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«Le seul moyen efficace pour décarboner notre système énergétique consiste à investir dans les énergies renouvelables, à prioriser les économies d’énergie et développer l’efficacité énergétique»
Ilias Panchard
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Si le Parlement décidait aujourd’hui de changer la loi et qu’un projet commençait à être développé dans l’immédiat, pas un seul kWh d’électricité ne serait produit avant 2045 voire 2050. Soit bien trop tard pour avoir un hypothétique impact positif sur le climat. Le seul moyen efficace pour décarboner notre système énergétique consiste à investir dans les énergies renouvelables, à prioriser les économies d’énergie et développer l’efficacité énergétique. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ceux qui de façon fort opportuniste prônent la solution «nucléaire» au réchauffement climatique ont ensuite le culot de voter sans aucune hésitation tous les projets néfastes pour le climat au Parlement.

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Le nucléaire est toujours trop dangereux


Une seule statistique illustre la dangerosité du nucléaire. Depuis l’arrivée du nucléaire civil, environ 500 centrales nucléaires ont été mises en service. Et le monde a souffert de 5 accidents nucléaires très graves, dont Three Miles Island (1979), Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Si on extrapole, la probabilité d’un tel accident revient donc à 1%. Qui oserait monter dans un avion si un appareil sur 100 risquait de s’écraser? À la base, nos centrales avaient pour objectif de fonctionner pendant 30 ou 40 ans. Nos trois centrales en activité ont aujourd’hui entre 42 et 55 ans. L’âge des centrales nucléaires est largement supérieur à la moyenne européenne et mondiale.

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«Les conséquences d’un accident nucléaire en Suisse seraient bien plus graves encore qu’à Tchernobyl ou Fukushima étant donné que les centrales se situent au cœur du plateau densément peuplé»
Ilias Panchard
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Les risques sont connus: le vieillissement use les matériaux et augmente fortement les risques d’accident. D’ailleurs, leur durée d’arrêt pour maintenance s’allonge d’année en année. Et coûte de plus en plus cher. Or les conséquences d’un accident nucléaire en Suisse seraient bien plus graves encore qu’à Tchernobyl ou Fukushima étant donné que les centrales se situent au cœur du plateau densément peuplé. En quelques heures, selon les vents, la majeure partie du plateau serait gravement touchée.

Les conséquences seraient dramatiques: nombreuses vies humaines touchées, terres agricoles inexploitables, graves impacts sur la santé et coût économique majeur. De quoi déstabiliser l’ensemble du pays, voire du continent européen.

Comment réussir la transition énergétique?

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Les pro-nucléaires jouent leur dernière carte

Malgré tous ces éléments factuels, les pro-nucléaires avancent masqués et n’hésitent pas à mentir pour faire avancer leur cause. En effet, leur initiative demande une «autorisation pour les modes de production d’électricité ménageant le climat» sans oser écrire le mot «nucléaire». En effet, aucune mention de l’atome dans le texte de l’initiative, sur les feuilles de signatures et sur leur site internet. De nombreuses personnes ont ainsi signé cette initiative, induites en erreur dans la rue par des récolteurs rémunérés se gardant bien d’évoquer le but réel du projet.

Face aux volontés de piétiner la décision populaire, Sortir du Nucléaire est prêt à lancer un référendum au sein d’une large coalition d’organisations et de partis politiques. Pour convaincre à nouveau une majorité de la population du bien-fondé de la transition énergétique.

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Nous sommes en train de gagner la bataille économique

Les producteurs d’électricité connaissent parfaitement les coûts élevés du nucléaire. Les investissements pour maintenir une centrale en fonction sont énormes et leur volonté de prolonger au maximum leur durée de vie n’a pour but que de récupérer les sommes investies. Ces entreprises savent à quel point les coûts de démantèlement et de gestion des déchets sont gigantesques. Et sont encore loin d’être financés. Ce doit être leur priorité économique. Il faut désormais assumer les conséquences négatives du nucléaire, notamment au niveau financier.

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«Les fonds destinés à couvrir ces coûts de démantèlement et de gestion des déchets sont largement sous-alimentés par les géants de l’électricité. Qui paiera la facture finale? Les contribuables. Et on va casquer»
Ilias Panchard
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Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien que pour Mühleberg, le coût du démantèlement est estimé à plus de 2 milliards de francs. Les estimations pour l’ensemble des centrales naviguent à hauteur de plusieurs dizaines de milliards. Idem pour les coûts de gestion des déchets. Or, je vous le donne en mille: les fonds destinés à couvrir ces coûts de démantèlement et de gestion des déchets sont largement sous-alimentés par les géants de l’électricité. Qui paiera la facture finale? Les contribuables. Et on va casquer.

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Pour un avenir zéro fossiles et zéro nucléaire

Réussir la transition énergétique est l’un des défis majeurs du siècle. Il s’agit d’un enjeu d’une complexité folle. Or, cette complexité ne devrait pas empêcher une réelle démocratisation dans ce domaine. Le seul moyen de réussir cette transition est d’embarquer les citoyennes et citoyens, et de leur permettre d’y participer concrètement, notamment à travers le développement du solaire participatif ou du soutien aux économies d’énergie. Dans le domaine de la participation citoyenne, la Suisse est un des pays les plus avancés. Nous devons exploiter cette chance.

Depuis quelques années, notre pays n’a plus vraiment de leadership en matière de politique énergétique. Le rôle des pouvoirs publics est pourtant fondamental. En effet, seule la politique peut forcer les géants de l’énergie à maintenir des réserves suffisantes dans les barrages alpins pour passer l’hiver. Seule la politique peut mettre en place le cadre pour développer les filières de formation et de reconversion professionnelle dans les métiers de l’énergie et du bâtiment. Seule la politique peut soutenir des mesures de sobriété énergétique structurelles qui ne dépendent plus uniquement de la bonne volonté des citoyennes et citoyens. Et enfin seule la politique peut réaliser les investissements massifs pour adapter notre réseau électrique.

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«La politique énergétique idéale? Zéro énergie nucléaire, zéro énergie fossile, un mix entre énergie hydraulique et nouvelles énergies renouvelables, une véritable sobriété énergétique, une production électrique décentralisée avec une large participation de la population»
Ilias Panchard
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La politique énergétique idéale? Zéro énergie nucléaire, zéro énergie fossile, un mix entre énergie hydraulique et nouvelles énergies renouvelables, une véritable sobriété énergétique, une production électrique décentralisée avec une large participation de la population. Le nucléaire est le blocage principal à toutes ces évolutions. La sortie du nucléaire permettra de renforcer la transition énergétique et donc de réussir le défi du siècle qu’est la protection du climat. La Suisse a toutes les cartes en main pour réussir avec brio sa sortie du nucléaire.

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