44 ans de politique
Ueli Maurer, une vie au service du pays

«J'ai passé plusieurs décennies en politique, j'ai envie de faire autre chose.» Ueli Maurer a servi la cause commune durant 44 ans, mais a toujours gardé les pieds sur terre. Volontiers provocateur, le conseiller fédéral sur le départ laissera l'image d'un élu intègre.
Publié: 30.09.2022 à 13:58 heures
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Dernière mise à jour: 30.09.2022 à 13:59 heures
En 2008, Ueli Maurer est élu au Conseil fédéral. L'UDC lui offre... un porcelet pour le féliciter.
Photo: Sobli
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Ruedi Studer

Nous sommes en décembre 2008 et l'élection d'Ueli Maurer au Conseil fédéral, avec 122 voix, est un moment historique: son élection marque le retour de l'UDC au gouvernement. Elle calme surtout les esprits après les mois d'agitation qui avaient suivi l'éviction de Christoph Blocher, un an plus tôt, au nez et à la barbe du premier parti du pays. Eveline Widmer Schlumpf siégeait, elle, sous la bannière du PBD.

Ueli Maurer avait néanmoins dû beaucoup trembler pour accéder à l'exécutif. Le ticket de l'UDC était composé de deux noms: le sien et celui de... Christoph Blocher, considéré comme inéligible par le Parlement. Ce fils d'un agriculteur de l'Oberland zurichois, passé par l'apprentissage pour obtenir un brevet fédéral d'expert-comptable, n'était pas pour autant la solution rêvée par le Parlement.

Face à ce «diktat» de l'UDC, parce que la candidature de Christoph Blocher était perçue comme alibi pour faire élire le «poulain» désiré (Ueli Maurer, donc), les autres partis ont rétorqué par des manœuvres. Luc Recordon, des Verts vaudois, s'est présenté pour faire barrage. Mais les membres de l'Assemblée fédérale avaient plutôt envie de voir un autre UDC, le président de l'Union suisse des paysans Hansjörg Walter.

L'architecte de l'UDC moderne

C'est par une seule voix d'écart qu'Ueli Maurer a finalement été élu. Malgré son diplôme de comptable, encore utile aujourd'hui à son poste de ministre des Finances, le Zurichois n'a pas perdu le contact avec la terre. Il a été directeur de l'Union suisse des paysans durant 14 ans, puis président de l'Union suisse des producteurs de légumes.

Près de 45 ans de carrière: Ueli Maurer restera dans les livres d'histoire de la politique suisse. Il a commencé comme conseiller communal à Hinwil, sa commune de l'Oberland zurichois. Il a ensuite gravi tous les échelons, selon un parcours modèle: Grand Conseil zurichois, puis Conseil national. Sa seule défaite? Une tentative d'accéder à l'exécutif cantonal, où il a échoué face à un certain Moritz Leuenberger. Tous deux sont devenus conseillers fédéraux.

Ueli Maurer, lui, a passé entre-temps par la case de la présidence de l'UDC. Et ce mandat reste dans l'esprit de tous les électeurs du parti: sous sa gouvernance, douze nouvelles sections cantonales ont vu le jour et 600 sections locales. C'est sous l'ère Maurer que l'UDC est devenue celle qu'elle est aujourd'hui, le premier parti du pays.

Torpillé par le non aux Gripen

Avec un tel bilan, on comprend mieux pourquoi Ueli Maurer a eu l'image de l'épouvantail aux yeux du PS et des Verts. C'est d'ailleurs ce même Ueli Maurer à qui on doit la stratégie des affiches très pugnaces, les fameux «moutons noirs».

Face à la polémique à travers le pays, le Zurichois avait ricané. Ses adversaires sont «gauchistes, gentils et mous». Eveline Widmer-Schlumpf? Une «traîtresse». Samuel Schmid, son prédécesseur au Conseil fédéral? «Un mort vivant» qu'il fallait remplacer au plus vite.

Mais n'allez pas croire qu'Ueli Maurer allait être un Christoph Blocher bis. Au début de son mandat, le conseiller fédéral démissionnaire avait eu l'intelligence de montrer de la retenue et de s'émanciper de l'héritage du «père du parti». En tant que ministre de la Défense, Ueli Maurer a fait un travail solide et sérieux.

Le hic, c'est qu'il a été particulièrement malheureux. Notamment lorsqu'il a parlé de la «meilleure armée du monde», s'engageant massivement en faveur de troupes à pied et d'un budget augmenté pour l'armée. Ce n'était, alors, pas dans l'air du temps: le non au Gripen, en 2014, contribue à terriblement ternir son image.

«Picsou» n'aimait pas les votations

C'est donc avec un certain soulagement qu'il rebondit au département des Finances, au début 2016. Son bilan est aussi immaculé que les chiffres de la Confédération: année après année, il présente des excédents. Des surplus bienvenus lorsqu'il faut réagir soudainement à la crise du Covid. Ueli Maurer rechigne un peu mais finit par délier les cordons de sa bourse, mettant en place des paquets de sauvetage à hauteur de plusieurs milliards.

Le «Picsou» helvétique n'a pas été très heureux devant le peuple. Ces dernières années, il a essuyé plusieurs échecs cuisants, le dernier en date dimanche dernier avec la réforme de l'impôt anticipé. En conférence de presse, sa dernière avant son annonce de démission, il s'est d'ailleurs montré un peu maladroit en s'en prenant au corps électoral, «incapable de comprendre» correctement les objets.

Une défaite qui s'ajoute à la troisième réforme de l'imposition des entreprises (RIE III) et au droit de timbre, pour ne citer qu'elles. Face à la gauche, très offensive sur les objets fiscaux, Ueli Maurer s'est retrouvé un loup solitaire à crier pour l'attractivité de la place financière suisse et en signal d'alarme face à un Parlement toujours plus généreux. «Nous vivons au-dessus de nos moyens», a-t-il maintes fois appelé, en vain.

«J'ai pas envie»

Voilà pour le ministre Ueli Maurer. Et l'homme, dans tout ça? Malgré des décennies à le côtoyer, la presse a eu beaucoup de mal à cerner la personnalité du Zurichois. Ueli Maurer est pourtant tout sauf introverti. Son «kä Luscht» («J'ai pas envie») qu'il répondait sans vergogne à des journalistes est entré dans la légende, outre-Sarine.

L'aîné du Conseil fédéral se montrait volontairement blagueur. Encore cette semaine, lorsque les élus de son propre parti ont boudé une session extraordinaire qu'ils avaient eux-mêmes sollicité, il n'hésitait pas à rigoler face à l'ironie d'Ada Marra (PS/VD), qui lui demandait comment le conseiller fédéral Maurer avait trouvé l'écoute de ses troupes.

En décembre 2012, il réalisait un score minable pour son premier mandat de président de la Confédération (il le sera aussi en 2018): 148 voix. À deux voix près, il n'aurait pas accédé à cet honneur. Un affront historique? Pas du tout. «Si j'avais fait un meilleur score, j'aurais eu des problèmes avec l'UDC. Parce que ça veut dire que j'aurais eu trop de voix d'autres partis», ironisait-t-il.

La (non-)collégialité, son péché mignon

Reste un gros problème pour le collège gouvernemental: la géométrie variable du concept de collégialité aux yeux d'Ueli Maurer. Le plus souvent, lorsqu'il devait défendre une position qui n'était pas la sienne, c'était à contre-coeur et il ne fallait pas être bien malin pour deviner l'avis du ministre de la Défense puis des Finances.

Parfois, il a même flirté avec les limites. Comme durant la campagne sur l'initiative «de limitation» de l'UDC: il a dû se retenir de faire de la politique active. Ou, pendant la pandémie de coronavirus, lorsqu'il a critiqué la posture du Conseil fédéral et enfilé l'uniforme des «Freiheitstrychler». Il n'a pas vraiment assumé, expliquant qu'il ne savait pas ce que ces tuniques représentaient.

C'était plus fort que lui: Ueli Maurer a toujours été très volontiers provocateur. C'est ça aussi, la politique. Et ce n'est pas pour rien que le Zurichois aura duré 44 ans. Il avait eu cette phrase célèbre alors qu'il était président sur le départ de l'UDC: «Ce que je retiens de cette expérience? Avec une certaine provocation, on arrive plus facilement au but.» À une question de relance un jour pour qu'il explique sa démarche, il avait rétorqué: «Lorsque je dis le mot 'nègre', la caméra reste avec moi.»

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