Recrutée par l'Oncle Sam
Christa Markwalder, un désamour européen tellement suisse

L'ancienne Conseillère nationale libérale-radicale est pressentie pour diriger la chambre de commerce américaine en Suisse. Une reconversion professionnelle bien éloignée de ses combats d'hier pour le rapprochement avec l'Union européenne
Publié: 05.09.2023 à 17:39 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Je ne sais pas quoi penser, chère Christa, de ta reconversion professionnelle tout juste anticipée par les médias. Je te tutoie parce qu’on se connaît. Il y a dix ans, peut-être quinze d’ailleurs, nous débattions ensemble lors des rencontres du Nouveau mouvement européen suisse, le NOMES, encore favorable aujourd’hui, en 2023, à l’adhésion à l’Union européenne. Quinze ans de débats, de conversations et d’échanges. Permets-moi donc de continuer à te dire «tu». Ton français est excellent. Tu liras ces lignes sans difficultés. Mais parlons plutôt de ta future mission…

Derrière le salaire

Oublions ton salaire présumé, qui suscite un peu la controverse. 400 000 francs annuels pour diriger la chambre de commerce américaine en Suisse, basée à Zurich, c’est un joli pactole. Bien joué. Tes mandats successifs de Conseillère nationale libérale-radicale, de 2003 à aujourd’hui, ne te permettaient pas, chère Christa, de régater à ce niveau de rémunération. Je te comprends. Tes qualifications et ton réseau valent cher.

Tu avais en outre, dans le passé, déjà collaboré avec «l’Amcham», comme on la surnomme, tout comme avec la Chambre de commerce Suisse-Royaume Uni. Les Anglo-Saxons t’ont repéré. Pourquoi, donc, ne pas tenter ta chance, à 45 ans, pour défendre les entreprises de l’Oncle Sam?

Christa Markwalder à la tête du Nomes en vidéo

La Conseillère nationale zurichoise libérale-radicale incarnait un renouveau politique depuis son entrée au parlement, au début des années 2000
Photo: Keystone
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Le désamour européen en filigrane

Ce qui me chagrine le plus est l’arrière-plan de ton évolution professionnelle. Tu me répondras peut-être le contraire, mais je sens pointer chez toi le désamour européen. La lassitude. Le ras-le-bol. Logique. Depuis l’adhésion de la Suisse à l’espace Schengen en novembre 2008, suite à la votation gagnée devant le peuple à 54,6% en 2005 (ne l’oublions pas, on peut gagner un référendum sur l’Europe en Suisse), rien n’a vraiment bougé entre Berne et Bruxelles.

Chacun dans sa tranchée. Pas pour faire la guerre. Mais pour une paix «armée». On se parle. On commerce. On prétend négocier. On promet de reprendre les pourparlers en vue d’une nouvelle phase bilatérale. Mais le cœur n’y est plus. Notre mentalité du «réduit», chère au professeur Gilbert Casasus, a fini par l’emporter.

Doute chez les «euroturbos»

Ma chère Christa, je vais te faire un aveu qui surprendra sans doute tous ceux qui me traitent «d’euroturbo», comme les Alémaniques adorent le faire de tout Romand convaincu que la Suisse doit sa prospérité à ses voisins et à la stabilité apportée au continent, depuis 1957, par l’Union européenne. Je partage un peu ton désarroi! À quoi sert de passer sa vie à plaider dans le vide et à buter contre les murs?

Il faut admettre que, face aux pas hésitants de l’UE, l’Amérique de Biden (resteras-tu à «l’Amcham» si Donald Trump revient à la Maison-Blanche en 2024?) nous sert un «narratif» de combat convaincant face à la Russie et à la Chine. Ouvrons aussi les yeux: il s’agit aujourd’hui de construire une Europe élargie, plus souveraine et plus autonome en partenariat avec les États-Unis. Tu auras, sur ces sujets, au moins des choses à dire et à débattre.

Permets-moi de te taquiner

Tu as peut-être raison, Christa. Mais permets-moi de te taquiner. Ton désamour européen, s’il existe, illustre aussi notre chronique incapacité helvétique à faire vivre nos idéaux. Retour au pragmatisme implacable. Retour au rapport de force, indéniablement favorable à Washington et à ses F35 achetés par Berne. Oubliées les illusions, les promesses, les combats politiques pour une Suisse européenne moins repliée sur elle-même et davantage consciente de son indiscutable dépendance.

Voici, avec ton départ pour «l’Amcham», tes amis du Nomes cantonnés dans le rôle redoutable de Don Quichotte naïfs. Comme si le retour dangereux des nationalismes, les déferlantes populistes, l’agression de Vladimir Poutine et les enjeux existentiels engendrés par la guerre en Ukraine pour le continent européen étaient des moulins à vent, alors qu’il s’agit bien de menaces véritables.

Je m’arrête là, chère Christa. Promets-moi juste que tu n’abandonneras pas, dans tes nouvelles fonctions, le goût du débat sur l’avenir du projet européen, et sur la place de la Confédération à ses côtés. La Suisse en a besoin. Et l’Amérique aussi.

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