Le Black Friday démystifié
Voici comment on vous fait acheter des choses inutiles

À l’occasion du «vendredi noir», généralisé en Suisse depuis six ans seulement, deux spécialistes décortiquent le phénomène et vous expliquent comment ne plus vous faire avoir.
Publié: 24.11.2022 à 10:09 heures
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Dernière mise à jour: 24.11.2022 à 10:37 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

À l'occasion du Black Friday qui se déroule chaque année en novembre, nous avons republié cet article paru initialement en novembre 2021.

La désormais traditionnelle marée noire de clients en quête du meilleur rabais s’apprête à déferler dans les rues marchandes du pays ce vendredi, à l’occasion de l’annuel Black Friday. D’origine américaine, le jour J des rabais ne s’est réellement implanté en Suisse que depuis 2016.

Cette année-là, un blog – qui deviendra ensuite une plateforme d’envergure nationale – commence à recenser les meilleures affaires des distributeurs du pays. Ce dernier, «blackfriday.ch», grandit rapidement et témoigne de la primeur et de l’envergure du phénomène en Suisse.

Quelques petites boutiques locales font le Black Friday juste «pour jouer le jeu» ou par peur de prendre des clients.
Photo: Daniella Gorbunova

Selon le site, pas moins de 1’500’000 visiteurs se sont intéressés à ses offres en 2019. Mais le Black Friday se pratique toujours majoritairement entre les rayons. L’e-commerce constituant — de manière générale — seulement 12% des quelques 100 milliards que pèse le commerce de détail suisse. La catégorie de marchandises la plus recherchée à cette occasion est quant à elle l’électronique au sens large. Explication: les prix de ces produits étant de base élevés, le consommateur saute plus facilement sur l’occasion d’un rabais quelconque.

La fête de l’égoïsme

Chaque année, la plateforme web des bonnes affaires réalise un sondage auprès des consommateurs afin d’évaluer le portefeuille à cibler. Jérôme Amoudruz, co-fondateur du site, nous explique comment les gens achètent. «Le client est assez narcissique pendant le Black Friday: ses achats ne tournent pas tellement autour des cadeaux pour les fêtes. Il s’agit plutôt de se faire plaisir et d’équiper sa maison. En 2020, en moyenne, le consommateur consacrait respectivement 300 francs aux dépenses de Noël et 500 pour le Black Friday. Cette année, il s’agit plutôt de 100 et 300 francs.»

Gare aux grands rabais!

Mais ce «vendredi noir», peut-on vraiment y faire de bonnes affaires? «Courant de l'année 2021, nous avons demandé aux consommateurs s’ils pensaient que les offres du Black Friday étaient les meilleures de l’année. Près de 60% des sondés ont répondu oui, contre 40% de non», confie Jérôme Amoudruz.

Les Suisses ne sont ainsi pas les premiers dindons de la farce. «En comparaison internationale, je trouve les commerces suisses plutôt bienveillants envers leurs clients, analyse le pro des rabais. Il y a relativement peu de grosses promotions à –70%, où l’on a l’impression de se faire un peu avoir, et beaucoup de –5% à –10%.»

Pourquoi faut-il, contre-intuitivement, se méfier des «méga rabais»? Jérôme Amoudruz évoque leur fonctionnement quelque peu absurde: «Lorsque vous achetez un produit à 70%, cela signifie logiquement que, le reste de l’année, vous le payez à un prix injuste. Ou qu’il s’agit de fin de stocks, de collections désuètes…»

Le gourou des soldes a-t-il un ultime conseil? Oui: Prendre son temps. «Il faut garder à l’esprit que la plupart des commerçants vont continuer leurs opérations pendant le week-end. Cela permet au client d’avoir assez de recul pour repérer les bonnes offres.»

Une façon de consommer qui a fait son temps?

Bonnes affaires ou pas, le spécialiste en marketing Sylvain Gaeng, de B + G Partners à Montreux, voit ce phénomène d’un œil plus critique: «Depuis quelques années, mon approche de la communication est celle d’arrêter de vendre de la merde à des gens qui n’en ont pas besoin. Et le Black Friday, c’est exactement l’inverse.»

Pour l’expert en communication, le client n’est jamais véritablement gagnant dans cette histoire. «Ce que les marques font réellement, c’est utiliser quelques produits d’appel qu’ils vendent à perte. Ça leur permet de faire du déstockage. Mais il s’agit surtout d’encourager les gens à consommer. C’est la journée où il y a le plus grand nombre de ventes à l’année dans le pays!». Et cela en 2021, dans un contexte où il n’y a pas toujours de stocks à déstocker, de nombreux pays ayant connu des pénuries de marchandises diverses.

Petits commerçants: grands perdants?

En 2020, Le Nouvelliste titrait: «Consommation, le Black Friday creuse un fossé entre les grands et les petits commerçants». Rien de surprenant, dans un contexte de confinements successifs. Mais qu’en est-il un an plus tard? Blick est descendu dans les rues Lausannoises pour le savoir. Quelques-uns le font «pour jouer le jeu» ou par peur de faire fuir les clients uniquement à la recherche de rabais, comme l’explique le propriétaire d’un magasin d’accessoires pour appareils électroniques à Lausanne.

D’autres se jouent de ce qu’ils considèrent comme une opération inutile, comme le petit magasin lausannois Jouets Davidson. «Pour nous, cela n’a pas de sens. Comme nous gérons correctement nos stocks sans sur-commander, nous n’avons pas de stocks à liquider, explique Karine Hochard, gérante de la boutique. Et nous ne pouvons pas faire des rabais juste pour en faire, cela dévaloriserait notre travail et nous ferait perdre de l’argent.»

Mais cela n’a pas empêché pas ce magasin de jouets et de jeux de société de céder à un petit clin d’œil l'an dernier. «Au lieu de faire le Black Friday, nous faisions notre Blague Friday: si vous nous racontiez une bonne – mais vraiment bonne – blague ou devinette, on vous fait un –10%», promettait Karine Hochard, sourire en coin.

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