Nicolas Capt
Raciste ou libre, la langue des signes?

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il analyse les stéréotypes raciaux présents dans la langue des signes. Comment les considérer?
Publié: 26.07.2022 à 16:31 heures

On se souvient de la récente levée de boucliers provoquée par un sketch de l’humoriste Claude Inga Barbey que certains jugeaient raciste en raison des stéréotypes auxquelles elle avait eu recours. Chacun se sera fait son opinion selon sa sensibilité et son référentiel propre.

Reste que, si l’on pousse l’exercice plus loin, il n’est pas inintéressant de s’attarder un instant sur la langue des signes française (LSF) comme l’avait d’ailleurs fait l’écrivain français Sylvain Tesson, il y a quelques années, dans son ouvrage «Géographie de l’instant». Il relève ainsi (p. 30) que, dans cette langue, le signe figurant la personne arabe met l’accent sur la taille du nez, que celui décrivant un individu asiatique lui bride les yeux avec l’index, tandis que la personne noire de peau est définie d’une main qui brouille le visage et que l’Allemand est figuré par un index dressé avec le pouce appuyé sur le front en référence au casque à pointe. Ach!

Est-ce à dire que la LSF devrait elle aussi subir une cure de jouvence, ce par quoi il faut comprendre qu’elle devrait s’affranchir séance tenante de tout ce qui convoque clichés ou raccourcis? Ou est-ce qu’au contraire l’efficacité nécessaire de cette langue bien particulière lui confèrerait un statut à part, une forme de bulle à l’abri des courants de l’époque?

La langue des signes française devrait-elle s’affranchir de tout ce qui convoque clichés ou raccourcis? Ou est-ce qu’au contraire l’efficacité nécessaire de cette langue bien particulière lui confèrerait un statut à part? (Image d'illustration)
Photo: imago images/Panthermedia

Comme souvent, nulle réponse évidente. A l’époque des controverses savantes et populaires sur la langue inclusive, peut-être que d’ouvrir ce débat particulier, qui ne l’est pas encore, permettrait de recentrer les querelles ou, à l’inverse, de prendre du champ dans un domaine aussi explosif qu’évolutif. Plus généralement, les évolutions de la langue traduisent souvent, et dans un certain paradoxe, à la fois le respect que l’on souhaite afficher aux nommés et un hygiénisme de circonstance qui cherche à éluder la réalité, à la dissimuler derrière un voile plus convenable. Ainsi, le clochard est-il devenu, au fil du temps, un sans-domicile fixe, puis, plus récemment, une personne en situation de rue. La réalité de la personne ainsi définie a-t-elle pour autant significativement changé? La personne en situation de rue de 2022 est-elle vraiment mieux considérée que le SDF de 1990 ou le clochard de 1910, ou n’a-t-on qu’édulcoré la dénomination?

Bien sûr, ces évolutions ambitionnent d’éviter la stigmatisation, de permettre la resocialisation et de changer le regard de l’autre. L’objectif est louable. Ce serait toutefois aller un peu vite en besogne que de ne pas se demander si nos velléités à adapter la langue ne trahiraient pas aussi une paresse consistant à recourir à une évolution langagière de façade pour se dispenser d’accomplir les travaux d’Hercule que nécessiteraient le changement des mentalités et la prise en charge concrète des personnes différentes, ou pour quelque raison que ce soit, faibles ou ostracisées. Le changement peut certes être initié par la langue, puissante à certains égards, mais, évidemment, l’on ne saurait se satisfaire de cette cosmétique, si honorable soit-elle.

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