«C'est peu défendable»
Malaise chez les Verts après le vol en avion de Magali Di Marco

La polémique autour — et les justifications — de la députée verte Magali Di Marco partie en vacances aux Comores cet été créent le malaise chez les Verts. Certains crient à la «chasse aux sorcières», d'autres critiquent l'élue valaisanne.
Publié: 29.09.2021 à 16:31 heures
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Dernière mise à jour: 29.09.2021 à 18:01 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Les portes claquent. C’est «no comment» pour Fabien Fivaz, Céline Vara ou encore Léonore Porchet. Arguments avancés par ces parlementaires fédéraux verts? «C’est plutôt la droite qui ne fait rien pour le climat qu’il faudrait pointer du doigt»; «c’est une non-histoire» ou même du «populisme»; «je ne souhaite pas faire le jeu de Philippe Nantermod qui prend plaisir à détruire les politiciennes et politiciens qui ne pensent pas comme lui»; «ça relève de la sphère privée de Magali Di Marco»; «ce n’est qu’aux Verts qu’on demande d’être exemplaires»; «je refuse de faire de la politique ainsi»; «je ne veux pas participer à une chasse aux sorcières»; «dans la société actuelle, c’est bien plus facile pour le PLR d’être exemplaire au vu des valeurs défendues».

Difficile de trouver des Verts qui s’expriment à visage découvert au sujet de la polémique du moment. Dans l’oeil du cyclone, l’une des leurs. La députée valaisanne Magali Di Marco est épinglée par la droite, le conseiller national PLR Philippe Nantermod en tête, après être partie aux Comores en vacances cet été et l’avoir dit sur les réseaux sociaux.

Dans les colonnes de Blick, elle se justifiait ce mardi. En substance: elle refuse de se priver de tout dans le système actuel, de devenir une marginale, elle vise le zéro déchet, a un lien particulier et familial avec l’archipel africain, ne fait pas des long-courriers chaque année, l’écotourisme permet d’éduquer les populations locales à protéger l’environnement, elle évite les vols low-cost et peut-être que nos enfants et petits-enfants sauront mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique. Problème, le message paraît en totale contradiction avec les revendications des grévistes du climat, à la base de la vague verte qui a offert bien des sièges aux écologistes depuis 2018.

«Je ne m’identifie pas à son discours», dit Léo Peterschmitt, co-président des Jeunes Verts Genève.
Photo: Keystone

«Prendre l’avion est peu défendable»

En coulisses, plusieurs parlementaires se disent gênés par ses justifications et jugent son argumentation difficilement acceptable, mais ne souhaitent pas prendre position publiquement. Par solidarité, sans doute. Une éminence grise du parti finit toutefois par accepter de livrer à Blick le fond de sa pensée, mais de manière anonyme. «Ce qui est important, c’est de changer les conditions-cadres et qu’on paie le vrai prix environnemental lorsqu’on achète un billet d’avion. De mettre l’accent sur la responsabilité collective. Mais en tant qu’élus, à tous les niveaux, tout ce qu’on fait est observé et a une valeur politique, y compris dans nos vies privées. Particulièrement chez les Verts, d’ailleurs. Quand on parle de valeurs politiques, prendre l’avion pour des vacances à l’autre bout du monde est assez peu défendable.»

Pour elle, on ne passe donc pas à côté du «devoir d’exemplarité». «Nous sommes le parti où l’attente d’exemplarité est la plus grande parce que le projet vert est très lié à l’impact du mode de vie individuel sur le collectif. Nous nous devons de montrer qu’on peut faire autrement et vivre heureux. Pour répondre à l’urgence climatique, il va falloir convaincre les gens que c’est possible.»

D’ailleurs, sous la Coupole fédérale, plusieurs Verts ne prennent plus l’avion. C’est le cas de Valentine Python, qui ne souhaite pas s’exprimer sur le cas Magali Di Marco. «Ce que je peux vous dire, c’est que, en tant que climatologue, je ne prends plus l’avion et privilégie d’autres modes de transports depuis bien longtemps. Mais c’est une forme de renoncement qui n’est pas forcément facile.»

«Néocolonialisme»

Quand on parle empreinte écologique, un vol long-courrier compte pour beaucoup. Une personne, comme l’auteur de ces lignes, qui n’a pas de voiture ni de permis de conduire et utilise les transports publics tout au long de l’année, explose son bilan carbone dès qu’elle prend l’avion pour se rendre à Rio de Janeiro, par exemple. Selon le calculateur des services cantonaux de l’environnement, ledit aller-retour pèse 2300 kg en émissions de CO2. A titre de comparaison, celle, accro de la bagnole thermique qui roule 20’000 km par an mais ne vole pas, «produit» 2500 kg en douze mois. La vertueuse qui parcourt la même distance en transports publics n’émet qu’un peu plus de 20 kg sur la même période.

Que pensent les jeunes pousses qui ont participé aux grèves du climat des justifications de Magali Di Marco? «Je ne m’identifie pas à son discours, amorce Léo Peterschmitt, co-président des Jeunes Verts Genève. L’écotourisme n’est pas une justification valable pour un voyage long-courrier en avion. Il y a aussi une composante néo-coloniale qui me dérange quand on dit qu’on se rend dans un pays des Suds (sic) pour y changer les habitudes des gens. Alors qu’en réalité, le problème vient de chez nous. Ce sont nos sociétés qui exploitent les ressources et les populations des Suds. D’autre part, on ne peut pas attendre que nos enfants ou petits-enfants agissent pour nous, ce sera trop tard!»

Juger les décisions politiques

Mais le conseiller municipal (législatif) de Carouge ne veut pas jeter la pierre à l’élue valaisanne. «Ce genre de discours n’est pas en cohérence avec notre mouvement mais chacun fait son propre chemin écologique. Nous avons toutes et tous nos failles. Pointer du doigt une seule personne, c’est se détourner du débat de fond, qui doit porter sur un problème qui est systémique. L’impact climatique de la politique du PLR, qui défend ce système de prédation sur l’environnement, est bien pire que l’action individuelle de Magali Di Marco. La pointer du doigt participe au maintien du statu quo.»

Retour dans la Berne fédérale. La conseillère aux Etats vaudoise Adèle Thorens Goumaz ne veut pas s’épancher sur l’affaire, mais la philosophe prend de la hauteur. «Certes, il y a un devoir d’exemplarité. Si je n’arrive pas à changer, je ne peux pas attendre des autres qu’ils le fassent. Mais les élus ont deux formes de responsabilité: individuelle et collective. La plus significative est la seconde. Dans les parlements, nous pouvons créer des majorités et prendre des décisions qui permettent ensuite à un grand nombre de personnes de changer plus facilement de comportement ou d’adopter de nouvelles technologies propres. Assumer correctement ce type de responsabilité peut avoir un impact bien plus grand que nos comportements individuels.»

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