Cent jours de vent contraire
La pression de l'asile sur Elisabeth Baume-Schneider augmente

À peine entrée en fonction, la nouvelle conseillère fédérale socialiste se retrouve sous le feu croisé des critiques de l'UDC. Or, une réorganisation délicate du SEM est à l'ordre du jour.
Publié: 27.03.2023 à 06:07 heures
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Danny Schlumpf

À peine la nouvelle ministre socialiste de l’asile Élisabeth Baume-Schneider était-elle entrée en fonction que l’UDC attirait l’attention sur les chiffres de la migration. En 2022, la Suisse a accueilli 75’000 réfugiés ukrainiens et pris 24’500 demandes d’asile, soit 64% de plus que l’année précédente.

Très mécontent de ces chiffres, le parti conservateur s’est dépêché de pointer du doigt la nouvelle venue au Conseil fédéral. «Il y a trop d’étrangers qui débarquent, a tonné le parti. Et la conseillère fédérale socialiste voudrait en accueillir encore plus?» La réponse d’Élisabeth Baume-Schneider n’avait pas traîné.

Mais elle n’est pas partie dans le sens de l’UDC. La conseillère fédérale a plutôt fait en sorte que les jeunes réfugiés ukrainiens puissent commencer et terminer leur apprentissage dans notre pays. Elle veut également relancer le programme dit de réinstallation, que sa prédécesseure Karin Keller-Sutter avait suspendu à la fin de l’année 2022. Celui-ci permet aux personnes particulièrement vulnérables de gagner la Suisse sans passer par une procédure d’asile.

Cela fera bientôt cent jours que la ministre socialiste de l'asile Élisabeth Baume-Schneider est en fonction.
Photo: keystone-sda.ch
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«Des signaux erronés»

Des assouplissements particulièrement malvenus selon l’UDC. «La conseillère fédérale envoie des signaux totalement erronés, rouspète la conseillère nationale du parti Martina Bircher. En raison de son statut de protection élevé, la Suisse ne peut rejeter que 40% des demandeurs d’asile chez eux, à cause de leur statut de protection élevé, calcule la conseillère nationale. Mais pour ces derniers, le taux de renvoi n’est que de 50%. Ce qui signifie que quatre demandeurs d’asile sur cinq resteront chez nous pour toujours. Et ce, malgré une décision négative.»

Le taux de renvoi inquiète aussi beaucoup le conseiller aux États libéral-radical Damian Müller. «L’Érythrée fait partie des pays qui n’autorisent pas les renvois, pointe le Lucernois. Mais des centaines d’Érythréens n’ont absolument pas besoin de la protection de la Suisse! Ils occupent un espace dont ont besoin d’autres réfugiés en danger.» Le conseiller aux Etats a déposé une motion. Il demande au Conseil fédéral de trouver un pays tiers qui accueille les Erythréens déboutés.

Pression élevée

La pression sur le secteur de l’asile est très élevée. Ce n’est pas le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) qui dira le contraire. Fin février, 12’300 demandes d’asile y étaient en suspens. Le Parlement a certes approuvé 75 postes supplémentaires. «Mais cette capacité ne suffit pas pour pouvoir traiter les demandes attendues dans les mois à venir, déplore le SEM auprès de Blick. C’est pourquoi nous recrutons du personnel supplémentaire.»

La directrice du SEM, Christine Schraner Burgener, est au centre de la tempête. Cette diplomate expérimentée en a pris la tête début 2022. Au début, elle a été louée pour son ardeur au travail. Mais, depuis, l’enthousiasme au Palais fédéral est retombé.

Son prédécesseur Mario Gattiker s’est activement rapproché des députés, révèle un parlementaire bourgeois. Il les a informés à temps et de manière confidentielle, rendant ainsi possible des processus de recherche sereins. «Mario Gattiker a compris que la politique migratoire est en premier lieu une politique intérieure, glisse le parlementaire. Ce qui n’est pas du tout le cas de Christine Schraner Burgener.»

La communication est encore plus importante

Dernier exemple en date: le SEM est composé de quatre domaines de direction. Mais à partir de mai, il en comptera cinq. Sa direction sera scindée en deux et le domaine des centres fédéraux possédera une direction à part entière. Le SEM a publié un bref communiqué de presse à ce sujet en février. Mais personne ne l’a remarqué. Plusieurs parlementaires en ont entendu parler pour la première fois cette semaine – notamment via Blick.

La réorganisation décidée pour la fin de l’année 2022 est pourtant un grand pas en avant. Avec ses 780 employés, la direction de l’asile est le plus grand secteur du SEM. Cette scission est source d’incertitude, voire de mécontentement pour certains employés. «Les doutes ont été pris en compte dès le début», se justifie l’office. La direction interne du projet aurait élaboré la nouvelle structure organisationnelle avec les nouvelles compétences et délimitations en collaboration avec les services impliqués.

La communication devrait devenir encore plus importante dans les mois à venir, y compris vis-à-vis du Parlement. Car l’UDC l’attend au tournant. Et le parti anti-immigration aura probablement les chiffres de son côté.

Réponses lues sur la feuille

Le SEM lui-même a envoyé jeudi aux cantons une mise à jour confidentielle de la situation, accompagnée de nouvelles prévisions concernant les réfugiés ukrainiens. Blick a eu accès à ce document.

Que spécifie-t-il? Le SEM y esquisse deux scénarios pour les mois qui viennent. Une première prévision, relativement clémente, prévoit jusqu’à 2400 nouvelles demandes de statut de protection S en mars. Le deuxième scénario est, quant à lui, nettement plus pessimiste.

Il part du principe «qu’un événement se produira, entraînant jusqu’à 35’000 demandes S supplémentaires (réparties sur trois mois ou en l’espace de quelques semaines). Une telle augmentation pourrait survenir en cas d’offensive russe réussie au printemps ou à l’été 2023 ou en cas de difficultés d’approvisionnement significatives dans le domaine de l’énergie durant l’hiver 2023/24», décrit-il.

«Constellation de défis»

Quelles sont les chances que ce deuxième scénario prenne forme? Une telle évolution est actuellement plutôt improbable, précise le SEM. Mais il s’agit de l’une des deux possibilités que l’autorité a souhaité présenter aux cantons.

Christiane Schraner Burgener est en fonction depuis un an, tandis qu’Élisabeth Baume-Schneider est à la tête du Département fédéral de justice et police (DFJP) depuis bientôt cent jours. «C’est une constellation de défis», commente le président du Centre Gerhard Pfister. Selon lui, la conseillère fédérale socialiste n’a jusqu’à présent posé que de petits jalons dans un domaine spécifique. «On ne voit pas encore bien quelle est son influence.» Il en veut pour preuve ses réponses aux interventions de l’UDC. Elle les aurait simplement lues lors de la session. «Elle doit à l’avenir se montrer plus convaincante», assène Gerhard Pfister.

Ce lundi, Elisabeth Baume-Schneider en aura l’occasion. Au Schiffbau de Zurich, elle parlera pour la première fois de ses cent premiers jours de fonction.

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