Condamnée pour inaction climatique
La Suisse peut-elle simplement ignorer le jugement de la CEDH?

La Suisse a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en raison de son inaction climatique. Mais qu'est-ce que ce jugement signifie concrètement? Blick répond aux principales questions.
Publié: 10.04.2024 à 17:26 heures
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Tobias Bruggmann

Les Aînées pour la protection du climat jubilent. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la Suisse parce qu'elle ne fait pas assez pour la protection du climat. Mais qu'est-ce que cela signifie exactement? Blick répond aux principales questions.

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Que dit l'arrêt?

Fort de ses 260 pages, l'arrêt précise que la Suisse est condamnée pour avoir violé le droit à la vie privée ainsi que le droit à un procès équitable.

  • Le droit à la vie privée comprend également la santé d'une personne. Le tribunal estime que celle-ci est menacée par le changement climatique. Et comme la Suisse a le devoir de protéger la vie privée, elle doit lutter activement contre le dérèglement climatique. Or, des erreurs ont été commises, peut-on lire dans le jugement. Ainsi, le pays n'aurait pas atteint les objectifs qu'il s'était fixé. Il n'aurait en outre pas établi de budget CO2, (lequel calcule la quantité maximale de CO2 que chaque habitant doit produire pour maintenir le réchauffement global à 1,5 degré) et n'aurait pas atteint les objectifs qu'il s'était fixé.
  • La deuxième condamnation concerne l'accès à la justice. Les Aînées pour le climat n'ont pas été entendues par les tribunaux suisses. Une injustice, a estimé la CEDH.
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La Suisse peut-elle simplement ignorer le jugement?

Non. «La Suisse a conclu un traité de droit international et doit le respecter», explique le professeur de droit Sebastian Heselhaus de l'université de Lucerne. Ce contrat est la Convention européenne des droits de l'homme, dont le respect est contrôlé par la Cour. En réaction à l'arrêt, l'UDC a déjà exigé que la Suisse dénonce cette convention.

Les Aînées pour la protection du climat peuvent exulter.
Photo: keystone-sda.ch
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Que doit faire la Suisse maintenant?

L'arrêt est juridiquement valable et contraignant. «La Suisse doit faire plus pour la protection du climat», explique Sebastien Heselhaus. L'Office fédéral de la justice le confirme également. «Le jugement doit être mis en œuvre». En collaboration avec les autorités concernées, il va maintenant examiner quelles mesures la Suisse doit prendre. Le tribunal ne le prescrit pas, précise l'expert. «Cela reste l'affaire des politiques.»

Cependant, il y a bien des impératifs. «Le tribunal dit que la Suisse doit revoir ses priorités et donner des indications sur les objectifs intermédiaires à atteindre, sur les voies à suivre pour réduire ses émissions, et sur le budget CO2 restant», ajoute le professeur.

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De nouvelles taxes climatiques vont-elles voir le jour?

Il s'agit d'une décision politique. Même si le tribunal blâme la Suisse – il n'a pas fixé de mesures. Jusqu'à présent, il existe la loi sur le CO2 qui réglemente certaines mesures. Mais elle ne contient pas de nouvelles taxes. En outre, la Suisse votera en juin sur la loi sur l'électricité, qui doit promouvoir les énergies renouvelables. Là aussi, aucune nouvelle taxe n'est prévue, mais les taxes existantes sont prolongées.

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Comment vérifie-t-on que la Suisse fait suffisamment pour protéger le climat?

Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe contrôle si l'arrêt est appliqué. Si ce n'est pas le cas, la non-application sera toujours un sujet de discussion là-bas. Dans le pire des cas, le Comité des Ministres – l'instance de décision du Conseil de l'Europe – peut retirer à un Etat son droit de représentation dans ce conseil ou lui demander de se retirer de la CEDH. Toutefois, ces deux moyens n'ont encore jamais été utilisés. Il serait plus probable que d'autres plaintes soient déposées en Suisse et en Europe.

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Et si les Suisses ne veulent plus de la protection du climat?

En 2021, les électeurs ont rejeté la loi sur le CO2. Celle-ci aurait impliqué des mesures de protection climatique plus fortes. Que se passerait-il si une telle situation se reproduisait? La Suisse devra alors tenter d'atteindre les objectifs climatiques avec d'autres mesures. «Si elle n'y parvient pas, les Aînées pour la protection du climat pourraient à nouveau porter plainte», explique Sebastian Heselhaus. Et les tribunaux suisses devront cette fois les entendre.

La CEDH ne peut pas non plus outrepasser une décision populaire. «Mais la violation de la convention resterait. Si l'on ne veut plus protéger le climat, il faudrait en toute logique dénoncer la convention ou l'accord de Paris».

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Que signifie le jugement pour les Aînées pour la protection du climat?

Les Aînées pour la protection du climat jubilent. C'est la première fois que la CEDH se prononce sur des questions de protection du climat. Les Aînées en profitent également sur le plan financier, du moins un peu. La Suisse doit verser 80'000 euros à l'association pour rembourser ses dépenses. Toutefois, depuis le début de la procédure en Suisse, les coûts se sont élevés à plus d'un million, écrit Greenpeace. L'organisation de protection de l'environnement a initié la plainte et l'a également soutenue financièrement. Les donateurs privés ont pris en charge environ deux tiers des coûts.

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Qu'est-ce que la CEDH au juste?

La CEDH surveille la manière dont les droits de l'homme sont respectés en Suisse et dans d'autres pays européens. La Cour a été fondée par les Etats membres du Conseil de l'Europe, dont la Suisse fait partie. Chaque pays désigne un juge, qui participe également à la décision lorsque le cas concerne son pays d'origine. Pour la Suisse, il s'agit d'Andreas Zünd, qui a également pris part à la décision qui a été rendue aux Aînées pour la protection du climat.

La Cour européenne a souvent eu une influence sur les lois en Suisse. Un exemple récent est celui de la rente de veuf: pour la Cour, la Suisse avait fait une différence de traitement inadmissible entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les rentes pour les personnes veuves. La Confédération avait alors dû adapter la loi.

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